1141 - À la napolitaine (16)

Publié le par 1rΩm1

 

 

À LA NAPOLITAINE

 

RÉCIVIDE

ET (NOUVELLE) TRANCHE (DE VIE)

 

(Journal extime)

 

PARIS - NAPLES - PARIS - ****

 

(16 février - 1er mars 2020)

 

16

 

1141 - À la napolitaine (16)

 

26 février [suite], Paris, soir

J’oublie stupidement dans l’avion la chemise en plastique bleue, dans laquelle j’ai glissé le livre de Mathieu Riboulet après l'avoir achevé, qui contient dépliants, cartes postales collectés durant mon séjour, mais aussi des documents de travail, feuilles imprimées recensant diverses adresses, enveloppes… ainsi qu’un chèque non signé et rempli que je comptais laisser à Pascal et F. afin de compenser les frais de mes nuitées parisiennes !

Je fais le siège du comptoir de la compagnie aérienne avec laquelle j’ai voyagé. Bien que je reste confiant dans l’issue de ma mésaventure, après attendu presque une demi-heure, on me fait savoir que rien n’a été retrouvé. J’ai peine à le croire, peine à penser qu’un passager se soit emparé de ma pochette — les passagers n’ayant en général pour hâte que celle de débarquer de l’avion — et crois plutôt qu’un des membres de l’équipage a fait main basse sur ma chemise.

Je me mets alors en quête d’un poste de police que je me fais indiquer par bribes successives d’informations et qui se trouve à Orly 4 — j’ignorais pareille déclinaison ! — afin de faire une déclaration de perte.

Je le constate, autre source de dépit : j’ai quitté la douceur napolitaine ; il fait froid dehors, une pluie cinglante zèbre les éclairages de ce no man land tout en laideur et béton. Après avoir erré dans des lieux fantomatiques, dans un lacis de routes tout en circonvolutions indéchiffrables, un parcours de voies et passerelles pour piétons naufragés, dans des accès difficiles à déterminer, que sillonnent, dans la nuit bien tombée, véhicules et transports en commun chauffant en attente de passagers — je saurai quel bus prendre quand je reviendrai sur mes pas —, je trouve enfin comment me rendre jusqu’au commissariat.

On refuse tout bonnement d’enregistrer ma déclaration ; tout au plus, m’explique bientôt la responsable du poste de police, peut-on établir une main-courante. On me conseille avant toute chose de contacter ma banque — ce que naturellement je voulais faire, mais en suivant une procédure que je croyais nécessaire, qui ne semble plus avoir cours, celle d’une déclaration de perte ou de vol

Entre-temps j’ai appelé ma sœur, qui s’est chargée, sur mes indications au téléphone, de trouver chez moi le numéro du chèque perdu — et je fais bientôt opposition auprès de la banque. Ma sœur me parle, un vibrato inquiet dans la voix, d’un enseignant d’une soixante d’années décédé du coronavirus qui paraît s’être installé en Europe…

Mon expédition s’est avérée décidément inutile. Mais je demeure avant tout mécontent d'avoir exploité en vain des documents dont se sont perdus les détails de mon examen — accessoirement encore d’avoir perdu l’ouvrage de Mathieu Riboulet, voire les cartes postales achetées au Pio Monte delle Misericordia, puisque j’avais alors raté mes prises du tableau du Caravage.

Il est presque vingt-deux heures — j’ai atterri trois heures plus tôt — quand je parviens enfin rue P****.

Je meurs de faim.

Et, pour achever ma déconvenue, le repas que j'improvise avec ce que j'ai acheté en toute hâte avant la fermeture la supérette est bien mauvais.

 

Quand je m’y essaie ensuite, les formulaires électroniques pour enregistrer une déclaration de perte à Orly paraissent presque entièrement avoir été conçus pour se montrer dissuasifs, et je me couche définitivement dépité par toutes ces contrariétés, moins drôles en vérité que la perte de ma carte d’identité lors de mon précédent séjour à Naples.

 

Nuit du 26 au 27

Je suis réveillé en pleine nuit : la pensée m’est venue lors de mon sommeil que, dans les papiers perdus, figure une photocopie de ma carte d’identité. Je me prends à m’imaginer qu’on pourrait imiter ma signature sur le chèque en blanc !

Dans la confusion de la nuit et de mes songeries, je ne sais finalement plus ce qui me contrarie le plus de ces pertes multiples et emboîtées.

 

Ont lieu de longues pluies continues que j’entends se répercuter sur les vasistas et les toits de la cour intérieure.

 

 

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