878 - Prolégomènes à toute belgitude future (4)
Prolégomènes
à toute belgitude future
(Metz - Paris - ****)
(22 juillet - 12 août 2018)
IV
1er août
Matin
J’ai dormi toutes fenêtres ouvertes. La température est redescendue à 22° dans l’appartement. Un souffle d’air presque trop frais s’invite le matin.
Autre agrément : la blessure ne fait plus mal lorsque la tête se frotte par inadvertance à l’oreiller.
Je reçois un message d’Aymeric, qui me remercie de la journée passée ensemble la veille.
Après-midi
Du fait d’une ambiguïté d’affichage sur son site, voulant voir la Captive aux yeux clairs de Howard Hawks pour me mettre dans une ambiance climatisée — comme il me semblait bien que c’était le cas une première quinzaine du mois d’août —, je trouve la Cinémathèque fermée.
J’hésite un instant en voyant une passerelle Simone de Beauvoir qui mène à la Bibliothèque Nationale François Mitterrand, mais attrape un bus et vais — je n’en suis pas si loin — voir l’ultime exposition de la Maison Rouge, l’Envol ou le rêve de voler, dont j’avais entendu parler.
Amusante, onirique, délirante, riche en attendus divers, l’exposition me plaît, et j’en lis la brochure in extenso lors d’une station à la cafétéria du lieu, avant de revoir des œuvres ou des détails qui m’avaient échappé.
Dès l’entrée, la séquence du film de Fellini la Dolce Vita, où l’on suit un hélicoptère transportant un Christ (« sauvetage hélitreuillé du Rédempteur ! »), donne le ton. La photographie de P. W. Wodehouse, le Père Patrick de la Scarboro Foreign Mission aux côtés de notre-Dame de Fátima, faisant route vers Port-d’Espagne, quand on suit le couloir, sur le mur opposé, lui fait immédiatement, comiquement écho — la Vierge, à défaut d'une ceinture de sécurité ou de chasteté, amarrée debout sur le siège. Naturellement, “Zone” d’Apollinaire (« C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs/ Il détient le record du monde pour la hauteur ») est cité.
P. W. Wodehouse, le Père Patrick de la Scarboro Foreign Mission aux côtés de notre-Dame de Fátima, faisant route vers Port-d’Espagne publiée dans le New York Times le 20 avril 1980 © Internet
Ce sont ces à-propos et correspondances qui font tout le sel et l’intérêt du parcours, et, la climatisation aidant, en faisant une halte d’un gros quart d’heure pour lire la brochure offerte à l'entrée (donc), je resterai trois heures, ne boudant pas mon plaisir.
Je prends beaucoup de clichés des œuvres diverses, dans des circuits de pas et de pensées parfois complexes, « tambours-trompettes » souvent féconds
Gustav Mesmer (1903-1994), Vélo-hélicoptère, 1978. Plastique, bois, acier et pneu, Fondation Gustav Mesmer, Allemagne.
— à l’image de ce mobile qui réorganise anagrammatiquement et très justement — même si c'est en trichant un peu, puisque l’apostrophe devient un i — en « la peur sainte » les lettres de « l’apesanteur ».
Nicolas Darrot (1972- ), l’Apesanteur, 2005, Matériaux divers et servomoteurs
Autre mobile motorisé (si je puis dire, car telle n’est peut-être pas l’expression consacrée ?), cette hélice à plumes de Rebecca Horn :
Rebecca Horn (1944 - ), la petite Sirène, 1990, Plumes, moteur et tige métallique
En bon Niçois, Yves Klein, dans la même salle, joue les ca(sse-)cou(s), mais ce, sous forme de canular pour le « Le journal d’un seul jour », et grâce à un support que la photographie ne révèle pas — support sur lequel les visiteurs sont invités à se poser et poser eux-mêmes pour un même “happening”.
Y. Klein (1928-1962), le Journal d’un seul jour, Paris, le 27 novembre 1960, Impression typographique recto verso en noir, feuillet double, Collection privée © Succession Yves Klein/ADAGP, Paris/ SVA, Buenos Aires, 2017
Du cocasse au canular, du jeu d’esprit au calembour, le dramatique le cède sans doute à l’humour noir (?) en donnant à voir cette sorcière d’un immeuble parisien qui, dans l'escalier peut-être, s’est pris les pieds dans la serpillère et a ensanglanté le mur
Pierre Joseph (1965 - ), la Sorcière, 1993, Cibachrome marouflé sur aluminium, Fonds Régional d’Art contemporain, Provence-Alpes Côte d’Azur
— comme a dû ensanglanter le bitume cet autre “performeur” qui s’est jeté de la tour Eiffel au début du XXe siècle, Franz Reichelt, dans un diaporama intitulé Flying Man.
Et je retrouve mon enfance, ce jadis où j’aimais les petites voitures (la légende familiale veut que, des grosses, je reconnaissais les modèles en entendant le moteur), et vais m’émerveillant, face à toutes sortes de petits engins bricolés au moyen de divers matériaux de récupération, qui ne volent évidemment pas et me font penser au tapis volant vu Marrakech, lequel m’avait beaucoup amusé.
Damián Valdés Dilla (1970 - ), Sans titre (sans date), Assemblage de matériaux divers de récupération
— tandis que d’autres, à l’instar du dernier, s’envolent véritablement dans une vidéo impressionnante (56 Klein Helikopter de Roman Signer), comme autant d’insectes désordonnés et vrombissants que l’on repousse en imagination s’ils venaient à franchir les limites de l’écran et nous assaillir, tout à rebours de l’envol, souriant et poétique, de deux parapluies enlacés par la crosse que donne à voir le même artiste.
Et ressortit à l’humour encore — sans doute — cette échelle des songes dont le dernier barreau appose « THE END » tant il est vrai que le vœu d’envol n’est guère suivi d’effet, au grand dam d’Icare évidemment !
Je revois le Voyage dans la Lune de Georges Méliès (vu à Pompidou-Metz, dans le cadre d’une exposition, peut-être la toute première…)
— tandis que je retrouve avec le même plaisir Rodin
et que ce bronze de Stephan Balkenhol me rappelle Malaga.
Du funambule au danseur, de l’homme-canon à la femme qui s’envoie au ciel with diamonds, les perspectives abondent de ce permis de voler en rêve qui se décline sous toutes ses formes :
Auguste Rodin, Figure volante, petit modèle, 1966, Bronze réalisé par Georges Rudier, fonte au sable
Jan Malik (1904-1980), Sans titre (Diable au nu), vers 1980, Bois peint, Collection Antoine de Galbert, Paris
— et je chausse aussi mes oreilles d’un casque pour entendre Envol de Pierre Henry.
A défaut du cliché de Michael O’Neill — dont j’avais noté les références — pris lors d’une répétition de Beach Birds for Camera de Merce Cunnigham, je trouverai sur la toile cette vidéo : sur une musique de John Cage, des oiseaux blancs aux ailes noires volent et glissent, tournoient, se chassent et s’échassent, se démantèlent et sautèlent — en un mot : dansent —, pour mieux dire que nous ne sommes pas plus des dieux que des créatures aviaires, que nous ne sommes de fait pas ces dieux qu’appelait Nietzsche dans le plus bel appel que je sache à un messianisme irrésistible mais impossible. Le noir et blanc de la vidéo le cède à un pas de deux en couleurs, moins amoureux que fait pour éprouver les limites qu’ont nos ailes et nos membres — même si c’est pour ne finalement faire qu’un seul corps. [En regardant cela aujourd’hui, je songe aux chorégraphies que j’aimais de S.]
Et c’est sur un lit géant très inconfortable mis à disposition des visiteurs pour regarder à la renverse des chorégraphies que je m’installe : cela a le mérite au moins de me faire vérifier que la blessure à la tête ne se fait plus guère sentir, même si la position réveille, en cassant la nuque, une arthrose cervicale qui me fait de plus en plus souffrir, et contre laquelle je ne sais que faire.
J’achète le Funambule de Jean Genet à la librairie de l’endroit. Je le relirais volontiers (je ne dois pas l’avoir, ai dû l’emprunter en son temps à la bibliothèque de J.-M. et songe à l’offrir à T., le cas échéant, en vérifiant que cela pourrait lui plaire — mais je l’abandonnerai finalement à Pascal et F., trouvant d’autres recours pour l’anniversaire de T., en lui offrant notamment Ostinato de Louis-René des Forêts, qui lui plaira (évidemment) beaucoup).
Alors que je marche ensuite vers Bastille, je découvre le port de Paris, que je ne crois pas avoir jamais vu auparavant.
Au quartier latin, je me procure deux ouvrages de Mathieu Riboulet, dont un opuscule paru récemment chez Verdier.
* * *
Soir
Le frère de Pascal, qui doit arriver dans la soirée, se fait attendre.
Je multiplie les conversations idiotes sur la toile, sur un site de rencontres de plus en plus improbables à mesure que le temps mouline les jours…
— La fraîcheur tarde elle aussi à venir.
Je finis par me coucher.