963 - Ricaduta siciliana (12)
À PAS RÉPÉTÉS
Ricaduta siciliana
(de Paname à Palerme, de Palerme à Paname)
Journal extime
(10 février - 21 février 2019)
12
19 février
Nuit
Finalement, F. et Pascal ne sont pas rentrés si tard.
Je les entends.
Ils ne prennent aucune précaution.
Je me dis qu’ils ont raison.
(F. m’a lancé une petite pique amicale alors que je m’étonnais qu’ils aillent (encore) à des soirées où l’on se couche à cinq ou six heures du matin.)
Matin
J’achève le livre que j’ai acheté pour Pascal.
Je me dis que si celui qu'en août j’avais acheté pour T. était finalement resté rue P*** en songeant qu’il conviendrait mieux à Pascal qu’à T., celui-ci… plairait sans doute davantage à T. On ne tombe pas toujours au plus juste en matière des goûts de lecture des autres. C’est même plutôt un vrai plaisir — plaisir d’offrir disait la boîte en carton grossier extirpée du tiroir de la machine à sous qu’on trouvait autrefois (?) sur les champs de foire, contenant énigmatique qui le plus souvent contentait peu quand on en découvrait le contenu — que de parfois y parvenir…
J’ai écrit un petit mot à M.-C., qui paraissait atteinte d’un début de grippe hier soir.
Je m’en veux de l’avoir brusquée, semble-t-il, souvent. Pourquoi me dire qu’elle semblait toujours vouloir le contraire de ce dont j’avais envie, ou, quand je me fixais enfin sur un de ses désirs, en changer brusquement pour un autre ?
Hier, à l’heure du petit-déjeuner, elle s’est plainte de ce que je paraissais m’énerver de sa lenteur : « fais ce que tu as envie ! sors ! » ; il n’en était rien poutant.
Elle m’évoquait son père la veille, toujours très organisé. Admirablement organisé, mais tellement chiant. Et reprochant à ses enfants de n’avoir, précisément, aucun sens de l’organisation. J’ai donc dû réveiller de vieux froissements.
De même, elle m’a souvent prêté des connaissances que je n’ai pas véritablement. Ma seule éducation artistique — si l’on peut dire — tient à des répétitions et des recoupements. Elle, fouillait avidement dans les lignes du guide, lues, relues et relues une fois encore, des informations que je n’aurais pu lui donner tant, précisément, j’en sais si peu — et qu’elle oubliait aussitôt. Elle me parlait souvent de son frère, amoureux de l’histoire des arts, et paraissait me conférer le même savoir.
M.-C. m’a donc paru quelquefois assez malheureusement tributaire de son histoire familiale — et « victime de son éducation », aurait dit ma mère, quand elle voulait me forcer à goûter sa glace, me céder le reste des amandes, boire des jus de citron tièdes, ou s’élançait vers l’évier pour faire la vaisselle.
J’ai pourtant apprécié sa présence, eu plaisir à partager avec elle certaines des splendeurs, certains des éclats palermitains. Or, je me le répète, non pour me dédouaner de diverses tensions mais tenter de les expliquer en partie : nous étions deux monades. Or — et tout autant —, je me dis parfois que personne ne supporterait très longtemps ma compagnie — que je n’ai jamais voulu imposer à quiconque, certes, mais me prémunissant sans doute par là de cuisants désappointements !
C’est à cela à quoi je songe, attendant que se lèvent F. et Pascal que je n’ai pas vus depuis près de deux ans, dont j’ai pensé souvent que, peut-être, ils m’évitaient, et notant déjà, dans nos conversations, des trous et des points de désaccord…
* * *
J’ai dû, cependant, m’exagérer (tout ou partie) les choses.
Pascal se lève d’abord, puis F.
Nous poursuivons une conversation tout en pointillés, selon l’allée et la venue de l’un ou l’autre, uniment agréable.
Nous faisons ensuite le marché Boulevard Richard Lenoir, à l’heure où les commerçants commencent à dételer. F. achète une quantité impressionnante de fruits et de légumes, à des prix autrement plus doux que ceux du marché à ****, où, pour ma part, je ne vais jamais, quelque tort que j’aie à ce sujet. Sa capacité à marchander m’amuse et m’impressionne.
J’achète un kilo d’oranges sanguines en souvenir de celles ramassées à Palerme par M.-C., et qui, certaines terriblement amères, n’étaient pas toujours mangeables.
En fait, tous ces fruits et légumes seront mis en œuvre bien plus tard, et nous nous rendons au parking souterrain où F. et Pascal ont acheté une place de stationnement (ils possèdent un autre garage, plus grand, près du Père-Lachaise, dédié au père de F. afin qu’il n’ait pas à manœuvrer dans un espace trop petit).
F. propose que nous déjeunions dans ce café où j’ai souvent attendu N*** ou pris des verres avec Aymeric. Le plat du jour, copieux, est une bonne surprise.