1129 - Carnets d'un confiné (47)
CARNETS d’un CONFINÉ
47
[Journal pas toujours extime]
(14 mars, […] 1er MAI 2020 … …)
29 avril
Nuit
Nuit insomnieuse. Je lis, je me rendors tard, je me réveille tôt. Je me lève mû par quelque ressort stupide consistant à attraper les informations de sept heures à la radio.
Le gouvernement a reculé sur la question des lycées, mais pas celle de l’école primaire : les lycéens, il faut dire, peuvent se garder eux-mêmes, pas les petits, quand leurs parents travaillent.
Seule annonce consolante : l’abandon de l’attestation dérogatoire après le 11 mai. Le reste, comme il se doit, est affligeant, et la ruée des imbéciles sur leurs voitures et la consommation, inévitable.
Matin
Mon père m’appelle, qui me demande tout d'abord si je fais venir la femme de ménage lundi prochain, qui commente ensuite l’actualité en prédisant que la rentrée scolaire se fera en septembre, en renouvelant, enfin, son invitation du 1er mai, nouvelle heureuse du "dé-confinement" à venir.
Je passe trois heures à travailler.
Après-midi
Cafouillage technique avec les élèves : eux m’entendent, mais la réciproque n’est pas vraie. Je me fais indiquer comment ouvrir conjointement les canaux audio et le “chat”.
Je doutais de leur attention, mais m'inquiétais sans raison : ils s’écoutent et se ou me laissent parler, et les questions qu'ils posent sont généralement pertinentes.
Il est tard — car cela a pris du temps — lorsque j’entreprends ma promenade. Je découvre — je connaissais leur existence, mais ne les avais jamais pratiqués — les escaliers qui mènent au sommet de la butte derrière chez moi. Comme j’ai pris par un autre flanc, je les descends. La vue est belle sur une partie de la ville, mais je n’ai pas pris mon téléphone portable.
La journée est calme au plan des appels téléphoniques !…
Soir
Vidéos diverses en rapport avec les dernières mesures prises connues. Discours de JLM à l’Assemblée Nationale : belle tenue de texte, excellente mise en voix, partie diction et théâtre impeccables. On sent que les gens écoutent, en dépit des railleries finales. Et, après regardé 28 minutes, je lis un bon article aussi de Daniel Schneidermann.
Les premiers de cordée de l'élastique
Il sera donc possible un jour, sûrement, aux particuliers, de se procurer des masques dans les pharmacies. Simplement, on ne sait pas à quel prix. A ce stade, le gouvernement ne souhaite pas imposer de prix plafond, pour une raison qu'a crûment livrée la secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher lors d'une conférence de presse : "l’approche qui consiste à dire ‘il y a un prix maximum’ risquerait de freiner l'innovation". Elle a ajouté que "l'objectif est de permettre aux Français de se servir en masques en fonction de leur budget". Chacun le sien : il y aura donc des masques pour le 16e arrondissement, et des masques pour le neuf-trois. Si si. Si vous ne me croyez pas, le compte-rendu de la conférence de presse est là.
La brillante Agnès Pannier-Runacher s'était déjà signalée en expliquant en mars dernier, au début du krach boursier, que "c'est plutôt le moment de faire de bonnes affaires en bourse".
#LaMatinale pic.twitter.com/TUD9FPL3Hz
— CNEWS (@CNEWS) March 10, 2020
Elle rejoignait d'ailleurs en cela les judicieux conseils de BFM Business, à propos de l'action Korian.
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Hier encore inconnue, Pannier-Runacher a réussi, en deux interventions, le prodige de devenir (à mes yeux, en tous cas) LE visage de l'horreur macroniste. Le visage du #Plusjamaisça. Ah oui, il y a de la thune à se faire dans le masque, et de la création de valeur dans l'élastique. Affûtez vos benchmarks ! Vous savez quoi, Madame ? A tout prendre, vous nous feriez presque préférer l'Allemagne de l'Est ! Un masque modèle unique pour tout le monde, pas terrible mais solide, un masque Trabant, et on n'en parle plus !
Cet argument mécanique de l'innovation, dont on nous gave depuis bientôt trois ans. L'innovation et ses voisins de champ sémantique, les "talents", les "cerveaux", les premiers de cordée de l'élastique, qu'il ne faudrait pas faire fuir, et qu'on ne pourra retenir de filer à Singapour, qu'à coups de dividendes, d'incitations, de golden hellos, de suppression de l'ISF. Le comprendra-t-elle, cette dame, que sa phrase est une insulte aux milliers de bénévoles qui depuis des semaines, cousent, assemblent, et distribuent des masques à l'hôpital ou à l'ehpad voisins, ou simplement tournent des tutos pour les autres, sans avoir même l'idée de se faire rétribuer ? Une insulte à toutes celles et ceux qui, sans savoir que cela s'appelle de l'innovation, sans rien en attendre en échange — rien d'autre qu'éventuellement les moyens de continuer à vivre et servir —, s'est mis, dans notre pays, loin d'eux, en marche.
Et pour finir, spéciale dédicace à Agnès Pannier-Runacher, cette vidéo (gratuite et pas du tout innovante) des Goguettes.
Par cette entremise, je découvre les Goguettes, dont la chanson sur le même JLM, assez juste (sans être injuste), indulgemment ironique, m’amuse beaucoup…
— Tout cela s’avère inégalement intéressant, cependant. J’aurais peut-être mieux fait de mettre la tête hors de l’actualité en regardant un film.