1012 - Scottish Gigue (14)
Scottish Gigue
(Paris – Edimbourg – Paris)
14-28 juillet 2019
(Journal extime)
14
24 juillet
Edimbourg, matin
Je me réveille avant l’alarme du téléphone. Et je me trouve tôt embarqué dans le bus pour l’aéroport, non sans avoir auparavant cherché à la gare une boîte où jeter une carte écrite pour Valérie.
Que faire durant toute une journée passée à voyager ?
Bénéficiant du Wi-Fi dans les aéroports, j’écris à mes parents et ma sœur, à T., à Marthe et Paul ensuite. Le clavier sous mes doigts est un bonheur de lettres à ma disposition — littéralement.
Après-midi
Au départ de Heathrow, l’avion a quarante minutes de retard (il se trouve sur les pistes au départ six avions à la queue leu leu, qui attendent de décoller ; six au moins nous passent devant le nez du nôtre…).
Quand, à Paris, je rétablis les liens de mon téléphone avec la terre entière recouvrée, je trouve un message d’Aymeric, soucieux de notre rendez-vous du lendemain :
Bonjour Romain,
Es-tu bien arrivé ? J’espère que tu supportes cette chaleur inhabituelle.
Je commence à fatiguer un peu. Il fait chaud à l’atelier. De fait, j’ai des horaires un peu aménagés et termine en principe vers 16h demain.
Tu me diras comment tu vois les choses.
Amitiés
Aymeric
Dans le RER, les voyageurs ne sont plus que suées. Certains, malgré les recommandations sur les vitres, refusent de fermer les fenêtres, croyant préférable l’air qui s’engouffre à la climatisation, laquelle se coupe automatiquement dès lors que les vitres sont ouvertes.
Arrivé chez F. et Pascal, je réponds à Aymeric (« […] oui, tu as raison, j’arrive ici au pire de la canicule — et cela m’accable d’avance. Je vais regretter l’Ecosse et ses ciels bas [photo du château de Craigmillar à l’appui], ses températures fraîches et ses ondées tri-quotidiennes ! »), puis j’adresse un message à Nathalie. J’envoie également un SMS à N*** (qui n’accusera pas réception).
Aymeric me répond bientôt :
Romain,
Les ciels bas d’Ecosse nous font presque pâlir d’envie en ce moment.
J’ai une contrainte pour me déplacer demain, c’est mon vélo.
Vu le peu d’attrait qu’il y a rue E**** ce serait plus simple qu’on se retrouve par exemple du côté de la Butte aux cailles et on ne serait pas loin de la rue [****].
Vers 16h30 Place Paul Verlaine, est-ce [que] ça t’irait ?
Amitiés,
Aymeric
Nuit du 24 au 25 juillet
Malgré la chaleur qui hébète le corps et le travaille, je parviens à m’endormir. J’entends un instant le martèlement des pas de Cynthia au plafond, et me rendors encore. Il est plus de sept heures et demie lorsque je me lève mais — songé-je — il est une heure de moins en Ecosse !
25 juillet
Matin
Je vais voir au Petit Palais l’exposition sur le romantisme, intéressante, bien « muséographiée » et documentée. Je prends nombre de photographies et m’amuse de maint détail.
Marie d’Orléans (1813-1839), Jeanne d’Arc pleurant à la vue d’un Anglais blessé, vers 1834, Plâtre
Capote, vers 1840-1845, Paille blonde, gros de Tours en soie bleu, ruban en tissu façonné de soie bleu et blanc, fleurs en toile enduite, galon en paille et crin, armature en laiton
L’époque est au dandysme, après Brummell et Byron. Balzac, Baudelaire et Barbey ensuite se l’accaparent, s'en enivrent jusqu’au mauvais goût, ce « goût aristocratique de déplaire »…
Gilet, vers 1815, Soie façonnée violet, jaune, bleu et rouge, taffetas de soie mauve, dos en toile de coton écrue, doublure en sergé de coton gratté, ruban en toile de lin ; Gilet, vers 1840, Velours de soie façonné violet, noir et jaune, doublure en toile de coton ( ?), grattée écrue
On apprend qu’« une nouvelle de Delphine de Girardin, la Canne de M. de Balzac, publiée en 1836, témoigne du succès remporté par l’objet dans la société parisienne. « L’auteur imagine que cette canne “colossale”, tenue de la main gauche, rend son propriétaire invisible ; c’est ainsi que Balzac peut surprendre « les secrets du cœur féminin, qu’il sait si bien décrire dans ses romans. »
Dans une salle consacrée aux Salons, Mazeppa, le héros de Byron, est, lui, livré aux loups pour avoir commis l’adultère…
Horace Vernet, Mazeppa aux Loups, 1826, Huile sur toile, Réplique autographe du tableau exposé au Salon de 1827
D’autres créatures, tout aussi nues, y chevauchent un étrange cheval
— tandis que d’autres tourmentes, fureurs et furies entraînent, écartèlent et travaillent les personnages…
Théodore Chassériau, Sapho prête à se précipiter du rocher de Leucate, 1849, Huile sur bois [exposé au Salon de 1850]
Jehan Duseigneur, Roland furieux, 1867, Bronze, fonte réalisée en 1867 d’après le modèle exposé au Salon de 1831
— et que je retrouve, pour le découvrir d’autrement plus près, le Christ au jardin des oliviers de Delacroix vu à Saint-Paul.
Une salle est tout entière consacrée à la réception formidable de Notre-Dame de Paris.
Auguste Couder, Scènes de Notre-Dame de Paris, 1833, Polyptyque comprenant onze panneaux, dont dix peints sur toile ; le onzième (portrait de Victor Hugo [qu'occulte un surplus de lumière]) est peint sur bois
Les salles ensuite sont consacrées à des représentations politiques — de l’ordre le plus souvent de la caricature, du symbole ou de l’allégorie. Je ne sais si les artistes aujourd’hui s’empareraient avec tant d’aisance, tant de verve, tant d'à-propos de l’esprit de leur temps…
(Le cartel précise : « Cette lithographie […] donne les traits du roi Charles X à une cruche, parée d’attributs ecclésiastiques : une calotte en guise de couvercle, et le rabat d’une soutane pour base. Sa partie supérieure, c’est-à-dire son crâne, est quant à elle significativement fêlée. Philipon, l’un des caricaturistes les plus influents de la période, dénonce ici la politique réactionnaire du roi, allié aux jésuites et aux “ultras”, nostalgiques de l’Ancien Régime. »)
Félix Cottrau, Félix Cottrau, Fête commémorative en l’honneur des victimes de Juillet 1830 sur la place de la Bastille, 27 juillet 1831
Auguste Dumont, le Génie de la Liberté, 1833, Plâtre
(La sculpture de Dumont gagne, elle aussi, à descendre en partie de sa colonne, à perdre de sa dorure et de la moitié de sa taille, et à être — surtout — vue de plus près…)
L’on croise des portraits d’artistes vus — certains au moins — dans des manuels de littérature, le plus émouvant demeurant le très beau portrait peint par Olof Södermar de Stendhal.
Eugène Sue y pose en dandy. Un cartel y va de cette autre précision : « “Il n’avait pas seulement le goût du luxe, il en avait le génie. Ses folles prodigalités partaient de son imagination autant que de son caractère. Il inventait des sujets de dépense comme des sujets de romans.” [citation inoriginée]. A ce rythme, [l’]héritage [paternel] fut dissipé en sept ans. »
Et c’est de théâtre et de spectacles, incarnés par des noms parvenus jusqu’à nous, qu’il est, enfin, question.
Paul Gavarni (1804-1866), Maquette du costume de Mlle George au Ve acte de Lucrèce Borgia, 1833, Aquarelle
Edouard Dubufe (1819-1883), Rachel (1821-1858), rôle de Camille dansHorace de Corneille, 1850, Huile sur toile
Paris, Manufacture Darte, Vase de forme balustre orné d’un portrait de Maria Malibran, Vers 1830, Porcelaine polychrome, Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Le parcours s’achève en 1848 — et par une page célèbre du manuscrit de l’Education sentimentale.
Après avoir parcouru quelques salles de la collection permanente,
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Roger délivrant Angélique, 1841
je rentre déjeuner.
Il fait chaud dans l’appartement.
Je prends conscience tout à coup que je n’ai pas prévenu F. et Pascal de mon arrivée la veille au soir. J’envoie également un SMS à Duncan (qui demeurera muet).