1155 - Carnets d'un confiné (62)
CARNETS d’un CONFINÉ
62
[Journal pas toujours extime]
(14 mars, […] 1er MAI 2020 … …)
14 mai
Matin
Je vais chez S.
Nous sommes évidemment contents de nous voir. La conversation tourne essentiellement autour de la vie matérielle, comme toujours avec S.
Elle compte reprendre progressivement ses cours de danse avec des gens de confiance — et ce, en toute confiance et confidence partagées. Elle a trouvé un parking, à l’arrière d’un second corps de bâtiment inoccupé, où pouvoir donner des cours à moins de dix participants. Dans sa salle, qui est très grande, et à condition de ne pas utiliser les barres, la gymnastique pourrait se faire au sol ou au milieu sur des tapis individuels apportés par les personnes. Comme je lui dis que cela ne lui prendrait guère de temps à nettoyer les barres, elle me rétorque qu’elle n’a pas vocation à faire le ménage, mais à donner des cours. Je m’amuse de la répartie.
Elle avance que B., à propos de la pandémie, épouse des thèses complotistes.
Elle-même minore — je m'interroge un court instant si elle a raison — la portée de l’étendue du coranavirus…
Alors que nous sommes en pleine conversation, mon téléphone sonne. C’est M.-C., mais je décide de laisser sonner et ne la rappelle qu’ensuite.
Elle, tout au contraire, se montre toujours inquiète — et alarmiste. Je lui dis, pour l’apaiser, que, si elle veut nous retrouver Paul, Marthe, T. et moi, nous pourrions tous porter un masque (puisqu’elle s’est effarée que nous ne l’ayons pas fait la veille).
Elle tousse et a un peu de fièvre — elle a donc contacté son médecin traitant, mais celle-ci [le pronom de reprise s’accommode assez mal de ce nom composé, impossible à féminiser !] ne lui pas encore répondu.
Après-midi.
Dans le jardin d’****** — où je n’étais jamais venu.
Je pars précipitamment après une séance de travail assez dense, entamée déjà le matin, et j’oublie mon téléphone.
Pour autant, je peux suivre les indications que m’avait données Paul, que je ne vois cependant nulle part. Je m’en étonne parce que, d’habitude, il est à l’heure.
Marthe est déjà là — j’ai vu sa voiture garée en arrivant —, qui m’adresse des signes, alors que de mon côté je ne l’avais pas vue.
Elle aussi se demande où Paul est passé. Je lui demande d’appeler T., qui pourrait nous retrouver, et aurait, à mon sens, besoin d’être guidé.
Elle sort d’une séance de kinésithérapie et, si elle paraît être mieux mobile qu’auparavant, je lui propose de marcher jusqu’à la rue, puis de chercher Paul moi-même, qui n’a pas dû être clair en nous indiquant un premier porche, lequel s’apparente d’ailleurs davantage à une arche de verre coloré rose et bleue.
Je le trouve, de fait, avec le chien, bien au-delà de la troisième arche des lieux — tout naturellement à l’inverse du point duquel on était censé partir !
Marthe, vers qui l’on s’avance et qu’on rejoint bientôt, tance Paul de ses indications approximatives. Paul se garde de répondre, tandis que je trouve, comme souvent, que Marthe l’accable un peu.
Paul nous mène dans une arrière-cour des bâtiments. Le chien s’ébat, se roule dans l’herbe ; le lieu, exploré par Paul préalablement, est agréable et assez peu fréquenté. Nous nous installons sur des bancs derrière la double rangée de bâtiments des écoles, fermées pour l’heure.
Nous devisons agréablement sur des sujets divers, selon des bâtons rompus qui nous sont habituels.
T. appelle bientôt. Il est sur place, mais ne nous voit pas et ne sait comment nous retrouver.
Marthe essaie de le guider, sans succès, semble-t-il. Elle me tend alors son téléphone pour que je tente, à mon tour, de donner des explications. Sur le moment, ni elle ni moi n’avons conscience que le geste, anodin en d’autres temps, pourrait nous communiquer, par un simple contact, le virus tant redouté : je ne me le rappellerai ni n’y songerai qu’au mi-temps de la nuit, en frémissant rétrospectivement un peu au cas où M.-C. aurait raison, et où, ce faisant, j’aurais mise en danger Marthe, qu’une infection pulmonaire avait terrassée quelque deux années auparavant.
— Heureusement, nous n’avons cure alors de pareille appréhension, et la conversation repart de plus belle.
Paul, ensuite, veut nous montrer un autre endroit qu’il a découvert au cours de ses promenades.
Nous le suivons, Marthe et T. loin derrière nous.
Bientôt, il faut que Paul demande son chemin.
J’ai deviné entre-temps qu’il nous menait Place de K*****, où habitait Khadija.
Je raconte l’anecdote de la confusion que j’avais établie entre le mess des sous-officiers, tout proche, et celui des officiers quand j’avais joué les chauffeurs-livreurs du Commandant ****, triste souvenir dont nous égayons quand j'évoque l'ire du personnage, outré que j'aie pu le conduire ainsi chez des sous-fifres.
Soir
Elvire et Amélie, à qui j’ai envoyé un message où je me livrais à de nouvelles réflexions, me relancent.
Je m’y attendais — mais à moitié seulement, croyant avoir épuisé la question.
Je verrai, mais je n’ai aucun enthousiasme sur l’instant — saine procrastination… — pour creuser cette matière…