1181 - Journal de l'hôpital (8)
Journal de l’hôpital
(25 mai - 5 juin 2020)
Journal d'un rescapé
Work in progress
8
30 mai 2020 [daté] / 3 mars 2021 sq.
Je suis livré par mon père et ma sœur de toutes sortes de choses — bien plus qu’il n’en faudra, une surabondance de biens suivant le dénuement. (Entre autres objets déjà mentionnés, m’ont été apportés de ces chaussons en papier que fournissent les hôtels asiatiques à leurs clients. Or, je m’étais fait apostropher par une infirmière la veille ou l’avant-veille parce que je circulais en chaussettes dans les couloirs : c’était, m’avait-elle expliqué concisément et dans d’autres termes se voulant sans appel, la porte ouverte aux maladies nosocomiales ; depuis, j’arpentais le service en chaussures — et en pyjama, les deux me paraissant plutôt mal assortis. La semelle (en polystyrène?) des chaussons n’a pas longtemps résisté à mes déambulations incessantes — le médecin m’avait dit de marcher le plus possible en remède contre la constipation —, et j’ai dû dès le lendemain les livrer à la poubelle …)
J’y trouve des lettres de collègues : JF, Nathalie… Comme attendu, B*** prendra la relève du poste que j’occupais.
Neil, lui, a envoyé un message.
Je découvre un autre message, que m’a adressé Aymeric, et, par-delà lui, m’aperçois de « chaînes » qui se sont mises en place par l’entremise de T. — T., à qui j’avais jadis cédé mon tout premier téléphone mobile acheté pour mon séjour parisien d’octobre 2009 contre un demi de bière, et qui a mis ainsi à profit le carnet d’adresses que, pas plus que moi, il n’avait pris le temps d’effacer — à peine d’ailleurs si j’y avais effacé les messages, insipides, de quelques lovers, dont la prose pragmatique à l’orthographe débraillée tenait plus de rendez-vous pressants, en vue de fucks improvisés sur les « réseaux sociaux », que de « billets doux » valant jamais d’être conservés…
Il avait, par conséquent, pu joindre mes amis parisiens, dont les noms lui étaient familiers, à l’exception de N***, puisqu’il avait connaissait nos récents différends, ainsi de quelques autres personnes qu’il avait également hésité à prévenir. Aussi lui adresserai-je un message rendu doublement laconique par l’urgence de m’adresser à lui et par mes difficultés à écrire :
T.,
Stop les messages stp
Ni N*** ni [Duncan] encore moins Julien 😁
Téléphone à [M.-C], oui, je n'avais pas le courage de le faire
Tout cela m'épuise
J'ai réglé [Judith] 😏
Tu as fait tout ce que tu pouvais faire et au-delà. Merci.
Amitiés,
Romain
Le message reçu de Judith me surprend. Je ne la connaissais pas si émotive, ni si affectueuse, en effet. Notre amitié de longue date en est sans doute la cause ; mais, si ses alarmes me touchent, elles m’embarrassent tout autant, et je m’emploierai à la rassurer autant qu’à réfréner ses volontés d’intervenir en venant m'assister à **** (m'avait dit ma sœur) quand je serai rentré :
Mon cher Romain,
— écrit-elle —
J’ai appris hier Vendredi 29 par un coup de fil de ton ami […] [T.] ce qui t’est arrivé lundi.
Il a trouvé mon numéro dans le tél qu’il avait récupéré de toi il y a quelque temps.
Je suis encore sous le choc...
Tiens le coup, j’ai parlé ce matin avec ta sœur qui me dit que ton état s’améliore.
Nous pensons très fort à toi et je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir être près de toi : visites interdites, je ne comprends pas bien d’ailleurs pourquoi vu que la crise sanitaire Covid se termine…
Enfin j’espère te voir bientôt.
Je t’appellerai dès que ce sera possible.
Tiens le coup, je suis sûre que tu vas t’en sortir.
Je t’embrasse très fort
Judith
* * *
Ce lisant, je reprends un large pied avec les amis, ceux-ci élargissant la chambre d’hôpital dans laquelle je me trouve, sans d’ailleurs savoir encore le jour où j'en pourrai sortir. De mon existence, l’amitié me paraît alors le bien le plus précieux — et je me reproche d’avoir pu imaginer dans ma détresse des jours précédents qu’à cause de mon handicap ils me repousseraient…