1287 - Précoce vendange, vendange tardive (10)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Précoce vendange,

vendange tardive

Journaux parisiens parallèles

(Journal extime)

Work in progress

 

10

 

17 octobre

Matin

Je suis réveillé tôt : il n’est même pas six heures, tant et si bien que je demeure au lit trois quarts d’heure.

Je lis et paresse ensuite encore après le petit déjeuner.

Alors que je suis en train de faire des courses, B. appelle : elle propose de se voir plutôt en début d’après-midi — alors que, dans mon message de la veille, j’ai prévenu que je serais occupé à ce moment-là. J’ai du mal à dissimuler mon agacement. Je tâche néanmoins de me radoucir, et nous arrêtons de nous téléphoner à nouveau au cours de l’après-midi.

 

Après-midi

Nous nous retrouvons à l’entrée du musée Jacquemart-André, N. — seule exposition qu’il ait consenti de faire avec nous, dans le programme, dense, que nous avons arrêté en prévision de mon séjour —, Judith et moi, pour l’exposition assez captieusement intitulée Botticelli, artiste & designer.

1287 - Précoce vendange,  vendange tardive (10)

Nous circulons dans un espace saturé (dont l’on ne peut s’empêcher de songer qu’il serait idéal à la propagation du coronavirus), encore plus peuplé dans mon souvenir que lors de l’exposition consacrée au Caravage. Chacun dans la presse suit sa trajectoire, plus rapide chez N. comme d’ordinaire, non sans quelques points de rencontre entre Judith et moi. Mais nous ne nous parlons guère alors. Nous sommes confrontés à une telle évidence des chefs d’œuvre, que la désarme toute velléité de commentaires. Toutefois, l’univers des représentations n’est pas le même, et toute mise en parallèle entre les deux univers — renaissant et contemporain — paraît barré, sinon interdit (pas seulement pour des raisons religieuses, bien évidemment) : telle est peut-être la raison de l’intitulé anachronique et stupide trouvé par quelque “communicant” en mal d’une publicité ou d’un “dépoussiérage” qu’il n’était pas besoin d’opérer

Etrangement figés dans une gestuelle suspendue, ces personnages qui ne nous regardent pas semblent chavirés — à l’instar de leur regard — par la monumentalité à laquelle l’histoire les destine, ou les assigne, dans leur évidence hiératique — où Botticelli autant que les continuateurs qui sont exposés se reconnaissent aisément, sans que le spectateur, confronté à cette familiarité, ne se trouve toutefois jamais dans l’intimité des protagonistes. La grâce des figures féminines n’en est plus qu’intimidante, qui la sépare du regardeur, la rend inaccessible — et, comme telle, proprement sacrée (au sens du “sacré droit” de Michel Leiris).

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445-1510), Vierge à l'Enfant dite Madone au livre, Vers 1482-1483, Tempera sur bois, Milan, Museo Poldi Pezzoli

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445-1510), Vierge à l'Enfant dite Madone au livre, Vers 1482-1483, Tempera sur bois, Milan, Museo Poldi Pezzoli

Alessandro Filipepi dit Botticelli et Filippino Lippi (1457-1504), L'arrivée d'Esther devant Suse, Vers 1475, Tempera sur bois, Ottawa, Musée des beaux arts du Canada

Alessandro Filipepi dit Botticelli et Filippino Lippi (1457-1504), L'arrivée d'Esther devant Suse, Vers 1475, Tempera sur bois, Ottawa, Musée des beaux arts du Canada

Alessandro Filipepi dit Botticelli et Filippino Lippi, le Triomphe de Mardochée, Vers 1475, Tempera sur bois, Ottawa, Musée des beaux arts du Canada

Alessandro Filipepi dit Botticelli et Filippino Lippi, le Triomphe de Mardochée, Vers 1475, Tempera sur bois, Ottawa, Musée des beaux arts du Canada

Alessandro Filipepi dit Botticelli et Filippino Lippi, le Retour de Judith à Béthulie, Vers 1469-1470, Tempera sur bois, Cincinnati, Cincinnati, Art Museum

Alessandro Filipepi dit Botticelli et Filippino Lippi, le Retour de Judith à Béthulie, Vers 1469-1470, Tempera sur bois, Cincinnati, Cincinnati, Art Museum

Alessandro Filipepi dit Botticelli et atelier, la Vierge et saint Jean-Baptiste adorant l'Enfant, Vers 1490-1492, Tempera et huile sur bois, Cardiff, Amgueddfa Cymru - National Museum of Wales
Alessandro Filipepi dit Botticelli et atelier, la Vierge et saint Jean-Baptiste adorant l'Enfant, Vers 1490-1492, Tempera et huile sur bois, Cardiff, Amgueddfa Cymru - National Museum of Wales

Alessandro Filipepi dit Botticelli et atelier, la Vierge et saint Jean-Baptiste adorant l'Enfant, Vers 1490-1492, Tempera et huile sur bois, Cardiff, Amgueddfa Cymru - National Museum of Wales

Maître des bâtiments gothiques (Jacopo Foschi ?, actif à Florence vers 1485-vers 1520), la Vierge et saint Jean-Baptiste adorant l'Enfant devant une vue de Venise, Vers 1500, Tempera sur bois, Paris, Musée Jacquemart-André - Institut de France
Maître des bâtiments gothiques (Jacopo Foschi ?, actif à Florence vers 1485-vers 1520), la Vierge et saint Jean-Baptiste adorant l'Enfant devant une vue de Venise, Vers 1500, Tempera sur bois, Paris, Musée Jacquemart-André - Institut de France

Maître des bâtiments gothiques (Jacopo Foschi ?, actif à Florence vers 1485-vers 1520), la Vierge et saint Jean-Baptiste adorant l'Enfant devant une vue de Venise, Vers 1500, Tempera sur bois, Paris, Musée Jacquemart-André - Institut de France

Maître des bâtiments gothiques (Jacopo Foschi ?, actif à Florence vers 1485-vers 1520), d'après Botticelli, la Vierge du Magnificat, Années 1490, Tempera sur bois, Montpellier Méditerranée Métropole, Musée Fabre, dépôt du musée du Louvre, 1979

Maître des bâtiments gothiques (Jacopo Foschi ?, actif à Florence vers 1485-vers 1520), d'après Botticelli, la Vierge du Magnificat, Années 1490, Tempera sur bois, Montpellier Méditerranée Métropole, Musée Fabre, dépôt du musée du Louvre, 1979

Alessandro Filipepi dit Botticelli et atelier, le Couronnement de la Vierge avec saint Juste de Volterra, le bienheureux Jacopo Guidi de Certaldo, saint Romuald, saint Clément et un moine camaldule, Vers 1492, Tempera et huile sur bois transposé sur toile, Miami Beach, Collection of The Bass, Don de John & Johanna Bass
Alessandro Filipepi dit Botticelli et atelier, le Couronnement de la Vierge avec saint Juste de Volterra, le bienheureux Jacopo Guidi de Certaldo, saint Romuald, saint Clément et un moine camaldule, Vers 1492, Tempera et huile sur bois transposé sur toile, Miami Beach, Collection of The Bass, Don de John & Johanna Bass

Alessandro Filipepi dit Botticelli et atelier, le Couronnement de la Vierge avec saint Juste de Volterra, le bienheureux Jacopo Guidi de Certaldo, saint Romuald, saint Clément et un moine camaldule, Vers 1492, Tempera et huile sur bois transposé sur toile, Miami Beach, Collection of The Bass, Don de John & Johanna Bass

Alessandro Filipepi dit Botticelli, Crucifix, Vers 1490-1495, Tempera sur bois, Diocèse de Prato, Museo dell'Opera del Duomo

Alessandro Filipepi dit Botticelli, Crucifix, Vers 1490-1495, Tempera sur bois, Diocèse de Prato, Museo dell'Opera del Duomo

Alessandro Filipepi dit Botticelli et atelier, Vierge à l'Enfant avec le jeune saint Jean-Baptiste, Vers 1505, Tempera et huile sur bois, Florence, Gallerie degli Uffizi (Palazzo Pitti, Galleria Palatina)
Alessandro Filipepi dit Botticelli et atelier, Vierge à l'Enfant avec le jeune saint Jean-Baptiste, Vers 1505, Tempera et huile sur bois, Florence, Gallerie degli Uffizi (Palazzo Pitti, Galleria Palatina)

Alessandro Filipepi dit Botticelli et atelier, Vierge à l'Enfant avec le jeune saint Jean-Baptiste, Vers 1505, Tempera et huile sur bois, Florence, Gallerie degli Uffizi (Palazzo Pitti, Galleria Palatina)

Si, à la sortie, N. et Judith se montrent enthousiastes, je ne suis pas certain que ce soit pour autant la peinture que je préfère.

 

Après avoir revu le fonds consacré à l’art de la Renaissance,

1287 - Précoce vendange,  vendange tardive (10)

nous allons à la dérive avant de trouver un lieu où nous poser et retrouver la parole, quoique N. s’avère tout aussi taciturne qu’à l’accoutumée. Contrairement à d’autres fois, il a malgré tout consenti à nous accompagner dans ce café-salon de thé dans lequel, puisque Judith a commandé une salade, je peux me faire servir un verre de vin.

Judith, selon son habitude, domine les échanges. Je la seconde autant que je le peux.

 

Il est bientôt 16 heures.

J’appelle B., afin de lui fixer un rendez-vous. Nous convenons de nous retrouver à 17 heures.

 

Nous passons salle Gaveau afin que N. réserve des places pour un récital de Martha Algerich (et je songe à nouveau que cette pianiste n’est pas, parmi les interprètes que je connaisse, celle que je préfère, faute d’un jeu plus perlé). Je pense au concert où nous étions allés ensemble à la cathédrale arménienne Saint-Jean-Baptiste, lequel concert avait plu à Judith et N., lors d’un récital auquel participait Adam Laloumet que j’étais bien content de leur offrir.

 

Nous prenons ensemble, Judith, N. en retrait, fidèle à son habitude et moi, la ligne 13 jusque Montparnasse. Comme je le lui demande ce qu’il en est de ses soucis de propriétaire, elle évoque des rats à n’en plus finir dans le pavillon du Bourget — des rats très grands et très gros (le geste sert à évaluer leur taille est celui d’un demi-mètre).

Je quitte Judith et N. à la gare de Montparnasse au détour d'un couloir de métro et poursuis mon voyage avec la ligne 6 pour rejoindre B.

 

-=-=-=-=-=-=-=-

3 septembre

Matin

Judith me prévient qu’elle sera, comme à l’accoutumée, en retard. Moi-même m’étais trompé de ligne de métro, avais rebroussé chemin et m’étais pressé pour être à l’heure. Elle arrive vingt minutes plus tard.

 

Si j’avais vu à Copenhague des toiles de Vilhelm Hammershøi, je ne suis pas certain d’en avoir remarqué de ce peintre dont le nom — Peder Severin Krøyer — m’était totalement inconnu avant de visiter l’exposition l’Heure bleue qui lui est consacrée au Musée Marmottan.

Un bel autoportrait, puis un très bel autoportrait double (sa femme, elle-même peintre, et lui s’étant représentés chacun sur un même tableau) ouvrent une première galerie de tableaux. La peinture est assez souvent d’ailleurs le sujet des toiles, elle et d’autres artistes peignant devant la mer, celle-ci représentée dans des cadrages parfois insolites qui invitent à reconsidérer l’espace.

Un tableau donne son nom à son exposition, la lumière crépusculaire et bleutée devenant, de fait, à mesure que se constitue l’œuvre, la manière comme la matière du peintre.

Certains tableaux relevant de scènes pittoresques — cela se sent, cela se voit — ont été peints afin d’être exposés dans les salons parisiens, l’artiste ayant vécu dans la capitale de la peinture alors ; mais, n’y étant pas demeuré, il acquiert davantage d’originalité, de personnalité, de sincérité — même si ses portraits peuvent paraître conventionnels quelquefois — dans les toiles de la maturité.

Et j’emporte en esprit l’ineffable expression réjouie de ce petit garçon sortant nu de sa baignade, dans cette heure bleue, crépusculaire, pourtant estivale et solaire, résumant (d'autant qu'elle est la préquelle symétrique du tableau de 1908) toute une peinture heureuse.

Peder Severin Krøyer, Garçons se baignant un d'été sur la plage de Skagen, 1899, Huile sur toile, Copenhague, Skatens Museum fort Kunst

Peder Severin Krøyer, Garçons se baignant un d'été sur la plage de Skagen, 1899, Huile sur toile, Copenhague, Skatens Museum fort Kunst

*  *  *

Au sous-sol, devant les toiles de Monet, par-delà des redites, je m’essaie à corriger la luminosité de l’appareil photographique pour la rapprocher de celle de certaines toiles de Monet, et j’ai la satisfaction d’y parvenir à peu près. De même, je produis un effet approchant ce tableau de Gauguin exposé parmi les meubles du rez-de-chaussée que nous parcourons, avant que Judith ne pratique de larges coupes claires au premier étage du pavillon et que nous nous en allions.

 

Après-midi

Après l’avoir un peu cherché, nous déjeunons non loin de la Place de la Muette dans un restaurant libanais dans lequel nous étions déjà allés auparavant.

Judith me demande comment va mon père après le décès de ma mère.

En retour, après avoir développé ce que je peux appréhender d'un deuil plutôt taciturne, je lui demande comment se portent N. et les enfants : la situation ressemble d’assez près à ce qu’elle était en juin lors de mon dernier passage, à ceci près qu’elle s’est aggravée. Ainsi Lucien a appris à la rentrée devoir, pour son école d’ingénieur du son, sacrifier à un stage en alternance — tombait-il vraiment des nues ? je n’en suis pas persuadé —, et, tandis que les autres s’étaient démenés pendant l’été pour se trouver une entreprise, il cède à une indolence de mauvais augure, ayant repris son rythme de lever tardif, en début d’après-midi…

Ce qui est également nouveau, c’est que Flore s’interpose, tout en prenant sa défense, contre ses parents et lui.

Pour sa part, elle n’a pas cherché à faire valoir des équivalences après son année d’hypokhâgne, n’est pas parvenue à s’inscrire en psychologie, choisissant Histoire par défaut — mais ne comptant en aucun cas en suivre les cours.

Lui, est presque anorexique.

N. s’accuse d’avoir été un mauvais père. Il a eu une crise de larmes au beau milieu d’une nuit précédente, pleurs que Judith a énergiquement calmés : il suffit d’un dépressif à la maison, lui ne l’est pas, et devrait faire face...

 

Judith se débat encore et toujours avec son petit pavillon investi de rats ou de souris — et je me dis rétrospectivement que j’ai bien fait de pas me laisser persuader d’une affaire immobilière mirobolante dont elle et moi serions a présent bien embarrassés.

 

Je raconte les premiers agacements envers le jeune Erwan, qui, jusqu’à preuve du contraire, abrite une jeune fille sur son (notre !) toit, ce qui veut dire logiquement deux fois plus de nuisances sonores, voire davantage parce que ce petit couple (si c’est en un) est pris de bavardages (lui, surtout) à n’en plus finir…

J’espère que ce n’est que provisoire car, l’aurais-je su auparavant que j’aurais refusé tout net une cohabitation dans un appartement si petit. Et je jugerais malhonnête de constater que le jeune homme a loué le bail en toute connaissance de cause.

Judith me répond qu’à cela, malheureusement, il n’existe pas vraiment de recours.

Je grimace à pareille pensée.

 

Gros et petits enquiquinements occupent ainsi le terrain de nos causeries. Heureusement, la matière s’en trouve déblayée, et nous en serons quittes pour les prochains jours… (Je remets au plus tard les révélations familiales dont ma sœur m’a fait part une semaine [?] auparavant…)

Le déjeuner terminé, nous prenons ensemble le métro, elle pour rentrer chez elle, moi, changeant deux fois de ligne, pour me rendre au musée Rodin.

 

 

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