Archives GA - Ce que je sais et ignore de J.-M. en douze clichés photographiques (7) - CDV - CDVI

Publié le par 1rΩm1

 

 

CE QUE JE SAIS et CE QUE J’IGNORE de J.-M.

en DOUZE CLICHES PHOTOGRAPHIQUES

 

7

 

J.-M. et ses deux maisons

 

 

(J’ai vu malgré moi la date avant de scanner la photo : sauf erreur de ma part, avril 93.)

C’est une photographie que j’aime vraiment beaucoup. Elle montre J.-M. et Pascal dans la maison qu’ils avaient achetée ensemble : lui dans l’escalier métallique toujours demeuré dans son état brut — encore aujourd’hui —, les mains sur les hanches, de trois quarts dos, mais le visage tourné vers l’objectif ; en contrebas, Pascal, une main sur une marche, sourcils, cheveu et yeux noirs. Et tous deux, Pascal et lui, semble-t-il, radieux : propriétaires enfin (sans qu’il faille songer à mal).

On aperçoit les deux fauteuils Bertoia — et trois tapis.

 

Je songe irrésistiblement à des jours heureux. Comment dire ? Même R., toujours critique, semblait approuver comme malgré lui l’aventure de cette maison, de cet étage créé de toutes pièces, de cet escalier en colimaçon, qui, vu de haut, plonge ici sur ce couple vertigineux. Je crois Pascal quand il disait à S*** le jour de la cérémonie qu’il avait aimé J.-M. Les photos témoignent de cette époque — si rien jamais ne peut attester le sentiment...

(Le premier tapis serait-il un Yomud, comme je le crois ? Rien n’empêche de l’imaginer.)

 

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Le bonheur est toujours fragile : la date du tampon bleu est partiellement ininterprétable : 95/ 93, la confusion règne. Mais j’ai peur d’avoir eu préalablement raison : 1993 semble plus probable — effectivement (auquel cas ma chronologie semble plus raisonnable, décidément !).

Car, dans mon souvenir, le bonheur — du moins, ce bonheur — n’aura pas duré deux ans.

 

Et un souvenir régurgite : celui de J.-M. après la rupture en pleurs chez moi, s’écroulant après que ce soir-là je lui avais ouvert et ne se soutenant plus, mordant littéralement la poussière de mon entrée, se tordant de douleur : « C’est un monstre ! il est monstrueux, tu ne peux pas savoir ! » — et moi, empêché de répondre. Bien sûr, j’aimais J.-M. Et sa peine m’éreintait. Mais j’aimais aussi Pascal, que, face à cette douleur exaspérée, je ne pouvais ni défendre, ni accabler. (Ce n’était pas la première fois que j’étais ainsi pris entre ces deux feux : entre eux deux.)

 

(Patrice, à qui je confiais brièvement ce souvenir, se souvenait aussi de l’état de J.-M. dans les mois, les années difficiles qui ont suivi...

La maison a donc été vendue. C’est une amie commune, M., qui l’a achetée. Même si j’en aime moins l’ameublement, j’ai toujours plaisir à m’y retrouver. C’est aussi là que nous avons réveillonné le soir du dernier Noël, M., son fils, sa bru, sa petite-fille, son compagnon, un de ses amis, mes parents, J.-M. et moi, en une conjonction improbable mais ravie — le dernier moment peut-être d’un bonheur partagé, avant que tout aille bien plus mal, avant que la maladie s’installe définitivement, qu’elle vrille ce corps désormais souffrant qui ne vivrait bientôt plus que sous morphine et alité...)

 

(J’apprends aujourd’hui [26 mai] que C., croisée hier dans la dernière maison où a vécu J.-M., a déjà signé — un dimanche et, qui plus est, du jour au lendemain — un compromis de vente pour acheter la maison.)

 

Si elle n’était jamais venue dans ce petit pavillon entouré d’un beau et grand jardin amoureusement entretenu, c’est en découvrant un tableau de nu masculin — l’autoportrait d’un peintre que possédaient depuis longtemps J.-M. et Pascal et que ce dernier avait cédé à J.-M. au moment de leur séparation —, en voyant les fauteuils Bertoia, que cette ancienne amie de J.-M., perdue de vue depuis quelques temps pour je ne sais quel aléa frictionnel sans véritable épaisseur j’imagine, a tout d'un coup réalisé qui était l’ancien occupant des lieux... Si ma surprise a été grande de la trouver là, la sienne lui avait fait perdre un instant pied...

Et c’est au seuil du cimetière de L****, alors que nous nous apprêtions à déposer les cendres de J.-M. dans ce qui serait bientôt son ultime demeure, que le portable de Patrice (l’ancien portable de J.-M. devenu le sien depuis peu) a sonné et que nous avons appris que C. et son compagnon se portaient acquéreurs de la maison... Celle-ci aura donc été vendue au tout commencement des visites programmées par cette femme de l’agence immobilière à qui Patrice avait confié un mandat de vente — aux seconds visiteurs très exactement, et dans un délai de réflexion qui n’aura pas excédé deux heures.

 

 

Cet enchaînement de circonstances me plaît.

Il aurait ravi, j’en suis certain, J.-M. lui-même. Par deux fois, deux maisons — les seules maisons, les autres lieux étant des appartements... — où J.-M. était occupant et propriétaire auront échu à des amies, conquises par les transformations opérées par leur habitant.

Et je me plais aussi à imaginer que Pascal — qui me demandait quelques temps auparavant si je savais ce que devenait C... — aura peut-être ses entrées encore dans cette maison lorsqu’il séjournera chez moi à ***, ces circonstances offrant un prétexte commode pour renouer avec C.

 

 

*

*    *

 

Je récapitule souvent, sans que j’en sache la raison, les domiciles — les miens, les siens... — où nous avons vécu J.-M. et moi.

J’en dénombre cinq, tant pour lui que pour moi. Je ne sais plus si c’est pour le dernier ou l’avant-dernier, voire pour les deux derniers, que nous avions acheté — comme on dit intransitivement, par pudeur, paresse, hypocrisie, mesquinerie ou satisfaction bourgeoise — à peu près au même moment : les dates en seraient faciles à retrouver en interrogeant les uns ou les autres, mais ça n’a évidemment aucune importance. Sinon pour lui naguère ; sinon, désormais, pour moi...

 

Je passe devant le second appartement dont J.-M. et Pascal ont été locataires presque tous les jours. Et, malgré moi, je scrute un signe de vie derrière ces fenêtres, ne m’attendant certes pas à y voir des fantômes, mais pour suturer des instants de vie, qui, heureux ou malheureux, ont pu compter et ont été mis en partage...

 

Et je reviens obstinément à cette image d’un bonheur insolent où deux protagonistes ont d’évidents projets d’avenir éclatants. La photographie en garde la trace, qui m’a fait inscrire le présent dans la phrase qui les retrace...

 

 

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