1288 - Si bien que… ? (2)
Si bien que… ?
(Journal extime)
Work in progress
2
16 mars 2021
Long téléphonage avec Pascal — de presque une heure et demie, en vérité.
Il me dit se trouver dans un grand jardin en Bretagne.
Plus tard, il évoquera une plante, qui paraîtra l’écouter, puis, plus tard, l’agresser.
Entre-temps, il aura répété — à trois reprises — qu’il a bu. (Je me dis à ce sujet que, décidément, il me téléphone toujours pris de boisson — à moins qu'en vacances ce ne soit son ordinaire…)
Quoi qu’il soit, il me semble, en tout l’écoutant, que nous nous hasardons sur des chemins aventureux en ce qu’ils ressuscitent des démons anciens, lesquels nous rapportent à une mémoire plus ou moins mal refermée ou mal enfouie…
Il est seul, me précise-t-il. Sans F. — raison pour laquelle sans doute la conversation prendra, de plus en plus, ce tour intime.
Il se plaint d’entrée de jeu — je lui ai envoyé un message pour son anniversaire — qu’on l’ait tant sollicité pour ses soixante ans… « Tu te rends compte, soixante ans !!… » : ça paraît un point de fixation pour lui. Et, comme pour mieux m’inviter à partager son inquiétude, il me fera répéter à divers reprises mon âge, tout en s’embrouillant à plaisir — ou pour sa grande peine ! — quant à la différence de quelque treize mois (à son bénéfice, pourtant) qui existe entre lui et moi.
F. a tenu à ce qu’ils fêtent son anniversaire à Paris. Il m’incite à y séjourner. Au moins, si les musées sont fermés, les galeries d’art sont-elles ouvertes… « Tu peux y aller avec qui tu veux ! », insiste-t-il. (Je me tais obstinément, en entendant pareille allusion.)
Il me dit que j’ai fait d’immenses progrès en matière d’élocution. Je lui parle du médecin que je dois voir le lendemain, qui doit statuer sur mon avenir. Lui, s’est débattu avec sa mutuelle pour pouvoir être remboursé après avoir été opéré de mélanomes.
Je croule ensuite sous une charrette de compliments, que je m’efforce d’esquiver.
Puis, relevant à la volée le nom de T. — je suis pourtant bien certain de l’avoir à mainte reprise mentionné —, il me travaille interminablement au sujet de de notre amitié. Il la transforme en une amitié amoureuse, que ni T. ni moi ne voudrions nous avouer en raison de je ne sais quel effarouchement.
A sa demande, et tout en gommant le moindre détail qui prêterait néanmoins à équivoque, je brosse un portrait de T.
— Et voilà que Pascal évoque la fois où nous nous étions embrassés (de cela, je ne me souviens pas vraiment) et caressés (de cela, je me souviens, en revanche, nettement, sa main sous le vêtement faisant vibratile, érectile, mon sein) quelque trente-cinq (?) ans auparavant.
Je me rappelle aussi que, sur le moment, je lui en avais voulu d’interrompre tout soudainement pareils préliminaires, plutôt excitants. « Je bandouille », avais-je dit par plaisanterie. Et, mêmement, je songe, cum grano salis, que la rime avec « andouille », dès lors, serait prête depuis, et de toute éternité — en cette interruption du plaisir, qui n’a pu que laisser des regrets.
Et Pascal de prétendre aujourd’hui que, s’il n’avait pas poursuivi alors ces approches dont il était l’instigateur, c’était à cause de J.-M. Or, je sais, autant que je savais à ce moment-là, que ce n’avait été un obstacle à aucun de ses excursus auprès de nombreux garçons — informé le plus souvent que j’étais de ses coucheries à droite comme à gauche, tues cependant à son compagnon, qu’il connaissait, il est vrai, comme possessif et jaloux —, non plus que ce n’avait retenu J.-M. de céder — évidemment ! — à l’intense séduction (réciproque, en vérité) à laquelle s’était livré un dénommé Philippe, inexorablement attiré par J.-M. et qui voulait connaître avec lui, avait-il dit, une première (?) expérience homosexuelle. Or, précisément, c’était cette exception, faite par Pascal auprès de moi, qui m’avait, pour lors, assez considérablement blessé.
Et voici que (je connais cette antienne) il me parle de mes poils, qu’il avait, dit-il, adorés. « J’aurais voulu faire l’amour avec toi. » « — Pas baiser, ni s’enculer », précise-t-il.
A ses paroles, je me tiens presque toujours coi — non sans protester pourtant au passage sur ces poils qui semblent mon meilleur étendard (je songe à R., à Duncan, à Julien… entre autres de mes lovers), quoi que j’en aie.
(Et pourtant. Car, à y penser, en retranscrivant ces notes et au téléphone alors, à nouveau, je bandouille de nouveau. Et — c’est entendu — j’ai pour Pascal une affection profonde, et je n’entends — s’il est besoin de préciser — dire aucun mal de lui ; mais sa propension à vouloir séduire a pu parfois agir sur moi quand j’en étais l’objet, tout autant que m’irriter quand il s’agissait d’un autre qui l’était ! [Je me moque de moi : c'est entendu.])
La suite de notre conversation éclaire, en vérité, ce qui a pu jadis l’inhiber — puisqu’il fait état de bien de personnes qui auraient émis un avis négatif, ou une retenue, à l’égard de la personne que je suis, ou, plutôt, incarne, prétendument froide et tout intellectuelle. — Comment ne pas vivre, pourtant, son propos comme une nouvelle offense ? Il ne sert de rien, sans doute, que je me dise sensuel et timide (Pascal touchant, par là, un point particulièrement sensible, tant et si bien que je me garde bientôt de développer), ma réserve pouvant apparaître comme de la hauteur aux yeux de qui ne me connaîtrait pas bien.
* * *
A quelque degré, la teneur de cette conversation me laisse médusé. Que faire de pareils aveux ? Quid d’une relation — qu’il envisage pourtant comme telle ! — entre lui et moi, au bout de dix… vingt… trente ans ? — Comme s’il avait jamais été question de cela !
Je m’étonne à part moi — et commente (mais le devrais-je, cependant, sans m’engluer dans son jeu ?) : j’argue, en effet, ne pas trop croire à la pérennité des relations amoureuses. Je concède qu’une sorte d’amitié amoureuse pourrait constituer un idéal, quelque sex friend ou lover valant mieux qu’un amoureux passionné ou “mari” sourcilleux — d’autant que je me suis souvent ingénié à pratiquer la politique de la terre brûlée afin de dessécher à mon entour tout faux semblant d’amour… Et je songe un instant à Alain qui, peut-être, a joué un jeu de séduction similaire au sien en son temps, lors d’une séance de bricolage dont il m’arrive d’être hanté
(à verser au dossier des occasions manquées — ce que je raconterai peut-être quelque jour —, lesquelles brillent parfois d’un éclat de diamant noir de n’avoir pas été honorées…)…
(… …)
* * *
« Fantasme ! fantasme !! fantasme !!! » aurait dit avec une goguenardise toute gourmande Alain lui-même.
Je revois son joli torse velu, mince et bien dessiné, auquel il serait faux de dire que j’étais indifférent. Me plaisait aussi qu’il fût à peine plus grand que moi.
M’a plu, mais paralysé, ce qui ne pouvait être qu’une invite, que je n’ai pas su comprendre — une invite dont je n’ai pas su m’emparer. (A verser au livre des occasions manquées, dis-je !)
* * *
Cet aveu — celui de Pascal —, à presque quarante ans d’intervalle, dicté par quelque mélancolie née de l’intempérance, que pourrais-je en faire ? Je me dis que, décidément, Pascal s’emploie à brouiller les cartes, toujours. Et la gêne que j’en ai conçu m’apparaît tout de même plus grande que le contentement que je pourrais y trouver…
* * *
(Au cours de notre conversation, comme en contrepoint du canevas par trop personnel, nous parlons de ma mère, de mon père, de ma sœur.
— Etait-ce après ? avant ? je ne pourrais le dire dorénavant…)
[9 janvier 2022
Emboîtements, correspondances et décalages :
Il s’était fait longuement attendre : je t’appelle bientôt, m’avait-il écrit, il y a deux mois peut-être ; puis au tout début de l’année : je t’appelle la semaine prochaine ; et c’est le dimanche que, tout à fait sobre cette fois, Pascal me téléphone — sobriété manifeste qui me rassure à mesure de l’heure que dure notre conversation.
Nous parlons — lui surtout — de la situation sanitaire, de la façon dont elle grève nos existences, dont elle pèse sur nos libertés et congés : F. et moi ont dû annuler à trois reprises un voyage à Naples. Le guide que je leur avais acheté, plaisante-t-il, est toujours sur la table de chevet. Ils devraient prochainement se rendre aux Antilles, en février, si la pandémie le leur permet.
Ils iront à Paris au début de la semaine. Des travaux importants sont à prévoir dans leur immeuble. En voulant rénover l’appartement du deuxième [?] étage, les nouveaux propriétaires, après le décès de Monsieur B., se sont aperçus de toutes sortes de malfaçons et de remises aux normes nécessaires, engageant toute la copropriété. Pascal et F. ont fait faire des devis et Sun réunit les uns et les autres afin de voter les décisions qui s’imposent.
Je dis que j’irai peut-être à Paris aux commencements du printemps. Il m’y encourage.
A ma demande, Pascal me donne des nouvelles de W., qu’il doit voir prochainement quand elle rendra visite à sa sœur, dont je me rappelle qu’elle habite M*****. W. va bien, elle s’est remise au saxophone, a diverses activités, le taï-chi notamment. Je raconte avoir eu le projet de passer la voir en août, voire de passer chez eux à mon retour de Dieppe — ce que le décès de ma mère avait empêché. A ce propos, je me demande quand nous nous verrons, eux, F. et Pascal, et moi — et si nous nous verrons bientôt.
Je lui dis que (coïncidence des dates !) j’ai rendez-vous chez le médecin le lendemain. Lui n’a pas de doute sur la prolongation de mon congé. Je ne m’inquiète pas vraiment, mais ne suis sûr de rien.
Comme F. rentre du travail, il abrège, et nous nous quittons sur la vague promesse de nous retrouver aussitôt que l’occasion s’en présentera.
(Il n’a rien dit de mes progrès d’élocution — et m’a d’ailleurs épargné la sorte de compliments dont il a coutume quand il est soûl. C'est peu dire, en fait, que je préfère qu’il en ait été ainsi…)]