1216 - Carnets d'Indonésie, lettre à J.-M. (3)
[in memoriam J.-M.]
Lundi 20 [juillet 1987]
J’ai renoncé à ma lettre, du fait des cahots. Depuis, je n’ai eu guère le loisir d’écrire.
Samedi, nous avons visité Yogyakarta. Dimanche, Soho. Lundi — c’est-à-dire aujourd’hui —, Prambanan. Le tout à pied, en becak — le cyclopousse indonésien —, bus local et bus de tourisme.
Les nuits sont (restent) infernalement chaudes — quoique le climat soit ici plus “clément” qu’à Jakarta —, et j’ai quelque peu du mal à dormir — si bien que je suis plutôt fatigué.
Pour l’heure, j’émerge d’une sieste assez longue, suite à la fin épuisante de notre périple d’aujourd’hui où le chauffeur de bus nous a menés d’une boutique où l’on travaille l’argent [à une boutique] où… des batiks peut-être ? — je ne sais pas, je ne suis pas rentré. Les voyages sont ainsi « sponsorisés », et il est très déplaisant d’être pris pour un touriste-vache à lait quand vous avez une faim immense et que vos compagnons de voyage courent dépenser leurs roupies pour des horreurs ciselées… [Cela] dit, d’après Jacques, en prenant des bus plus indonésiens, l’on aurait mis bien plus de temps, car il fallait au moins trois correspondances pour arriver…
Que Jacques parle l’indonésien, semble-t-il, débrouille pas mal de choses, ou les [débroussaille] tout au moins. Il a plaisir, de plus, à des marchandages infinis avec, en particulier, les conducteurs de becak. La course s’achève d’ailleurs généralement par une réévaluation, pourboire en plus, du prix préalablement arrêté ! Lesdits conducteurs de becak sont généralement pauvres — et vivent et dorment dans leur engin, qu’ils ont très cher payé…
Si les Indonésiens, le soir en boîte, dansent en deux files face à face sans se toucher, il y a, dans les bus locaux, un contact infini ! : on vous presse jusqu’à l’étouffement… Les jeunes gens de même sexe marchent dans les rues tendrement enlacés, et c’est un spectacle qui fait plaisir à voir. [Cela] dit, ce qui me plaît bien aussi, c’est que les Javanais sont d’une taille qui leur sied à ravir — et qui sied à l’humain (dirais-je) en règle générale : bref, ils sont très petits, et donc, décidément, souvent très mignons (vous voyez, je me fais à la race jaune ¡). Enfin, j’ai retrouvé chez eux [aucuns] des traits de Monsieur Caro [Lindsay], en particulier la couleur de peau — et la musculature longue des bras — et celle, plus courte, des mollets…
Nous nous parlons fort peu, Jacques et moi, mais notre intimité — n’est-ce pas Monsieur P. [= Pascal] — se passe fort bien. J’avais un peu des craintes, je ne sais pourquoi. Je doute, en tout cas, qu’il me saute dessus (comme dirait Nathalie), expression qui ne rend pas toujours compte de la réalité des situations, et (ou mais), comme ici tout est souvent déroutant, dépaysant, chargé d’épices lourdes qui meuvent la machine sensorielle que nous sommes, cela n’a que peu d’importance au fond… — Bref, nous restons très réservés, mais sans, je crois, que cela soit pesant ? Je sais, à présent, pourquoi nous nous sommes tant “chamaillés”, Lindsay et moi, lorsque nous sommes partis en vacances ensemble, l’an dernier. [Et] je ne sais pas pourquoi mais je crois que j’aurais bien mis Lindsay encore dans mes bagages cette année : l’Indonésie l'aurait bien intéressé…
— Voilà quelques nouvelles, forcément parcellaires. Le stylo-caméra n’est pas mon fort. Les moments les plus ennuyeux ont été de retrouver des Européens ici, chez qui nous avons dîné au steak-frites, puis fini dans une boîte glauque — celle où l'on dansait en file et face à face.
Jacques, demain soir, escalade un volcan [le Merapi] en compagnie de professionnels : ils vont même, je crois, descendre dans un cratère !
Je n’ai pas voulu y aller parce qu’il semble tout de même qu’il faille être en bonne [manque un feuillet dans ma correspondance, que je n’aurais garde de compléter de peur d’inventer ce qui devine toutefois… forme en tout état de cause !]
(à suivre [malgré tout !])