840 - Des jardins sous la pluie (6)
Des jardins sous la pluie
Paris - Séville - Grenade - Malaga - Paris
(Journal extime, 24 février - 9 mars 2018)
6
« Toutes les nuits, […] l'eau tombant de la béante trappe du ciel envahit
le plan sonore, à la faveur de l'obscurité se fait plus menaçante encore […] :
nous n'aurons pas à nous débattre quand les eaux viendront nous prendre. »
Mathieu Riboulet, le Regard de la source [2003], Verdier/ poche, 2017, p. 60.
Nuit du 27 au 28
En dépit du patio couvert, la pluie pénètre. Elle s’amoncelle en flaques que j’éviterai soigneusement pour ne pas salir le carrelage de la cuisine et de la salle à manger.
J’apprends par une jeune Asiatique qui réside là qu’aujourd’hui est férié. Sans doute est-ce pour cette raison que des noctambules m’ont réveillé après quatre heures du matin, leur tintouin sous les arcades de la rue se répercutant jusqu’au fond de l’impasse et me revenant amplifié comme si les murs étaient de papier.
Matin
Je visite à nouveau l’Alcazar. Il se met à pleuvoir alors que, vingt bonnes minutes en avance, j’attends que les portes du palais s’ouvrent.
Les mêmes choses m’impressionnent, que je regarde parfois de plus près — tel ce serpent qui se signale à mon œil.
La seule différence à ce jeu des sept erreurs tient, d’une part, à la différence d’ensoleillement, de l’autre, à une exposition sur des azulejos.
Du fait de la pluie, continuelle, les jardins sont fermés, inaccessibles. Je n’en verrai qu’une faible partie à travers de grilles, ou une portion embuée à partir de fenêtres à l’étage.
Je me souviens alors du jeune homme, attablé avec parents et sœur, avec qui tout un jeu de regards s’était mis en place à la terrasse du café, accessible alors — et ensoleillée.
Je refais, à l’envers, le parcours — et, selon les opportunités, m’essaie à de nouveaux clichés.
(Je renonce, par la suite, à revoir la cathédrale ou ascensionner à nouveau la Giralda.
— Tant pis pour la vue sur Séville.)
Après-midi
Toute proche de l’endroit où je réside se trouve la Casa Salinas, ouverte au public depuis peu, une demeure hispano-italo-mauresque du XVIe siècle qui paraît vouloir tenir d’autres promesses de beauté (d'autant qu'elle s'est impunément agrégée une mosaïque romaine...) La visite guidée que me fait faire une jeune femme agréable dont je comprends parfaitement l’anglais est intéressante.
Mes photographies ne s’alignent pas pour autant sur cette splendeur qui semble vouloir intimider l’objectif d'une lumière tremblée.
Je pousse ensuite jusqu’aux arènes, que je ne crois pas avoir vues lors de mon précédent voyage, mais me contente de l’extérieur.
Entre deux courtes accalmies, il tombe puis retombe et retombe des cordes régulièrement.
Je renonce sur le moment à voir l’Hôpital de la Charité, dont le prix d’entrée a été majoré du fait d’un parcours Murillo dont, si je sais qu’il est né à Séville, j’ignore encore pourquoi on l’honore tant (même si je pressens quelque commémoration…).
(J’en apprendrai le lendemain la raison sur le caparaçon d’un tram, avant de m’en aller.)
Cette pluie finit par transpercer les différentes couches de vêtements. De temps à autre, le vent souffle en rafales furieuses et froides.
Selon Juan, il pleuvra demain tout autant.
Et je crains que ce ne soit la même chose pour les jours à venir, à Grenade ou Malaga.
Revenu dans ma chambre, je relis mon journal sévillan de 2014.
Je m’effare des coquilles et, surtout — je l’ai dit déjà —, de mon erreur grossière concernant le saint Sébastien de Ribera et son atelier revu la veille, que j’avais cru découvrir à Cordoue ! J’avais pourtant bien en mémoire certaines toiles, y compris d’ailleurs celles qui m'avaient moins plu — mais il est curieux que j’aie pu oublier les deux autres tableaux attribués à Ribera lui-même sans le secours de son atelier (peut-être n’aurais-je pas dû laisser s’écouler tant de temps avant de mettre en forme mes notes, me dis-je aussi rétrospectivement qu'inutilement ; cependant, la simple vérification des données numériques de date et d’heure aurait dû jouer son office de mémoire supplétive !).
Soir
Je dîne dans le restaurant où je suis allé deux fois lors de mon précédent voyage. Il me faut patienter jusqu’à l’heure de l’ouverture. Je le constate à mon grand dam : j’ai eu du mal, à nouveau, à m’orienter et à retrouver le cours qui s’étend entre les colonnes d’Hercule. Commencerais-je à moins savoir m'orienter ?
Le tartare de thon est excellent, et le risotto, très bon — mais beaucoup trop copieux (j’aurais pu ne prendre qu’une demi-portion plutôt que de me rêver en géant ingurgitivore…).
Je songe n’être pas farouchement amoureux de Séville sous la pluie.
— Cette fin d’hiver est bien difficile, ici comme ailleurs, lorsqu’aux froids septentrionaux glaciaux succèdent des rincées trop peu méridionales...