1189 - Journal de l'hôpital (12)
Journal de l’hôpital
(25 mai - 5 juin 2020)
Journal d'un rescapé
Work in progress
12
Dimanche 31 mai [suite]
J’ai noté ces quelques lignes dans mon agenda improvisé :
L’h délirant qui geint sur une continulle [une biffure illisible] mélopée, qui pousse tt à cp des hurlements
Le 1re nuit il hurle [?] que l’on [le] séquestrait. Depuis, tout discours cohérent semblait semble me l’avoir abandonné.
Les crises délirantes commençaient à la tombée du jour. Et je songeais à cette phrase du Spleen de Paris : « Le crépuscule excite les fous. ».
La première fois que j’avais vu ce patient, calme au demeurant durant la journée — peut-être était-il sous tranquillisants —, j’avais d’abord cru, abusé par une ressemblance dont les points communs s’étaient estompés à mesure, reconnaître l’un de mes enseignants lorsque j’étais étudiant — ce qui m’avait amusé dans l’après-coup. Sa maigreur m’avait fait pitié. Sa situation, plus encore.
Début de soirée
Quand mon père appelle ce soir-là, ma mère est lancée dans une glossalie continuelle qui recouvre son propre propos. Comme ma sœur est là, il l’enjoint à la faire changer de pièce pour pouvoir poursuivre la conversation. Triste Pentecôte.
[ajout du 31 mai 2021:] (Sur le moment, je n’ai pas conscience de la gravité de la situation. Et mon père — le premier exposé —, pas encore.)
Lundi 1er juin
1er juil juin
Veille de déconfinement. C’est peu dire que cela pourrait serait pourrait lointain.
Consulte pfs le bracelet d’identification co si un s’il s’agissait de [ajouté : d’une] montre à mon poignet.
Peut-être était-ce — de fait — l’heure imbécile, débile — dans les deux acceptions étymologiques que je connais à ces termes presque synonymes — que je consultais dans l’espérance folle soit que j’irais mieux, soit que serait aboli le laps me séparant du moment où je m’en pourrais aller enfin de l’hôpital. De me « déconfiner » de ces lieux agirait certainement sur le moral.
(Je conserverais même quelques temps après ma sortie cette séquelle de son séjour — jusqu’à temps que mon père ou ma sœur cette présence indiscrète à mon poignet m’engagent à m’en débarrasser.
En revanche, ma mère voudra se l’arracher sans y parvenir quand elle aura intégré l’unité de soins médicalisée publique choisie par mon père plutôt que l'EHPAD privé où elle aura séjourné quelques semaines. Elle savait confusément sans doute à quoi le bracelet servait…)
Mardi 2 juin
Après-midi
Mon voisin de chambre est sortant ; il se rendra dans un établissement spécialisé pour suivre une rééducation. La veille ou l’avant-veille, il était parvenu de soulever ses bras et jambes gauches, signe patent d’une amélioration, sinon — précisément — d’une rééducation possible à mener.
L’on me transporte à l’étage inférieur pour effectuer une I.R.M.
Je reçois ensuite une visite de l’ergothérapeute. Il m’exhorte à mimer des gestes du quotidien qui me prennent en défaut. Je ne suis pas décidément un manuel.
En revanche, j’ai accompli de véritables progrès. (Je me suis entraîné, ainsi que déjà raconté — sans que l’on m’y enjoigne, tout en déambulant dans les couloirs ou en mainte autre situation — à frotter d’un doigt l’autre la pulpe des pouce, index et majeur droits, en une translation la plus délicate et précise possible, selon les sensations que j’en pouvais avoir.)
(Aujourd’hui [noté le 14 mars], je peine absolument à faire de la main droite le geste des manifestants birmans engagés contre la junte militaire, qui consiste en un salut à trois doigts emprunté aux manifestations des étudiants en Thaïlande, pouce et auriculaire replié : l’annulaire demeure recroquevillé dans ses phalanges, rétif tant à l’érection qu’à la soudure solidaire avec les autres doigts. Je m’en accable comme d’un signe d’impuissance partagée, le mouvement de révolte paraissant destiné à être réprimé par tous les moyens par la junte militaire birmane au pouvoir.)
Après m’être assoupi une dizaine de minutes, je regarde un épisode d’une série télévisée. Je n’éprouve aucune difficulté pour suivre l’intrigue — ce qui me rassure un tant soit peu quant à mes facultés cognitives. Si l’oral est devenu une bouillie de mots — comme je l’ai écrit à JF —, je ne souffre pas apparemment des déficiences que connaît ma mère : je continue à la prendre, en effet, comme le plus juste étalon que je connaisse au plan des comparaisons entre ma situation et la sienne…