794 - Sotiš in London (7)
Sotiš in London
(sur un air de chapelloise, de polka slovène ou d’English gay gordons)
Paris - Londres - Paris
(journal extime 19 juillet – 4 août 2017)
VII
26 juillet
Matin
Des bruits me parviennent de la cuisine. Je me lève.
Mon petit Slovène se montre moins disert que la veille. Peut-être n’est-il « pas du matin »... A moins que je ne sois en tiers, lui gâtant par ma présence son échappée à Stonehenge, loin des hôtes dont il doit d'ordinaire s’occuper…
Quoi qu’il en soit, la conversation s’en tient à un « good morning ! » tandis qu’il se prépare je ne sais quels corn-flakes et que nous nous tournons littéralement le dos.
J’envoie un message à M.-C. :
Bonjour M.-C.,
La nuit porte conseil (peut-être). Je comprends bien ton découragement d'hier, mais une petite journée de voyage pour un week-end prolongé de quatre jours pleins ce n'est pas grand-chose — si tu parviens à trouver un [vol] pas cher pour jeudi. Bien des bobos le font, et ce, pour un week-end de trois ou quatre jours pas tout à fait pleins !
Bon, d'accord, ici ce n'est pas le grand luxe, mais la literie est ferme et confortable !
Passe une bonne journée.
Bises,
Romain
— puis à Judith, puis à T., puis à mes parents, puis à F. et Pascal, autant de messages adressés avec autant de variantes, mais qui adoptent la même trame.
Survient Cédric (il me dira son prénom ensuite), l’un des trois Français qui logent là — avec deux Allemands, ai-je appris la veille. Nous devisons poliment. Je m’amuse qu’il se dit content de parler à un Français. Il parle très mal anglais, précise-t-il.
Il pleut.
Je me rends à la Tate Gallery. Comme le musée est gratuit, personne — autre avantage — ne fait la queue.
Je revois avec plaisir, quoique inégale, sa très belle collection de préraphaélites, de peintures de Constable et — naturellement — de Turner (même si d'autres, tout aussi considérables, se trouvent à la National Gallery), de sculptures de Henry Moore. Les portraits de l’époque de la Renaissance sont également splendides. Je prends beaucoup de photos — au titre d’une mémoire supplétive, car bien certain d’en rater la plupart, et en vue de recherches ultérieures sur Internet — heureux de revoir Ô Solitude, et de songer ainsi non sans regret à Benoît, depuis longtemps perdu de vue, dont j'aimais les conversations électroniques.
Après deux heures, je suspens mes pas et décide une pause déjeuner.
Je renverse la bouteille de bière que vient de me tendre une serveuse, cependant qu’un responsable, empressé, vient à ma rescousse pour éponger les résultats de ma maladresse. Il m’offre une autre bouteille, autrement plus fraîche, et, alors même que je me dis gagner au change, me laisse ce qui reste de la première… Et le sandwich que j’ai choisi est bien meilleur que celui de la veille…
J’achève ensuite de visiter les salles que je n’ai pu voir durant la matinée…
Parmi les photographies :
- celles que je n’ai pas faites, parce que, de toute évidence, je les aurais ratées (aussi me suis-je contenté de photographier les cartouches) — ou que j’ai ratées de toute façon ;
Edward Coley Burne-Jones, The Golden Stairs, 1880, huile sur toile ; King Cophetua and the Beggar Maid, 1884, huile sur toile
Dante Gabriel Rossetti, Dantis Amor, 1860, huile sur panneau d’acajou (oil on mahogany) ; Beata Beatrix, c. 1867-70, huile sur toile
- celles que j’ai faites, mais qui sont troubles :
James Abbott McNeill Whistler, Symphony in White, n° 2 : The Little White Girl, 1864, huile sur toile
James Abbott McNeill Whistler, Nocturne : Blue and Gold – Old Battersea Bridge c. 1872-5, huile sur toile
— dont ce tableau dont la collection de chanteuses illuminées par une grâce qui tient plus d’une hystérie en devenir que de la foi véritable, paraît d'une mignardise parodique et dont la laideur étonne — tout en me faisant songer à cette installation photographique de jeunes filles aux gueules d’ange d’une école ou d’un pensionnat dont certaines étaient devenues des criminelles, le jeu étant de deviner, parmi une galerie de ces têtes qu’auréolait l’innocence, lesquelles avaient pu devenir des meurtrières, vue à Beaubourg lors de la visite de l'exposition Kollektsia ! : art contemporain en URSS et en Russie, 1950-2000… ou ce tableau peint au cours de la Grande Guerre, dont la verve satirique, la force anti-belliciste, s'impose dès le premier coup d’œil...
ou cet étonnant paravent peint par Bacon…
- celles que j’ai faites, avec toute l’incertitude qui accompagnait le geste photographique :
Peter Blake, Portrait of David Hockney in a Hollywood Spanish Interior, 1965, Acrylic paint, graphite and ink on canvas
Reg Butler, Maquettes for “The Unknown Political Prisoner”, 1951-2, Bronze sheet and wire on plaster base
— ainsi que ce cliché du hall central ;
- et celles que j’ai à peu près réussies — parfois, d’ailleurs, parce que je cherchais à capturer un détail :
John Everett Millais, Ophelia, 1851-2, huile sur toile
JMW Turner, Undine Diving tue Ring to Massanielle, Fisherman of Naples, exhibited 1846
Francis Bacon, Three Studies for Figures at the Base of a Crucifixion, c. 1944, huile sur trois panneaux
Reclining Figure, 1951, Plaster and String
* * *
Je me promène ensuite le long de la Tamise, en regardant la rive opposée, hérissée de grues : une fièvre de construction a pris la ville à l’évidence.
Je remonte ainsi jusqu’au Palais de Westminster.
Je visite les locaux de la Cour suprême du Royaume-Uni
— puis la cour derrière Westminster Abbey.
Je vais ensuite — étonné par ces bâtiments de verre côtoyant de vénérables architectures victoriennes ou jouxtant des monuments historiques —
en direction de Westminster Cathedral,
Holy Souls Chapel
ses mosaïques néobyzantines,
et ses quatorze stations du chemin de la Croix par Eric Gill.
Je pousse ensuite jusque Buckingham Palace, vais jusque Hyde Park Corner, où je prends le métro afin de rentrer.