1249 - Si tant est que ce ne soit (toujours) pas une maladie… (11)
Si tant est que ce ne soit (toujours) pas
une maladie…
Carnets d'un rescapé
(Journal extime)
Work in progress
11
17 octobre
Après-midi
J’ai téléphoné à Marthe, puis à T. Nous allons, Paul, T. et moi, au rassemblement en hommage au professeur du Bois d’Aulnes. Des images de la décapitation circulent, que les élèves de la classe de 4ème ont vues. Que pareil spectacle soit rendu possible est ignominieux.
Nous allons ensuite au restaurant — M.-C. et Marthe se sont adjointes à nous — avec le sentiment que c’est la dernière fois avant longtemps. On nous demande de laisser nos coordonnées complètes. En un moment de révolte dérisoire — je sais bien pourtant que je ne pourrai pas toujours esquiver —, je ne donne pas les renseignements demandés, me doutant que personne ne vérifiera les données communiquées.
La pizza que je mange n’est vraiment pas bonne — la pâte, en particulier, trop caoutchouteuse. Je ne le dis pas, mais me promets de pas renouveler l’expérience avant longtemps.
Nous nous attardons— jusqu’à une heure inhabituellement tardive. Je me couche véritablement fatigué.
18 octobre
Matin
Peut-être est-ce pour cette raison que, me recouchant après le petit-déjeuner, je dors durant au moins une heure.
Je reçois un appel téléphonique de Claudie. Son chat est mort.
Mon père me téléphone ensuite. Il me prévient qu’il prévoit une séance — comme lui-même le dit — “Le Laboureur et ses Enfants”.
Après-midi
Déjeuner dominical. C’est moi qui invite. Mon père et ma sœur apportent trois chaises. L’assise en est plus basse — d’une dizaine de centimètres — que les précédentes. J’ai disposé sur la table les verres Lalique.
Nous chargeons ensuite deux chaises dans le coffre de la voiture de mon père. Nous allons voir ma mère. Si, la veille et l’avant-veille, elle allait bien et se montrait même souriante, ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui. Elle se plaint d’avoir mal, d’abord aux jambes, puis à la tête. Elle refuse farouchement de marcher. Puis répète à l’envi qu’elle va mourir le jour même.
De retour chez mon père, il nous fait part — ce n’est pas la première fois — des dispositions qu’il a prises en cas de décès ou d’invalidité. Il montre des dossiers. Certains relèvent d’archives familiales. Parmi les photographies, la plupart me sont connues. Je m’interroge d’ailleurs : comment se fait-il que, d’un album d’une famille à l’autre famille, les clichés partagent tant de ressemblances. Certes, certains costumes datés obéissaient à la mode d’une époque, mais pourquoi de scénographies identiques ? faut-il incriminer seulement le manque d’imagination ? Et tous ces inconnus qui errent sans mémoire de ce qu’ils ont été…
En repartant, je prends livraison de deux autres chaises.
19 octobre
Ne faudrait-il pas dès à présent cesser de rendre compte par le menu de mes activités journalières : autant vaudrait rapporter ce que je fais pas… Il apparaît d’ailleurs de plus en plus que je suis fatigué… Recouché dès après le petit déjeuner, il arrive, souvent, que je me rendorme, ou que je demeure un long temps allongé sur le dos à méditer — si l’on peut dire, car je ne pense pas à grand-chose alors… Il me faudrait plus de talent pour rapporter l’infra-ordinaire…
Séance chez l’orthophoniste à une heure inaccoutumée (17 heures) et après que j’ai déjà parlé en compagnie de Marthe, Paul et T.
Elle produit des photographies qui sont, par leur singularité, censées amener récit ou commentaire. Je m’aperçois d’une tendance chez moi à décrire et expliquer les images, plutôt que de recourir à des associations plus libres — tout en bridant mon imagination et me contentant d’une narration sèche. Je me le dis (c’est là une énième fois, en vérité !) : je n’ai aucune espèce qualité d’invention.
J’ai beaucoup de mal, ensuite, à trouver des anagrammes. L’une recouvre le mot dauphin. Pour me venir à mon secours, mon interlocutrice argue d’une étymologie latine ; or, le ph me trouble ; nous nous accordons, cependant, qu’un mot latin peut provenir du grec. Enfin je trouve le correspondant latin : delphinus. Et, en citant l’étymon, je m’aperçois que le prénom même de mon interlocutrice vient de là…
Soir
La présentation, avant le film à la télévision, de la Mariée était en noir me fait sourire puisqu’elle recourt à un cliché de langage que j’ai moi-même employé à propos de la Sirène du Mississipi… Cependant, tout en regardant (pour la deuxième ? troisième fois ?) le film de Truffaut, je me dis que la formule convient bien moins à la Mariée… Aucun « suspense », en vérité, dans cette vengeance programmée, en dehors peut-être du modus operandi, différent à chaque fois, employé par l’héroïne, Julie Kohler. Aucun discours patent sur la “culpabilité” (à la différence du cinéma de Hitchcock), fût-elle “fausse”, c’est-à-dire ambiguë et trouble, ou troublée à mesure que progresse le récit. Aucune histoire de couple — et pour cause ! — en formation non plus. Décidément, les obsessions et variations hitchcockiennes me paraissent bien plus évidentes dans la Sirène… Les parentés entre les deux films proviennent bien plutôt de leur source commune, un roman de William Irish, les deux histoires étant liées par une situation victimaire…