927 - Ricaduta italiana (XIV)
RÉCIDIVE ITALIENNE
Journal extime, automne 2018
(Paris, Venise - Ferrare - Bologne, Paris)
XIV
1er novembre
J’ai dormi — c’est la seconde nuit consécutive — plus de huit heures.
V*** a répondu à mon SMS. Elle et X. étaient à Paris en même temps que moi. L’aurais-je su que je l’aurais évidemment contactée à ce moment-là. Un regret fugitif me mord, d'autant que je ne sais vraiment pas quand nous nous reverrons.
Je visite enfin San Giacomo Maggiore, libérée de tout office.
La Chapelle des Bentivoglio, éclairée par deux fois grâce à des touristes, est tout bonnement magnifique. Reste qu’il faut la voir à travers des barreaux et prendre des photographies au zoom pour en mieux percevoir les détails...
[J’achète des cartes postales de fresques de l'oratoire attenant à la Basilique, que, au moment où — six mois plus tard — je retrace ces lignes, je ne suis pas certain d’avoir vu. Il me semble pourtant y être allé la veille, ou plutôt l'avant-veille, mais n'ai pas retrouvé de photographies. Peut-être, précisément, était-il interdit d'en prendre, auquel cas l'achat s'expliquerait-il d'autant mieux...]
Bologna, S. Giacomo Maggiore, Oratorio S. Cecilia, Amico Aspertini e aiuti, Martirio di S. Cecilia (1507)
Bologna, S. Giacomo Maggiore, Oratorio S. Cecilia, Amico Aspertini, Sepoltura dei SS. Valeriano e Tiburzio (1507)
Comme j’en suis à deux pas, je parcours le ghetto juif. La ruelle de l’Enfer sent fort l’urine.
Je me demande quelquefois si, sans ce que les guides signalent à l’attention de l’homo viator, je verrais de mes yeux propres certains monuments ou quartiers, même s’il m’arrive d’excursionner au hasard les endroits d’une ville, aimant à en connaître la topographie et cherchant toujours des repères spatiaux. C’est en tout cas à la faveur d’un photographe posté dans la ruelle que je remarque ces façades colorées, aux volets clos, devant lesquelles je serais peut-être passé sans les voir…
Mais j’obéis parfois à des sollicitations qui sont les miennes, sans signalétique particulière ! À San Giacomo Maggiore, j’ai photographié ce Baptême du Christ sans que quelque cartel en donne le nom du peintre, sans doute à cause du jeune homme nu qui regarde la scène et dont le regard a aimanté le mien plus que le reste...
Peut-être aussi le tableau, dans son organisation assez conventionnelle de la scène, m’a-t-il rappelé le Ribera du Musée des Beaux-Arts de ****, vu mainte fois.
Mais si les placements sont identiques, si les éléments figuratifs et symboliques de la représentation partagent plus d’une analogie, le regard du jeune homme se porte sur la nudité du Christ, sur son dos, voire sur quelque vertèbre d’un corps sans grâce véritable (le corps du garçon n’est pas magnifique non plus), et ne s’élève pas vers la coupe dont l’eau lustrale se déverse, à moins qu’il ne médite, rêveur, à l’acte en train de s’accomplir, dans l’attente d’être lui-même baptisé…
Il ne sert à rien de me tancer à ce sujet : l’adage selon lequel on ne perçoit que selon ses tendances a l’avantage au moins de renforcer lesdites tendances, de leur donner une assise esthétique, l’œil rinçant l’esprit des laideurs accumulées au fil des jours, ce pour quoi j’aime de plus en plus voyager, même s’il manque quelquefois le partage de l’enthousiasme que j’éprouve puisque je voyage seul (cependant que j’en mesure les avantages également, qui prémunissent d’une paire d’yeux mal assortie !).
En flânant sous les arcades de la ville, alors même que je n’inspecte guère les devantures des boutiques, je trouve, dans les vitrines des magasins pour hommes, les vêtements assez beaux. J’ai même regretté de temps à autre de n’avoir pris qu’un bagage cabine, mais songerai une fois prochaine à m’habiller en Italie !
Après-midi
Je secoue ma torpeur, envisage d’abord de visiter la galerie d’art moderne.
Certaines transversales étant impossibles, je me perds un peu avant de trouver l’endroit, et, au vu des salles d’exposition que l’on voit de la rue, suis sceptique sur mon envie d’explorer les lieux. Et comme je n'en trouve pas l’entrée — tout en découvrant par raccroc un lieu associatif LGBTI contigu (le I me désarçonne un instant, avant de trouver ce qu’il peut recouvrir), lequel n’est de toute façon pas ouvert —,
je choisis de m’installer dans la cafétéria peuplée de jeunes gens aux allures artistes — et consigner dans mon petit carnet les quelques phrases (à l’état de rudiments) que je transcris ici.
J’achète ensuite à la gare mon billet de train du lendemain.
Puis, j'attrape un bus pour me rendre jusque San Michele, dont les fresques déçoivent, surtout après celles vues le matin.
Je me console un instant avec la vue de Bologne que l’on a sur la colline.
Même si le crépuscule se fait, il est tôt encore lorsque je suis de retour.
Soir
Non seulement le réfrigérateur est vide, mais je n’ai aucune envie de me faire à manger. Je m’offre donc un restaurant.
Après un baragouin en anglais de part et d’autre, la jeune serveuse poursuit en français, ce qui est évidemment plus commode.
Je commande un ossobuco. La curiosité m’emporte et je mange un pain « au charbon végétal », de fait noir, comme le sont des pâtes à l’encre de seiche si souvent proposées aux touristes. Le verre de vin blanc que j’ai choisi est — naturellement ! — d’origine biologique. Il est d’ailleurs bon. J’ai très faim.
(Je suis toujours quelque peu embarrassé de dîner seul dans un restaurant. Ecrire donne une contenance ! — Et je ne trouverais aucun contentement à attendre le plat que j’ai commandé en jouant avec mon téléphone portable. Tournant machinalement la page sur laquelle j’écris, je m’aperçois que mon carnet acheté à Prague est désormais entièrement rempli… Les miscellanées de mes différents voyages, ces voix qui se superposent a quelque chose d’étrange et d’amusant… J’y vois même des lignes où j’ai transcrit que ce Pauline a pu me dire de Romain !)
On m’apporte la viande. La portion en est un peu chiche, la viande, plutôt sèche, les légumes en accompagnement, rares. S’y trouvent beaucoup de baies de genièvre en revanche — le tout se montrant peu chaud.
Le dessert est bon, (mais petit).
C’est tout à fait un endroit, me dis-je, où l’on vous sert 5 cl d’eau pure microfiltrée — je traduis ! —, d’une eau miraculeuse dont on sent qu’il faut s’extasi-er (avec la diérèse qui convient !)…
2 novembre
Nuit
Le sommeil en est grevé par la perspective du départ. Pluie et brouillard accompagnent mon trajet en train. Quand la brume enfin se lève, le ciel est bas sur une plaine monotone.
Je déjeune au même endroit à l’aéroport qu’avec M.-C. l’année précédente. (J’ai réservé le soir un restaurant indien.)
Après-midi
Le soleil brille, en revanche, quand, à 15 heures 40, l’avion atterrit à Roissy.
J’envoie un message à Laure pour confirmer mon arrivée en temps et en heure. J’ai reçu un message de T., finalement libre le lendemain, ce qui me fait plaisir. Il me propose même de réserver le restaurant de mon choix.
Lorsque j’arrive rue F***, je suis surpris des travaux dans le couloir du premier corps de bâtiment. La double porte vitrée a été retirée.
Laure et même Lucien ont grandi. Je le leur dis en manière de plaisanterie. Laure, dans l’âge ingrat, est boutonneuse.
A peine arrivé dans le studio de N., le téléphone sonne. C’est mon père — ce qui me fait plaisir aussi — pour m’inviter à déjeuner dimanche.
Je sacrifie au rituel d’acheter des timbres au Musée de la poste, encore ouvert. Les timbres ne sont pas extraordinaires, et je choisis, après la vaisselle ancienne la fois précédente, une série de théières. Je songe à toutes les cartes postales achetées durant mon séjour, qui n’auront sans doute d’autres destinataires que moi (à qui envoyer une fresque représentant Jésus montant de son propre gré sur la croix où il sera supplicié ?).
Rentré au studio, je téléphone dans un restaurant chinois où nous sommes allés déjà T. et moi — et réserve pour le lendemain.
Je vais ensuite à La M***, non sans songer à Duncan — qui n’habite désormais plus le quartier — et à N*** à qui j’ai donné mainte fois rendez-vous là, que j’aurais invité à dîner en des temps plus heureux, d’autant que le restaurant où je dois me rendre est à mi-chemin entre chez Judith et chez lui. Je refuse, toutefois, de céder à quelque exercice de mélancolie, ne lui ayant pas encore pardonné ses saillies à contre-temps
J’ai songé à inviter B. ou Patrice à me rejoindre, mais je suis fatigué et je n’aurais pas voulu écourter la soirée pour cette raison. — Je verrai Patrice sans doute au début du mois de janvier lors de mon prochain passage à Paris…
(à suivre)