930 - À pas maltais (2)
À pas maltais
Paris – La Valette - Paris, 27 décembre 2018 - 5 janvier 2019
(journal extime)
2
28 décembre
Matin
Le froid me réveille.
Dans la cuisine où je prépare mon petit-déjeuner, Paul survient, dans la même tenue que la veille.
Il m’allume la télévision, dont je n’ai que faire. (Mon attention est toutefois retenue par un attentat à Vienne. Comme s’il s’agit d’une chaîne d’informations continues en anglais, je n’en comprends toutefois pas les détails.)
Alors que je m’apprête à sortir, je ne sais comment faire jouer la gâche électrique qui doit me libérer vers l’extérieur de l’immeuble.
Une vieille dame, qui habite le rez-de-chaussée de la maison, vient à mon secours. Il faut en même temps appuyer sur le bouton et tourner la poignée : Paul, la veille, m’avait montré cela, mais sans se montrer très pédagogue.
Il fait encore frais dans les rues de La Valette à 9 heures du matin.
Le centre en est tout petit, très agréable et beau, mais peut-être un peu trop propret (je songe un instant la façon dont j’oppose en esprit Syracuse à Palerme, la première trop propre sur elle, la seconde, plus populeuse et mal peignée, qui a ma préférence).
Je trouve bientôt la co-cathédrale Saint-Jean, laquelle n’a pas encore ouvert ses portes.
En attendant, je fais le tour de la vieille ville et suis arrêté par cette vue magnifique des trois villes. Le soleil, oblique, intense, irradie face à l’objectif.
Je visite, à l’heure où elle est ouverte, la co-cathédrale, toute tapissée de marbre, de dorure et de peinture, du sol au plafond, sans laisser un centimètre carré libre,
cette opulence débridée — jamais laide cependant — n’excluant pas la présence de vanités obsédantes, au sol ou aux murs.
Je visite, une à une, avec toute la lenteur requise face à tant de profusion, les chapelles latérales, dont la plupart est dédiée à une langue (mais aussi — naturellement et comme partout — à un saint particulier !), les chevaliers de l’ordre de Malte venant de toute l’Europe.
Giuseppe D’Arena (1647-1719), St Sebastian kneeling at the foot of Pope Caius ; The Martyrdom of St Sebastian (chapelle de la langue d’Auvergne dédiée à saint Sébastien)
Mattia Preti (1613-1699), la Conversion de saint Paul (chapelle de la langue de France, dédiée à saint Paul)
C’est Mario Pretti qui a réalisé les peintures de la voûte, lesquelles représentent la vie de Jean-Baptiste — et c’est lui qui a peint ce très beau saint James, devant lequel, écarquillant les yeux du fait de la distance, je tombe en arrêt.
Dans la sacristie, se trouve une flagellation, tourniquet étonnamment coloré de bourreaux qui tourmentent leur victime.
Stefano Pieri, la Flagellation du Christ (1572)
— Et c’est dans l’oratoire que se trouvent les deux tableaux que le Caravage a peints durant sa fuite à Malte.
Michelangelo Merisi da Caravaggio, St Jerome writing
S’il est saisi, le chapardeur d’images, quoi qu’il en soit, reste éloigné de la Décollation de Jean Baptiste, tableau suffisamment grand [le plus grand peint par Caravage et le seul qu’il ait signé, c’est du moins ce qu’il me semble me rappeler] pour l’œil, mais mesquinement tenu à distance pour l’œilleton photographique (devenu, il est vrai, un écran de tablette tout de même)…
Comme, confondu, ravi1, je ne suis pas certain du tout d’avoir réussi mes prises, pour ravir à mon tour, j’achète des cartes postales,
tout en notant la référence du crucifix de l’homonyme du Caravage, vu en sortant de l’oratoire.
* * *
Allant au hasard des rues, je prends un verre ensuite à une terrasse ensoleillée. La bière locale s’y monnaie à prix doux (puisque ne coûtant que 2 euros).
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1[Ecrit le 29 mai 2019] Ce n’est que très récemment que je découvre, par enchaînement de circonstances, ce qui fonde mon peu d’amour pour la peinture française du XVIIe siècle (que j’ai souvent opposée en esprit aux peintres italiens du début du même siècle, spécialement au Caravage et à ses continuateurs, ou aux Espagnols, Velázquez tout particulièrement) et que marque mon manque de goût pour Nicolas Poussin — pour lequel j’ai tenté de me faire l’œil, pourtant, lors d’une exposition au musée Jacquemart-André qui lui était consacrée il y a quelques années. Si j’en crois, en effet, Louis Marin dans Détruire la peinture — ouvrage dont j’ai trouvé l’argument résumé sur la toile :
Le Caravage est, selon Poussin, venu au monde pour détruire la peinture.
Nicolas Poussin (1594-1665), dont le premier voyage à Rome date de 1624, haïssait le Caravage (1571-1610) — qui pourtant influençait de nombreux peintres de sa génération. Sur presque tous les plans, il en prenait le contrepied : la noblesse des sujets contre la vérité du naturel, l'intérêt pour la théorie contre la spontanéité, la profondeur du récit contre le regard, la ligne contre la couleur, la précision des figures contre la violence des contrastes, l'équilibre contre l'excès, la luminosité contre l'obscur retour des morts. Pour Poussin, le plaisir de l'œil était insuffisant, il fallait aussi la jouissance du langage — un souci partagé par les penseurs de la Renaissance, et qu'il n'hésitait pas à inscrire au centre même du tableau, comme il l'a fait pour les Bergerds d'Arcadie. LUn tableau, pour Poussin, était fait pour être lu. Le regard ne devait pas être trop libre, il fallait qu'il suive les lignes d'un récit. Les signes formels et expressifs qui le constituent devaient pouvoir se substituer exactement aux termes et à la syntaxe exacte de l'histoire.