1136 - Pages choisies
PAGES CHOISIES
Dictées et récitations
Emois littéraires
En classe de CM 2 [?], dictée [?] et/ ou récitation [?]
Poum
« Je suis le diable. Le diable. Personne n’en doit douter. Il n’y a qu’à me voir, d’ailleurs. regardez-moi, si vous l’osez ! Noir, d’un noir roussi par les feux de la géhenne. Les yeux vert poison, veinés de brun, comme la fleur de la jusquiame. J’ai des cornes de poils blancs, raides, qui fusent hors de mes oreilles, et des griffes, des griffes, des griffes. Combien de griffes ? Je ne sais pas. Cent mille, peut-être. J’ai une queue plantée de travers, maigre, mobile, impérieuse, expressive – pour tout dire, diabolique. Je suis le diable, et je vais commencer mes diableries sous la lune montante, parmi l’herbe bleue et les roses violacées... Gardez-vous, si je chante trop haut cette nuit, de mettre le nez à la fenêtre : vous pourriez mourir soudain de me voir, sur le faîte du toit, assis tout noir au centre de la lune !... »
Colette, la Paix chez les bêtes, “Poum”.
En classe de 5ème [?], dictée
Ça a pris au tonnerre de dieu, là-bas entre deux villages qui brûlaient des fanes de pommes de terre.
La bête souple du feu a bondi entre les bruyères comme sonnaient les coups de trois heures du matin. Elle était à ce moment-là dans les pinèdes à faire le diable à quatre…. Comme l’aube pointait, ils l’ont vue, plus robuste et plus joyeuse que jamais, qui tordait parmi les collines son large corps pareil à un torrent. C’était trop tard.
Depuis elle a poussé sa tête rouge à travers les bois et les landes, son ventre de flammes suit ; sa queue derrière elle, bat les braises et les cendres. Elle rampe, elle saut, elle avance. Un coup de griffe à droite, un à gauche ; ici elle éventre une chênaie ; là elle dévore d’un claquement de gueule vingt chênes blancs et trois pompons de pins ; le dard de sa langue tâte le vent pour prendre la direction. On dirait qu’elle sait où elle va.
C’est son mufle dégoûtant de sang que Maurras a aperçu dans la combe.
Jean Giono, Colline.
En classe de 4ème [?], dictée et récitation [?]
J’ai aimé un cheval
J’ai aimé un cheval — qui était-ce ? — il m’a bien regardé de face, sous mes mèches.
Les trous vivants de ses narines étaient deux choses belles à voir — avec ce trou vivant qui gonfle au-dessus de chaque œil.
Quand il avait couru, il suait : c’est briller ! — et j’ai pressé des lunes à ses flancs sous mes genoux d’enfant…
J’ai aimé un cheval — qui était-ce ? — et parfois (car une bête sait mieux quelles forces nous vantent)
il levait à ses dieux une tête d’airain : soufflante, sillonnée d’un pétiole de veines.
Saint-John Perse, Eloges.
En classe de 3ème, dictée et récitation
LE CREPUSCULE DU SOIR
Le jour tombe. Un grand apaisement se fait dans les pauvres esprits fatigués du labeur de la journée ; et leurs pensées prennent maintenant les couleurs tendres et indécises du crépuscule.
[…]
Ô nuit ! ô rafraîchissantes ténèbres ! vous êtes pour moi le signal d’une fête intérieure, vous êtes la délivrance d’une angoisse ! Dans la solitude des plaines, dans les labyrinthes pierreux d’une capitale, scintillement des étoiles, explosion des lanternes, vous êtes le feu d’artifice de la déesse Liberté !
Crépuscule, comme vous êtes doux et tendre ! Les lueurs roses qui traînent encore à l’horizon comme l’agonie du jour sous l’oppression victorieuse de sa nuit, les feux des candélabres qui font des taches d’un rouge opaque sur les dernières gloires du couchant, les lourdes draperies qu’une main invisible attire des profondeurs de l’Orient, imitent tous les sentiments compliqués qui luttent dans le cœur de l’homme aux heures solennelles de la vie.
On dirait encore une de ces robes étranges de danseuses, où une gaze transparente et sombre laisse entrevoir les splendeurs amorties d’une jupe éclatante, comme sous le noir présent transperce le délicieux passé ; et les étoiles vacillantes d’or et d’argent, dont elle est semée, représentent ces feux de la fantaisie qui ne s’allument bien que sous le deuil profond de la Nuit.
Charles Baudelaire, le Spleen de Paris.