936 - À pas maltais (6)
À pas maltais
Paris – La Valette - Paris, 27 décembre 2018 - 5 janvier 2019
(journal extime)
6
Nuit du 30 au 31
La pluie me réveille vers les trois heures trente du matin.
Depuis un certain, je ne m’habite plus vraiment.
Il y faudrait un saut dans le il : Depuis un certain temps, il ne s’habite plus, il y faudrait, etc.
Je m’y essaierai peut-être, comme pour un détachement nécessaire. Plus clairvoyant.
— Mais comment, en voyage, se détacher de ce que les yeux voient ?
(Il sait pourtant qu’il ne sait pas voyager. Il persiste pourtant. Au même titre — ou bien au titre même — que l’on persiste dans son être.)
31 décembre
Matin
Je me mets en route pour Siġġiewi, une toute petite bourgade (dont le nom provient peut-être de racines sémitiques, auquel cas il pourrait signifier « prospère » ou « calme » — plutôt calme d’ailleurs !) où je visite une belle église dédiée à saint Nicolas (dessinée par Lorenzo Gafà).
La peinture du chœur, représentant le saint, due à Mattia Preti, n’est visible que de loin.
Elle paraît autrement réussie que sa Judith se donnant la mort.
Le tour de cette petite ville fait, je prends une bière en terrasse, en attendant le bus, dont le passage ne se fait qu’une fois par heure.
Après-midi
Malgré les allégations du guide — le site serait ouvert tous les jours de l’année —, les temples mégalithiques de Ħaġar Qim sont fermés. J’ai perdu pas mal de temps à parvenir jusqu’à l’endroit et dois encore attendre le bus du retour.
Je réveille la vieille dame qui somnole au rez-de-chaussée surélevé en rentrant bien plus tôt que prévu. Je l’entends maugréer alors que je monte l’escalier.
Après mainte hésitation, je me décide à prendre le ferry jusque Birgu.
J’en parcours les ruelles étroites flanquées de jolies maisons. Il s’y trouve peu de touristes en cette fin de journée et veille de jour férié. Beaucoup de maisons décorées d’articles de Noël flamboient dans la nuit qui s’installe peu à peu.
Martine et Didier m’ont envoyé leurs vœux. J’avais, avant de partir, préparé un montage photographique du carrosse nuptial miniature de Saint-Charles-Borromée vu à Anvers, tout en ayant l’idée d’y ajouter : « même si vous ne vous (re)mariez pas cette année, qu’elle vous soit belle et heureuse ! ». T., à qui j’avais montré l’image, m’avait dit que, sans savoir de quoi il retournait, cela serait difficile à décrypter. Je me suis donc contenté de l’aspect festif de l’image en y apposant un message beaucoup plus conventionnel. Je trouve tout de même — hors ma propre intention — très cocasse que cet avatar du bonheur — un cabriolet Mercedes ? — se trouve moins disposé devant des anges que devant des confessionnaux
Pas fâché de ne rien faire, les soirs, qu’écrire. )Pareilles parenthèses, battantes, ouvertes sur leurs deux côtés ne sont-elles pas des avant-postes de l’heureux temps de la retraite, que je songe de plus en plus à prendre de manière anticipée ?(
(Le petit carnet acheté à Grenade risque fort de faire de l’usage. Il n’est pas si mince qu’on le croirait.)
Le vent qui souffle sur ce bord de mer est glacé. Je me suis déjà promené durant deux heures — et reprends le ferry, non sans allonger encore le pas dans la Valette, illuminée.
Soir
A défaut de champagne, je prends un verre de prosecco proposé à trois euros dans le centre commercial où plusieurs fois déjà j’ai fait mes courses, le bar où j’avais bu un bon vin de Loire l’avant-veille étant fermé en ce jour de Saint-Sylvestre.
L’ambiance de ce grand hall dédié à la consommation est très bruyante et n'incite guère à s'attarder…