886 - A l'Anversoise (1)
A L’ANVERSOISE
(ANVERS, AVERS et ENDROITS)
[titre provisoire ?]
WORK in PROGRESS
Journal extime
(Bruxelles - Anvers - Bruges : 13 août - 25 août 2018)
1
13 août, matin
C***, le conducteur qui doit me covoiturer jusque Bruxelles a enfin répondu à mon message. Il me prendra près de chez moi, et non plus à l’entrée de ****, à la sortie d’une autoroute, dans un endroit exposé en plein vent ou pleine pluie.
Je préviens Edouard — le premier conducteur auprès de qui j’avais d’abord réservé, devenu depuis passager, et dont j’ai les coordonnées, bien certain que lui n’a pas été averti.
La femme de ménage est venue bien plus tôt qu’elle n’en a l’habitude, sous une pluie battante. Elle a dû prendre un bus à 6 heures 50, me dit-elle. J’en suis un instant mortifié, tout en songeant qu’elle refuse de prendre le train de peur de se tromper de quai, ce qui diviserait pourtant par trois son temps de trajet.
Je me suis trouvé, la veille, dans l’incapacité de répondre au téléphone avec le nouvel appareil que je viens d’acheter. Je demande à ma sœur de tenter de m’appeler — sans que je parvienne jamais à comprendre comment établir la communication. Je finis par trouver sur Internet le modus operandi : il faut glisser avec le doigt le gros point blanc vers la droite en direction du point vert, et non pas appuyer sur quelque icône. Je suis, certes, un imbécile inadapté, mais cette gesticulation a elle aussi son côté gamin ou ridicule…
Contre toute crainte, C*** est à l’heure. C’est un retraité assez placide, qui a fait le voyage depuis Nice en partant la veille. Il est bruxellois d’origine, mais habite la Côte d’azur depuis que, précisément, il a cessé de travailler. (Je songe à part moi qu’il est venu peupler l’ineffable colonie de gens du troisième âge qui résident sur la côte d’azur — et que Nice appartient peut-être aux villes que j’ai trouvées les plus déplaisantes, ne comprenant guère ce que ces aficionados de la Riviera lui trouvent. Autrefois, cette ville mouroir abritant de vieux fossiles et d’antiques momies excitait la verve de Jean Lorrain dans ses nouvelles, mais, rapporté à ces visions horrifiques et carnavalesques proches aussi d’un James Ensor, dont je reverrai des toiles le lendemain, C***, pour sa part, semble encore tout à fait vert…)
La voiture à peine démarrée, C*** grille le premier feu — qu’il n’a sans doute pas vu. Mais sa conduite atteste de bons réflexes. Notre voyage est d’ailleurs sans histoire, un peu long, davantage que dans mon souvenir lors de mon tout premier covoiturage, vers Bruxelles précisément, sans doute parce qu’alors la conversation avait été plus animée.
Une première passagère se trouve à l’avant. Je m’installe à l’arrière près d’Edouard, que, le conducteur cherchant à se garer, j’ai guetté de notre point de ralliement, reconnu et rabattu jusqu’à la voiture. Comme je le lui demande, il m’explique avoir dû annuler le covoiturage initial après avoir coulé le joint de culasse de sa voiture. Je déplore avec lui le malheureux incident, non sans m’amuser intérieurement du concours de circonstances qui l’ont amené à être le énième passager de notre équipage.
J’aurais naturellement préféré poursuivre un peu de causette avec lui, mais il me demande, après qu’on a débarqué la passagère à P****, de me mettre à l’avant afin de pouvoir tenir compagnie à C***, et lui, pouvoir s’occuper de ses mails. Je serai pareillement renvoyé dans les cordes de C*** lors d’une halte au Luxembourg pour nous restaurer et alimenter aussi le véhicule, les moins de trente ans nouant une conversation dont j’entendrai des bribes, alors que les uns et les autres déjeunerons de façon improvisée. J’apprendrai ainsi que le bel Edouard fait de la musique dans un groupe, tandis que je mordrai pour mon solo d’instrumentiste dans un sandwich aussi insipide que mon isolement. Il descendra cependant à l’arrivée à Bruxelles pour me saluer en regrettant de n’avoir pu jouer les conducteurs — et se montrera chaleureux , comme s’il avait pu lui-même se sentir gêné d’avoir été circonscrit dans une partition anti-vieux inconsciente par les deux autres covoiturés juvéniles.
Le voyage à l’avant me paraît donc plutôt long. Nous perdons du temps à Metz à embarquer un couple de jeunes gens, qui s'assiéra à l'arrière (donc), non sans nous perdre auparavant dans des travaux, des sens interdits et des déviations, ses indications — Edouard et moi faisant pourtant appel à nos connaissances topographiques de la ville — fournies par le haut-parleur du portable de C*** étant assez imprécises ou portant à confusion.
Les conversations, en pointillés, s’espacent pour disparaître tout à fait, ne se ranimant qu’à l’entrée de Bruxelles.
Fin d’après-midi
Mon logeur, Stanislas, n’est pas là pour m’accueillir. J’envoie un message, puis l’appelle. Il aura trente minutes de retard alors qu’il me disait arriver tout de suite.
Il survient enfin, flanqué d’une jeune femme asiatique qui ne parle qu’anglais. Lui est métis, d’une origine pour moi indéterminable. Infirmier, il travaille en hôpital, mais fait également des vacations en libéral. Aussi ne le verrai-je guère durant mon séjour, puisqu’il dormira ce soir chez son associé. Il se montre arrangeant. J’ai accès à la cuisine, ce qui me permettra d’improviser des repas.
Je fais bientôt des courses, découvre, au-delà de l’îlot d’immeubles où Stanislas réside, un quartier populaire et animé, tel, me semble-t-il, Belleville ou la Goutte d’or.
Je remplis mon petit carnet de premières notations dans un bar de quartier peuplé d’habitués occupés à des machines à jeu vidéo tonitruantes. Mais la Leffe brune est bonne.
Je dîne donc dans l’appartement. Mon logeur croit se montrer aimable en m’allumant une télévision dont l’écran géant est sans doute aussi pour lui un objet de fierté.
Je vais voir ensuite, effectuant un trajet beaucoup plus au nord, Mademoiselle Julie de Alf Sjöberg, adapté de Strindberg, à la cinémathèque (le film me plaît, même s'il n'a pas la modernité du cinéma de Bergman, appelant plutôt la comparaison avec une esthétique expressionniste antérieure à lui).