839 - Des jardins sous la pluie (5)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Des jardins sous la pluie

 

 

Paris - Séville - Grenade - Malaga - Paris

 

 

(Journal extime, 24 février - 9 mars 2018)

 

 

 

 

5

 

 

 « Cependant je me crois vivant, écrivant pour l'heure malaimablement sur mon commerce

avec les fantômes, et je crains que ça ne s'arrange pas. »

Mathieu Riboulet, le Regard de la source [2003], Verdier/ poche, 2017, p. 24.

 

27 février

Matin, Paris

Réveillé par Emma que j’entends vaquer dans l’appartement, je me lève trente minutes en avance sur la sonnerie du réveil. Entre-temps, Emma est partie travailler. Je déjeune et me douche en tâchant de faire le moins de bruit possible.

 

Le froid est toujours aussi mordant.

Le crépuscule du matin sur la zone aéroportuaire est, lui, triste et laid.

Tout à l’idée de bénéficier d’une météorologie plus clémente en Andalousie, je mets la doublure de ma veste en cuir et le pull que je porte dans la valise avant de passer à l’enregistrement des bagages.

 

Séville, après-midi

L’avion atterrit avec cinq minutes d’avance. Moins d’un quart d’heure ensuite, je sors sans aucun contrôle avec ma valise et prends un bus jusque Prado San Sebastian.

Il fait chaud. J’ôte veste et pull.

Je perds un peu de temps en me trompant dans le lacis de ruelles de Santa Cruz, mais finis par trouver l’impasse où je vais loger durant deux nuits, avant de me rendre à Grenade.

Devant l’immeuble, je dois me rendre à l’évidence : je ne trouve aucune sonnette. Le podologue à côté, alors qu’il raccompagne une patiente âgée qui, de fait, éprouve des difficultés à marcher et auquel je m’adresse, hèle Juan, mon logeur, qui apparaît sur une terrasse.

 

Juan me fait visiter les lieux : je serai logé dans une toute petite chambre donnant sur le patio de la maison.

Juan parle assez bien français, ce qui me dispense de l’ineffable globish auquel la plupart de mes interlocuteurs n’entend pas toujours ce que je dis, mon anglais oral étant vicié de formules littéraires apprises à une époque où les langues étrangères étaient surtout prétexte à l’exercice de la version écrite…

Après le tour de l’endroit, je pose mes valises et déballe quelques articles nécessaires aux heures à venir.

Je me mets en route afin de revoir la Maison de Pilate (Casa de Pilatos), laquelle, à mon sens, n’est pas très loin.

Comme j’ai oublié la paire de chaussures que j’entends faire ressemeler par l’artisan auquel j’ai eu affaire quand j’étais venu à Séville la fois précédente, je reviens sur mes pas pour emporter ces mocassins qui me plaisent d’autant mieux qu’ils me rappellent Julien.

Il pleut par intermittences.

 

Le lieu, quoique moins fleuri, après presque quatre ans n’a pas changé

6 mai 2014
6 mai 2014
6 mai 2014
6 mai 2014

6 mai 2014

27 février 2018
27 février 2018
27 février 2018
27 février 2018
27 février 2018
27 février 2018

27 février 2018

— mais pollué par des rubans pour empêcher le passage, comme pour une scène de crime.

 

 

27 février 2018
27 février 2018

27 février 2018

6 mai 2014
6 mai 2014
6 mai 2014

6 mai 2014

L’audioguide prêté est, comme la plupart du temps, d’un intérêt plus que limité.

Tant qu’à mettre des pas dans mes pas, je retrouve, tant bien que mal — ma mémoire mise parfois en berne —, le marché couvert Feria où j’avais (donc) fait ressemeler mes chaussures auparavant. La plupart des échoppes s’avère fermée. Seuls sont ouverts des bars à restauration rapide, et rien n’indique que mon cordonnier n’ait pas plié boutique après leur établissement. Le lieu est donc surtout devenu un endroit à boustifaille.

Je pousse jusqu’à mon ancienne adresse en songeant fortement encore à Julien, mais sans pénétrer dans la ruelle, me contentant d’en photographier la plaque.

 

27 février 2018

27 février 2018

4 mai 2014

4 mai 2014

Les pieds déjà battus, je fais halte pour boire une bière Alameda de Hercules.

 

3 mai 2014
3 mai 2014

3 mai 2014

En sortant, je remarque l’enseigne d’un bar dont je n’avais plus souvenir, que je photographie en vue d’un clin d’œil spécifique à T.

 

839 - Des jardins sous la pluie (5)

 

Fin d’après-midi, Musée des Beaux-Arts

J’ai plaisir à revoir ce musée, à circuler dans des salles presque vides, après la presse à Orsay trois jours auparavant. Le musée abrite une très belle exposition Murillo (je me souvenais des salles qui lui étaient déjà consacrées — auparavant). Il est malheureusement interdit de photographier. Les tableaux qui me plaisent le plus — notamment un saint François enlaçant un Christ au pilori [ou crucifié ?, ma mémoire est aujourd’hui en défaut] — ne sont pas reproduits en cartes postales à la boutique du musée — je ne m’en étonne pas, toutes ayant rapport avec la martyrologie et faisant la peau à l’idée exclusive d’un Murillo suave, préoccupé de bambins et de mendiants — et je ne les trouverai pas davantage sur la toile ensuite, après pourtant en avoir noté les références avec soin…

 

© Internet
© Internet

© Internet

Je circule entre divers tableaux et sculptures. Je m’apercevrai, à ce propos, d’une erreur grossière dans une retranscription faite la fois précédente — le 7 mai 2014 — localisant au Musée des Beaux-Arts de Cordoue un Saint Sébastien de Ribera et son atelier alors même que je me trouve ce jour face à lui à Séville ! C’est donc bien la veille — le 6 — que je l’avais photographié, en même temps qu’un tableau de Murillo1.

 

6 mai 2014

6 mai 2014

Dans ma moisson photographique, j’emporte un Greco dont on aurait pu penser qu’il s’agissait d’un autoportrait ;

Domenico Theothocopoulos El Greco, Retrato de su hijo Jorge Manuel (hacia 1600)

Domenico Theothocopoulos El Greco, Retrato de su hijo Jorge Manuel (hacia 1600)

un Calvaire de Lucas Cranach de facture assez inhabituelle (dont les phylactères même agrandis me demeurent illisibles) ;

Lucas Cranach, Calvario (1538)

Lucas Cranach, Calvario (1538)

un retable de saint Jean Baptiste de Miguel Adan ;

Miguel Adan (1532-1610), Retablo de San Juan Bautista, Monasterio de Las Dueñas, Sevilla, Desamortización (1869)

Miguel Adan (1532-1610), Retablo de San Juan Bautista, Monasterio de Las Dueñas, Sevilla, Desamortización (1869)

une tête décollée de saint Jean d’un réalisme étonnamment cru (à une époque où la vérité anatomique imposait sa veine — si l’on ose dire !) ;

839 - Des jardins sous la pluie (5)

une tête d’apôtre (Pierre ? Paul ?) assise encore sur ses épaules de Velázquez ;

 

Diego Velázquez, Cabeza de apóstol

Diego Velázquez, Cabeza de apóstol

un saint Jérôme en pénitence, emprunt de douceur et de lumière, presque à rebours du sujet traité ;

Bartolomé Esteban Murillo, San Jerónimo pénitente (hacia 1665)

Bartolomé Esteban Murillo, San Jerónimo pénitente (hacia 1665)

deux portraits de Ribera (qui m’accompagne de plus en plus) ;

José de Ribera, Santiago Apóstol (hacia 1634)

José de Ribera, Santiago Apóstol (hacia 1634)

José de Ribera, Santa Teresa de Jesús (hacia 1630)

José de Ribera, Santa Teresa de Jesús (hacia 1630)

je photographie également deux crucifixions de Zurbarán,

Francisco de Zurbarán, Cristo Crucificado (hacia 1635/ 1640)
Francisco de Zurbarán, Cristo Crucificado (hacia 1635/ 1640)

Francisco de Zurbarán, Cristo Crucificado (hacia 1635/ 1640)

Francisco de Zurbarán, Jesús crucificado expirante (hacia 1640)

Francisco de Zurbarán, Jesús crucificado expirante (hacia 1640)

à nouveau une décollation de saint Jean assez saisissante d’un peintre dont je remarque presque toujours les toiles, Giovanni Battista Caracciolo

Giovanni Battista Caracciolo (1578-1637), la Degollación del Bautista (hacia 1630)
Giovanni Battista Caracciolo (1578-1637), la Degollación del Bautista (hacia 1630)

Giovanni Battista Caracciolo (1578-1637), la Degollación del Bautista (hacia 1630)

— et dont j’aime beaucoup le Noli me tangere, qui me paraît d’une incroyable contemporanéité dans ses gesticulations théâtrales de comédie musicale…

© Internet

© Internet

D’autres toiles, plus récentes et anecdotiques, sollicitent mon attention : l’une pour le souci du détail réaliste, de l’ethnologie, apporté à cette embuscade des Maures qui souffle son orientalisme presque de pacotille,

Fernando Tirado, Emboscada mora (1880)

Fernando Tirado, Emboscada mora (1880)

l’autre pour l’énigmatique (?) gravité (autant que l’est la disparition de son auteur, mort peut-être durant la guerre civile) de ces gamines livrées à elles-mêmes autour d’un repas frugal

Rafael Martinez Dias (Madrid 1915 - ?), Escena de Familia
Rafael Martinez Dias (Madrid 1915 - ?), Escena de Familia

Rafael Martinez Dias (Madrid 1915 - ?), Escena de Familia

le dernier, malgré les scintillements indiscrets d’un vernis trop réactif à la lumière, pour le charme qui se dégage de l’autoportrait de ce peintre, assurément lui-même charmant, enjoué.

Gustavo Bacarisas (1873-1971), Autorretrato (1902)

Gustavo Bacarisas (1873-1971), Autorretrato (1902)

Je rate deux prises au moins — et les retrouverai assez aisément ensuite sur Internet —, celles de deux toiles d’Alonso Cano,

Alonso Cano, las Animas del Purgatorio (1636), Convento de Monte Sión, Sevilla, Desamortización (1840) © Internet

Alonso Cano, las Animas del Purgatorio (1636), Convento de Monte Sión, Sevilla, Desamortización (1840) © Internet

Alonso Cano, San Francisco de Borja (1624), Casa Profesa de la Compañía de Jesús, Sevilla, Desamortización (1840) © Internet

Alonso Cano, San Francisco de Borja (1624), Casa Profesa de la Compañía de Jesús, Sevilla, Desamortización (1840) © Internet

— en même temps que une version moins scintillante de l’autoportrait de Gustavo Bacarisas.

© Internet

© Internet

Quant à la prétendue « scène de famille », sur le dernier site consulté, elle est plus dramatiquement intitulée Niñas pobres, ce qui tout de même paraît plus conforme à ce que l’on voit ou pourrait imaginer…

 

Soir

J’ai reçu un courriel d’Aymeric. J’ai plaisir à lui répondre en adjoignant une photographie prise l’après-midi :

 

Bonsoir Pierrick,

 

Moi aussi j’ai passé un agréable moment en ta compagnie. C’est la première fois que je me suis senti véritablement en vacances, dégagé momentanément de soucis (après l’épisode du matin pour régler la déclaration de la femme de ménage !).

Malgré les pluies intermittentes (elles durent de cinq à dix minutes et, très élégantes, s’abstiennent de tomber drument), il fait ici 18° — et 14 encore vers 21 heures.

J’ai réussi à me perdre dans le lacis des ruelles de Séville, croyant — ô mémoire présomptueuse — que je m’y retrouverais…

 

6 mai 2014

6 mai 2014

Je joins à mon envoi le Ribera du jour.

 

839 - Des jardins sous la pluie (5)

A bientôt,

Amitiés,

Romain

 

 

-=-=-=-=-=-=-=-

1En fait — et je ne m'en souvenais aucunement — cette erreur avait été rectifiée déjà dans un article précédent [ajout du 3 août 2018] !

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article