697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)

Publié le par 1rΩm1

 

Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris

journal extime (3-15 avril 2016)

 

13 avril

Aymeric ne pourra déjeuner avec moi : son collègue est rétabli, mais il sera en vacances la semaine suivante, tant et si bien que les cadences de travail n’ont pas diminué en intensité depuis le 4.

 

Après-midi

Je vais à l’Orangerie pour l’exposition sur Apollinaire, intéressante et copieuse.

Jean Metzinger, l'Oiseau bleu

Jean Metzinger, l'Oiseau bleu

Juan Gris, Homme dans un café

Juan Gris, Homme dans un café

Marc Chagall, Paris par la fenêtre

Marc Chagall, Paris par la fenêtre

697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)

Robert Delaunay, Fenêtres ouvertes simultanément (1912), Tate Gallery, Londres © Internet

Je rate quelques clichés : ainsi d’une photographie de Louise de Coligny-Châtillon dans son aéroplane,

697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)

ou de dessins de Sonia Delaunay pour illuster Zone.

697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)

Je m’achèterais bien le catalogue, mais me raisonne : il pèserait lourd dans ma valise dorénavant invalide !

Je fais ma visite rituelle aux Nymphéas, qui, comme à l’accoutumée, calme toutes mes impatiences. J’ai depuis longtemps renoncé à l’idée d’en embrasser photographiquement l’un d’eux. L’idée me vient d’en saisir tout de même un détail.

697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)

*  *  *

Passant devant Orsay, comme je constate qu’on y entre à peu près comme dans un moulin — sans doute est-ce un effet secondaire désastreux des attentats terroristes —, je me résous (car telle n’était pas mon intention du tout) à entrer pour voir l’exposition sur le Douanier Rousseau. Il y a tout de même une file d’attente à  l’entrée, et beaucoup de monde à l’intérieur.

 

Je sélectionne les œuvres de mon parcours : comme d’ordinaire, certaines proviennent du double fonds du musée même ou de l’Orangerie — et me permettent de ne pas m'attarder quand je me trouve en territoire connu. Ce complément à l’exposition sur Guillaume Apollinaire, en outre, s’imposait quelque peu, même si Henri Rousseau n’est pas mon peintre préféré.

Des gens se gaussent ici ou là. Il n’est pas encore tout à fait venu le temps où les œuvres de Rousseau rentreront, comme l’auteur d’Alcools l’affirmait haut et fort, aux Offices...

Quoi qu’il en soit, revoyant la toile — une machine d’assez grande dimension —, la Guerre m’impressionne et retient assez longtemps mon attention. Le principe d’œuvres en écho, qui tend dorénavant à se systématiser, trouve son sens ici, dans les correspondances avec l'eau-forte de James Ensor, l’Ange exterminateur, ou sa toile, la Chute des Anges exterminateurs.

697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)
697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)
697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)

*  *  *

Passant par hasard (et pas rasé) rue de Verneuil, je photographie les graffiti dont sont recouverts les murs de la maison où habitait Serge Gainsbourg.

697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)
697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)

*  *  *

L’avais-je déjà remarqué auparavant ? — tout près de l’Eglise de Saint-Germain-des-Près, dans le square Félix Desruelles : ce portique en céramique à la gloire de la Manufacture de Sèvres.

697 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (10)

 

Soir

Je passe la soirée avec N***. Il est une heure et demie quand je me couche.

 

Il me prévient tout d'abord par SMS qu'il aura une demi-heure de retard. Je m’organise en conséquence.

En fait, nous arrivons de concert devant le restaurant vietnamien dont il m’a donné l’adresse, tout proche — en vérité à mi-chemin —  de chez Pascal et F. et du studio de Jeff.

 

C’est sur Jeff que roule la conversation, c’est comme autour de ce point de fuite que se règlent nos échanges tout d’abord.

Nous parlons ainsi — avant même de parler plus précisément de lui — des comédiens en général. C’est étrange comme je me retrouve dans les propos de N*** : il assiste à des spectacles, sans souvent être persuadé de l’intérêt de ce qu’il voit ; les comédiens qu’il rencontre lui paraissent continuer de jouer des rôles, surtout lorsqu’ils sont entre eux, dans une surenchère de postures censées leur correspondre ; à l’issue de représentations, ils font assaut de compliments insincères sur les pièces dans lesquelles ils ont vu jouer leur(s) ami(s).

 

N*** me dit que la vie de couple ne lui convient pas toujours : quelque rencontre de temps à autre ne lui messiérait pas, ajoute-t-il (selon une formule à lui que j’ai oubliée) en s’amusant lui-même de ce désir corrolaire. Néanmoins, il paraît plutôt épanoui, et ce qu’il dit de Jeff n’a jamais rien de négatif.

 

Jeff n’a pu venir parce qu’il donne un cours. Il nous rejoindra plus tard peut-être.

 

Le repas qu’on nous sert est copieux, mais il n’y a pas de carte des vins et je n’ai guère envie d’une bière chinoise.

Des citations d’auteurs sont reproduites sur les murs, qui n’égaient pas tout à fait ce décor dépouillé, blanc, noir et rouge. N*** me dit n’être d’accord avec aucune. J’en pointe une ou deux qui me plaisent : N*** les relit, et s’accorde avec l’une d’entre elles, qu’il avait mal lue, lui attribuant une forme positive quand elle contenait une négative [ou l’inverse, j’ai oublié de quoi il s’agissait depuis, et quelle en était la signature] ; l’autre phrase, sortie de son contexte, a perdu de sa pertinence, et je m’efforce d’en redonner les implications.

Cependant, nous ne parlons guère alors que nous mangeons.

Je raconte néanmoins un peu mon séjour à Fès.

[Est-ce à lui que je développe quelque perspective sociologique forgée durant mon séjour, qui n’a pour  fondement sans doute que du sable ? Il m’a surpris, en tout cas, de voir que les jeunes garçons et jeunes filles paraissent assez librement s’aborder ou converser — plus qu’à Marrakech, m’a-t-il semblé. Et je me suis demandé si ce n’est pas des jeunes Marocains que la jeunesse française — plutôt que l’inverse — tient désormais certains de ses habitus : pantalons de survêtement (si tel est le mot) gris émollients, barbes (qui pullulent désormais sur les visages), garçons qui s’embrassent quand ils se croisent dans la rue, et — qui m’irrite profondément, en raison sans doute d’une éducation qui gardait de la tuberculose quelque souvenir prophylactique –, crachent sans vergogne où qu’ils se trouvent.]

N*** me dit ne connaître des pays musulmans que l’Egypte.

 

Jeff et lui, puisque Jeff habite tout près, sont allés Place de la République voir eux aussi à quoi ressemblaient les Nuits debout.

*  *  *

Nous prenons un verre ensuite dans un bar tout proche.

N*** me parle de sa mère, dépressive et doloriste, dont c’était l’anniversaire la veille. Elle est née en 19** et elle a donc l’âge qu’aurait Hannah aujourd’hui.

Ce qu’il me dit des relations entre sa mère et son père m’évoquent fortement d’ailleurs celles qu’avaient entre eux les parents de S. et Hannah.

 

Alors même que nous nous apprêtons à partir, le café devant bientôt fermer ses portes, N*** aperçoit Jeff qui promène la chienne.

*  *  *

Nous faisons le tour du quartier en leur compagnie, mais Jeff décline notre proposition de se joindre à nous : il doit apprendre six pages du rôle qu’il jouera le lendemain.

N*** propose alors de le retrouver ensuite : Jeff, doucement, dit qu’il veut bien que N*** dorme chez lui, mais qu’il doute avoir du temps à lui consacrer, du fait de ce texte qu’il lui faut connaître.

Je sens N*** dépité de cet autre refus.

Nous nous quittons sur un bord de trottoir de la rue des Filles du Calvaire.

*  *  *

Nous errons quelque peu avant de trouver où prendre un second verre. Nous nous installons sur une première terrasse derrière des parois de verre qui protègent du froid ; malheureusement, cela rend l’endroit irrespirable du fait de la fumée. Je propose un autre café, où nous sommes déjà allés, non loin de là, près du Métro Parmentier. Les conditions — même structure de verre qui cloisonne la terrasse sous un auvent, tant et si bien que l’on se trouve tout aussi enfumés, l’intérieur du café étant vide — sont presque identiques ; mais, désespérant de trouver mieux ailleurs, nous poursuivons là nos bavardages.

*  *  *

Il est tard, l’heure du dernier métro étant déjà dépassée. J’accompagne N*** jusque la station de Vélib’ la plus proche, qui se trouve, dirait Aymeric, dans la rue la plus courte de Paris, celle où B. errait sans trouver la rue P*** la dernière fois qu’elle est venue dîner.

*  *  *

Rentré, je vois que F. et Pascal m’ont laissé une paire de draps. Ils ne sont pas encore rentrés.

Je déplie le canapé-lit et suis bientôt couché.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article