1262- Si tant est que ce ne soit (toujours) pas une maladie… (19)
Si tant est que ce ne soit (toujours) pas
une maladie…
Carnets d'un rescapé
(Journal extime)
Work in progress
19
13 novembre 2020
Déjeuner avec mon père. Il a vu l’anesthésiste pour son opération — mais compte différer.
Nous rendons visite à ma mère, qu’il n’a pas vue depuis jeudi. Il semble qu’elle ne s’en soit pas du tout rendue compte.
Après un quart d’heure, elle se plaint de ne pas sentir bien. Je me demande quelquefois si ce n’est pas là plutôt une stratégie pour aller se recoucher.
J’ai rendez-vous avec T. Je suis content de le voir, mais la contrainte d’une entrevue à l’extérieur, en temps limité, pèse.
Il me pose un problème de grammaire. Il m’amuse toujours qu’il m’accorde tant de crédit en la matière, et cela — naturellement — me fait plaisir. Je lui montre un courriel écrit durant l’après-midi pour Adrien, que j’ai entendu par hasard sur France Culture. Il corrige quelques-une de mes formules.
Il se dit satisfait du protocole sanitaire décidé au lycée. Il me raconte une énième visite du représentant de l’agence immobilière afin d’effectuer un nouveau relevé des compteurs d’eau, qui en tient, à présent, pour des erreurs imputables audit compteur.
Il commence à pleuvoir. Nous demeurons un peu pourtant — et nous quittons après une heure et quart.
Téléphonage, le soir, avec Aymeric. Il ne travaille que deux ou trois jours par semaine. Le plus pénible s’avère de tenir ses distances avec ses collègues. Il ne voit pas P*** du fait du confinement.
Il est allé en Bretagne durant les congés de la Toussaint. Sa mère, toujours valide, se mure de plus en plus en elle-même, — toujours lucide cependant — d’une lucidité amère. Toute mémoire immédiate s’oblitère en elle à mesure, un moment chassant l’autre. Ainsi elle ne se souvient plus avoir été visitée par une nièce, une fois celle-ci partie.
Il a vu, le dernier jour avant le confinement, l’exposition le Corps et l'Âme, de Donatello à Michel-Ange, sculptures italiennes de la Renaissance — que m’avait vantée, je crois, Patrice.
Il ne lit plus guère — je lui ai dit ma lente progression dans la lecture de le Château de Kafka, dont il me reste quarante pages —, mais une amie lui a offert un ouvrage qu’elle a publié chez l’Harmattan. Je parle alors d’Adrien. Il lira, me dit-il, le dernier livre de Patti Smith.
Je lui parle aussi du décès de R. J’ai conscience d’être un peu confus à ce propos. D’ailleurs, je m’irrite souvent des trébuchements de parole auxquels la fatigue — après tout, j’ai passablement discouru durant la journée, et, en l’occurrence, me montre plus disert que lui — me cloue.
Je lui demande des nouvelles de T***. Celui-ci a fait venir sa mère depuis Sète à Strasbourg. Je m’étonne d’une telle migration, peut-être un peu rude. Elle connaissait et appréciait la ville, me dit Aymeric.
Nous raccrochons après une heure et quart de conversation.
14 novembre
Double anniversaire ce jour : celui de François et de Valérie. Je bataille avec le téléphone mobile afin de retrouver le montage photographique fait auparavant, probablement pour Julien. J’y parviens néanmoins.
Café chez Simone. Nous parlons surtout des effets de ce nouveau confinement — parole aussi peu intime, aussi impersonnelle que jamais, songé-je à part moi. (Simone poursuit, clandestinement, ses cours, dans une salle suffisamment grande — et haute — pour que chacun — nous sommes généralement trois ou quatre, en vérité — conserve toute distance prescrite.) P. revient d’une promenade où il a pris des photographies. Le parc où il s’est rendu était surpeuplé. Il m’offre une bière. J’apprends que le périmètre où nous résidons, eux et moi, est exempté du port du masque. « Nous sommes en zone libre », conclut P. plaisamment.
Après une annonce entendue le matin à la radio, j’écoute l’émission sur A. K., où intervient – bien sûr ! — Adrien.
15 novembre
Matin
J’ignore ce qui a pu se passer, mais je constate l’absence de toute alimentation électrique pour les ordinateurs. Je débranche et réinstalle tous les appareils — ce qui me prend près d’une heure de vérifications. En me relevant, j’ai très mal au dos…
J’ai reçu un avis de redressement de la part des impôts !
Je déjeune avec mes sœur et père. Nous nous mettons d’accord, elle et moi, pour organiser les visites de la semaine à venir.
Je reçois un appel téléphonique de Khadija — interrompu après une heure et quart par sa mère qui la réclame. Elle a accueilli toutes ces dernières semaines tout un défilé familial d’invités — qui un petit cousin, qui une sœur, qui un frère… —, ce qui l’a occupée tant et plus. Comme toujours, Khadija me fait parler, et je dois m’enquérir de ses propres nouvelles.
Elle s’inquiète des dérives autoritaires du pouvoir exécutif du fait des mesures sanitaires. Seraient données dans les hôpitaux des consignes — J***, son frère y est médecin — pour laisser mourir les gens et faire un tri entre les patients. Elle allègue que, pour elle (d’après J***), le vaccin est prêt pour les militaires et d'abord disponible pour eux. J’ai un peu de mal à souscrire à ce point de vue.
Elle viendra à **** dès que nous serons « déconfinés ». (Quand elle me demande si je viendrais la voir, je reste prudemment évasif. D’ailleurs, un peu idiotement, je songe que je devrais réserver la priorité à W. Je suppose qu’elle aura noté ma réticence.)
Elle ne souffle mot à propos d’A***, son frère, ce qui laisse supposer qu’il n’est nullement sorti de ses diverses addictions.