846 - Des jardins sous la pluie (11)
Des jardins sous la pluie
Paris - Séville - Grenade - Malaga - Paris
(Journal extime, 24 février - 9 mars 2018)
11
5 mars
Malaga, après-midi
Le pavement empêche de pousser la valise auprès de soi, je dois par conséquent la tirer sur deux roues.
Et je m’étale (c’est la seconde fois durant ce séjour) en voulant traverser une rue.
Le soleil est exceptionnellement là, mais il fait un vent furieux.
Arrivé à bon port après une vingtaine de minutes de marche depuis la gare routière, il n’y a personne pour m’accueillir. J’envoie un message. Le logeur arrive après trente minutes, une espèce de macho caricatural, qui ne semble pas parler anglais ; nous finissons toutefois par nous comprendre avec force gestes et équivalences entre français et espagnol — sur l’essentiel.
Il ne s’attarde pas, et je ne le retiens pas davantage.
J’ai oublié de lui demander où je pourrais trouver un supermarché. Il n’y pas grand-chose dans les placards. Du sel, pas de sucre, ni huile, ni vinaigre, ni poivre. Je décide d’aller à l’aventure et de faire des courses au passage.
La pluie se met de la partie.
J’avise, sur une place, un office du tourisme. J’y entre pour me faire donner un plan et indiquer le supermarché le plus proche de l’endroit et de mon quartier de résidence.
Comme il pleut de plus en plus et que le vent pourrait s’en prendre à mon parapluie, j’entre dans un magasin de marque internationale de vêtements pour hommes.
L’œil attiré par un blouson qui paraît en daim, j’en touche la matière, regarde le prix et les étiquettes (c’est bien du cuir). Stupeur : mes mains mouillées semblent décolorer la manche des deux blousons que j’ai ainsi tâtés. Ma stupéfaction est plus vive encore quand je comprends qu’en fait je saigne, et que c’est du sang qui s’est déposé, de façon tout indolore, sur les deux vêtements.
L’idée me vient de héler le vendeur qui m’a salué mollement à mon entrée. Puis, après de brusques, rapides et fiévreuses cogitations, je me dis que cela passera par profits et pertes pour le magasin de marque internationale et me dirige vers la sortie. Il n’empêche que je ne suis pas fier — et que me pousse un mal de ventre presque incontinent. Je me demande aussi comment cela a pu se produire. J’incrimine d’abord le papier tranchant du plan donné par l’homme accort de l’office de tourisme, puis, sentant un élancement dans le genou, comprends tout à coup que je saigne ainsi depuis ma chute dans la rue quelque une heure et demie auparavant.
Soir
Après un dîner médiocre improvisé à partir des courses faites dans le petit supermarché qui m’avait été indiqué et que j’ai fini par trouver, j’écris successivement à T., Marthe et Paul, F. et Pascal, sur une même trame à laquelle je fais subir, en fonction de mes interlocuteurs, quelques menues variations.
Bonsoir F., bonsoir Pascal,
Après Séville, Grenade, me voici, ce soir, fraîchement (le mot est de rigueur ^^ !) débarqué à Malaga — avant le retour à Paris dans la nuit de jeudi à vendredi prochains.
Ce seront sans doute des vacances inoubliables. Je me dois de vous livrer, à ce sujet, quelques clés :
Par exemple, tenez : un phénomène météorologique encore totalement inexpliqué s’est produit à Grenade samedi durant toute la matinée et jusque 15 heures environ : il n’est pas tombé une seule goutte de pluie.
Cependant, vendredi, jour où je visitais l’Alhambra à la fraîche (à 08:30), dès dix heures et sans discontinuer ensuite, il a plu des litres d’eau sur ma tête (et celle des autres visiteurs, mais, bon !, cela ne m’a que peu consolé). Les jardins de l’Alhambra n’étaient pas fermés [voir photos] comme l’étaient ceux de l’Alcazar l’avant-veille [voir photo] — mais il n’y avait personne évidemment pour vouloir s’y attarder ! Aller des palais nasrides jusqu’au Generalife, puis revenir, m’a trempé jusqu’à la moelle des os durablement…
Et, en outre (d’eau), c’était le jour où je changeais de logement : il a donc fallu patienter jusque 18 heures après le restaurant du déjeuner (certes, tardif), après une pause ensuite dans un bar, pour que je me trouve au sec enfin dans une “studette” qui rappelle furieusement par sa surface certains logements parisiens…
Il paraît qu’il pleut au moins jusque mercredi en Andalousie. Ça tombe bien — toute cette eau —, puisque je pars le lendemain… J’ai fini par acheter un parapluie — qui résistera peut-être au vent (mais il paraît aussi furieux ici qu’il ne l’était à Séville). Si je vous disais toute l’eau tombée dans ma grenadine, vous crieriez grâce assurément…
Voilà pour la carte postale (humide), assez à contre-courant de celles qu’on reçoit d’ordinaire (on mange bien… il fait beau… la paëlla est bonne… les Espagnol-e-s, gnagnagnagna, sont très gentil-le-s...). […]
Si F. ne jette plus massivement ses mails au retour de vacances, vous me lirez peut-être ^^ — occasion de vous embrasser,
Romain
P.-S. [à Marthe et Paul] – Les images qui accompagnent ce mail sont assez parlantes. L’une exprime mon « état d’âme », non pas d’avoir de la pluie jusque par-dessus la tête, mais d’avoir la tête tout entière plongée dans des seaux d’eau, et ce, dans une perspective renversée. Le chat dans l’Alhambra est destiné à Marthe. Et Marc-Aurèle, dans l'un de ses nombreux avatars, à Paul. (T., lui, a déjà reçu un Corto ^^ !)
Je penserai à vous mardi (9° — mais ce ne seront que « quelques averses », pas des “à verse” continus, si j'en crois mes sources météorologiques ce soir !)