1241 - Quand vacillent les lucioles… (11)
Quand vacillent les lucioles…
Juin à Paris
(Journal extime, 22-28 juin 2021)
11
Dimanche 27 juin [suite]
Nous nous rendons ensuite au musée d’art et d’histoire du judaïsme, où j’ai réservé (Aymeric, lui, a imprimé nos billets) pour l’exposition Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1905-1940, qui, si elle présente des œuvres parfois inégales, nous plaît néanmoins beaucoup.
Non contentes des retrouvailles avec Otto Freundlich… Modiagliani… Soutine… l’occasion nous est offerte de découvrir des artistes inconnus
Marc Chagall, Apollinaire et Cendrars (?), 1910-1911, Encre et gouache sur papier, Collection particulière
Amedeo Modigliani (1884-1920), la Chevelure noire ou Jeune fille brune assise, 1918, Huile sur toile, Musée national Picasso-Paris
Amedeo Modigliani (1884-1920), Portrait de Dédie, 1918, Huile sur toile, Musée national Picasso-Paris
Chaïm Soutine (1893-1943), Portrait du sculpteur Oscar Miestchaninoff, 1923-1924, Huile sur toile, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
— dont certains donnent une vision forte, horrifique et grinçante, de la première guerre mondiale.
Marevna [Maria Vorobiev], 1892-1984, la Mort et la Femme, 1917, Huile sur bois, Genève, Association des Amis du Petit Palais
Simon Mondzain [Szamaj Mondszajn] (1887 ou 1888-1979), Pro Patria, 1916, Encre sur papier, Paris, Collection Marie-José Mondzain
Jacques Lipschitz (Chaïm Jacob Lipschitz), Gertrude Stein, 1920, Bronze, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
Pas plus que le Musée Guimet, nous n’avons pas le temps de visiter le reste de l’Hôtel de Saint-Aignan, et, comme pour le premier, nous nous promettons d’y revenir.
Fin d’après-midi
Nous hésitons un instant quant à la poursuite de ce que nous pourrions faire. Après avoir un peu erré entre le quai de Gesvres et le quai de la Mégisserie, entre les lignes 4 et 7, nous parvenons à rallier cette dernière afin de boire un verre avant le restaurant indien de la Butte-aux-cailles où nous sommes dorénavant accoutumés (le garçon qui nous accueillera nous reconnaîtra d’ailleurs comme tels). (En chemin, je vérifierai qu’adresse et enseigne n’ont pas changé, alors que la dénomination — peu heureuse — sur le site que j’ai consulté était différente, nous exposant à quelque déconvenue…)
Nous n’avons eu qu’une conversation quelque peu hachée auparavant dans le métro et lors de nos stations devant les œuvres des deux musées parcourus. Nous sommes également contents de nous poser dans ce bar où nous sommes allés déjà, de défatiguer nos pas. Aymeric est curieux d’avoir des nouvelles de Duncan. Je raconte donc notre rencontre.
Alors que je m’emploie à composer — j’avais pris un cliché de la fuite le matin avant de partir — un message pour Pascal, celui-ci m’appelle. La voisine de dessus l’a informé du dégât des eaux qu’elle a déjà constaté au plafond de ses propres toilettes. Pascal me demande d’essayer de resserrer l’écrou qui maintient le flexible de la chasse d’eau, afin, espère-t-il, de contenir ou de faire cesser la fuite.
Je demande à Aymeric quels sont ses projets de vacances : la Bretagne, Toulouse, en compagnie de P., deux régions de France qui, ce matin, refusent de me revenir en mémoire (l’Ariège ? l’Aude ? — je me raille de mieux connaître la géographie de l’Italie du Nord que celle du centre de la France).
Il a terminé le Journal de Jean-Luc Lagarce (qu’il m’avait donné l’envie de lire). Et abandonné un roman de Philippe Besson, s’irritant d’un énième « de surcroît » (j’aime les préventions, toujours aiguisées et faisant mouche, d’Aymeric).
Il me lit un passage de Ecrire de Marguerite Duras, qui affirme que l’écriture est un acte solitaire, à rebours, par conséquent, du quatre-mains que j’aimerais de temps à autre réaliser avec lui pour retracer nos rencontres. (Je m’amuserai des forfanteries de ladite Dame Duras, rapportées par Hervé Guibert, affirmant lui être supérieure, à preuve d’un chiffre de ventes supérieure chez Minuit de l’auteur de les Chiens ! La déclaration me semble à hauteur de son immense orgueil d’écrivain autant que son mépris de tous les autres.)
Je lui parle, en retour, de Défense de Prosper Brouillon d’Eric Chevillard, qui m’a beaucoup réjoui. Je ne parviens guère, en revanche, à progresser — sans que j’en comprenne la raison — dans Monotobio du même auteur.
Il me dit n’être pas retourné dans un musée depuis la fin du confinement. Comme il va à son travail à bicyclette, il a bien peu marché ces derniers temps…
Soir
Sur la terrasse du restaurant où nous sommes désormais installés, nous parlons, précisément, de son emploi. Il lui reste quatre ans à accomplir. Aussi ne souhaite-t-il pas passer de nouveaux concours. D’ailleurs, le poste qu’il a obtenu lui permettra d’avoir davantage les coudées franches. Il sera titularisé en août, ce qui signifie ne plus être à la merci de quelque chefaillon.
L’université dans laquelle il travaille dépend de plus en plus de services externalisés et est géographiquement éclatée en une trentaine de sites. Il commente l’absence d'un réel esprit de campus, de même que le manque d’agrément de l’endroit. Il a assisté à une réunion dans l'ancienne Faculté de médecine d’Odéon dans une salle aux boiseries magnifiques, qui lui a rappelé le Teatro Anatomico de l’université de Bologne : que ne travaille-t-il dans pareil lieu… Il commente les causeries menées là, entre collègues rébarbatifs dans leur machisme épais.
Nous vérifions — à notre grand contentement — que notre repas s’avère aussi bon qu’auparavant.
La soirée s’achève sur une autre terrasse. Je lui raconte mon rêve avec le jeune Erwan (en me promettant d’en retracer le détail par écrit ensuite).
La transition étant toute trouvée, il me dit que son voisinage s’avère toujours pénible. Il aime son appartement, mais le désagrément est grand d’avoir cette proximité de deux adolescents — dont l’un, très beau (précise-t-il), se montre particulièrement bruyant — et d’une mère célibataire qui peine à le tenir en lisière. Le jeune homme s’adonne — très bruyamment — à des jeux vidéo et multiplie les esclandres avec sa mère.
* * *
Il est bientôt presque 23 heures. Nous nous quittons Place d’Italie, chacun suivant sa destination, après une journée décidément bien remplie.