901 - Journal d'un conscrit (32) [in memoriam J.-M.]
C***, le 15 juillet 1984
J.-M.,
« C*** : 4 minutes d’arrêt » — tel est le cri d’accueil terrible qu’ont ici les haut-parleurs de la gare.
Ils mentent. Ehontément. Pour ce qui me concerne, j’ai calculé mentalement que j’y resterais cinq mille fois environ plus longtemps.
Ce qui me console cependant, c’est de savoir qu’au-delà du mois de septembre, s’il m’arrive, lors, de fréquenter la ligne ****-Paris, cette réalité des voyageurs outrepassant les « villes de garnison » sera la mienne également.
Et je fermerai les yeux pour ne rien voir. Ou bien alors, si m’effleure quelque souvenir, je m’abriterai derrières les larges pages d’un journal pour être, déployé, ce même voyageur libre, détaché, sentimentalement insouciant, qui se rit de toutes les entraves possibles.
Voilà le rêve. Venons-en aux réalités.
« Jour de garde », hier 14 juillet. Thierry, en ce moment, est « brigadier de semaine ». C’est lui donc qui m’a réveillé. Il m’amuse qu’il ait déploré de n’avoir pas retrouvé dans ses affaires un tee-shirt marqué Révolution royaliste pour la circonstance. Mais il faut que je te raconte comment j’ai “donné” pour la commémoration de cette République Française qui indispose tant le cher Thierry…
Voir surgir en milieu d’après-midi un Commandant dans son bureau (où s’entasse une pile fort impressionnante de « notes de services » impérieuses et impatientes) a toujours l’avant-goût de je-ne-sais-quoi d’alarmant.
Il n’est pas la peine, non, de protester que les « fêtes nationales » vous indisposent naturellement (pour bien d’autres motifs que ceux qu’allègue Thierry), vous voilà désigné pour conduire au défilé l’Adjudant-Chef Tartempion désigné lui-même pour être le « porte-étendard »… Qu’est-ce à dire ? L’on ne vous apporte aucun éclaircissement, et vous vivez jusqu’au dernier moment d’un doux “suspense”…
Heureusement, on vous adjoint un rassurant compagnon d’infortune, Pascal ; au moins, vous aurez quelqu’un avec lequel, au pire, vous pourrez furtivement échanger quelque regard complice — au mieux, dialoguer.
Ce ne fut pas bien terrible, après tout. C’est sans nous « faire engueuler » que nous avons assisté au défilé, d’abord sur un coin de route, puis, voyant que ces messieurs se mettaient au « garde-à-vous » dès la moindre note de « “musique” », nous nous sommes réfugiés dans l’une des deux voitures — où nous avons continué à bavarder — pour en voir le reste. A 20 heures 30, après une très comique et solennelle cérémonie pendant laquelle le « porte-étendard » a rendu son magnifique chiffon à son fourreau d’origine — deux « sections » complètes ont défilé, en chantant — après donc ces diverses et maintes simagrées, le tout était expédié.
Nous avons donc pu aller voir le feu d’artifice. Assez spectaculaire, en vérité. Son et lumière. Impressionnant « bouquet final ». Salves bien rythmées. Contrepoints réussis d’avec la musique et le commentaire — lequel avait pour thème : « C***, la ville qui voulait des soldats ». J’en ai conclu que la municipalité avait sans doute reçu des subsides du Ministère de la Défense au prix d’un commentaire assommant…
Bref, militaires et « républicains », main dans la main, unis dans une sottise fraternelle : drôle de 14 juillet…
Le 14 proprement dit, il a plu à verse sur les « plantons » — dont j’étais —, sans cesser pendant la nuit.
Ce fut comme une histoire de “pétard mouillé”. En quelque sorte.