1369 - Si tant est que ce ne soit (toujours) pas une maladie (29) • Séquelles
Si tant est que ce ne soit (toujours) pas
une maladie…
(Journal extime)
Work in progress
29
11 juillet 2022
J’attends longtemps l’orthophoniste. Jetant par intermittences un regard sur l’heure qu’affiche le téléphone portable, je m’irrite de son retard.
Elle apparaît tout à coup en compagnie d’une patiente. Et me dit qu’elle m’attendait une heure plus tôt.
Je reste interloqué un instant, puis l’assure que j’avais noté sur un papier l’horaire de 14 heures 45.
Elle me fixe un nouveau rendez-vous pour le lendemain.
Sitôt sorti, je demeure incertain de l’heure que nous venons pourtant d’arrêter.
12 juillet
J’envoie un message pour la lui demander. Sa réponse me parvient quelque trente minutes plus tard, et force m’est de constater que l’heure du rendez-vous est tout autre que celui que j’avais retenu…
Je ne suis pas, cependant, au vrai bout de ces petites contrariétés qui sont les miennes désormais — et dont je note la résurgence fâcheuse. Comme je téléphone pour réserver pour dîner au restaurant le soir même avec T., alors que le serveur (dont j’ai reconnu la voix) m’interroge sur l’heure à laquelle nous comptons venir, je me mets à bredouiller en énonçant ma réponse, puis pars d’un rire que j’aimerais moins niais, mais qui tient à mon bredouillis même.
Il me dit alors que le restaurant est complet. J’exprime ma surprise : « C’est vrai ?! » : l’heure que je lui ai indiquée est celle du tout début de soirée, et nous sommes un mardi qui plus est ; et, tandis que, ponctuant par un regret notre conservation, il raccroche, je reste pour le moins incrédule.
Je raconte l’incident à l’orthophoniste, alors que, revenant sur mon errement de la veille, je réitère mes excuses, rapportant aussi une anecdote vieille de plusieurs mois, où, voulant mêmement réserver dans un restaurant, j’avais dit « 1930 » en place de « 19 heures 30 ». Mon interlocuteur — indien ou pakistanais et maîtrisant plus mal que moi en l’occurrence ma langue native — ne s’était pas le moins du monde offusqué, voire avait décrypté malgré tout ce que j’avais tenté de lui signifier…
Je raconte aussi l’incident à T. peu après, et lui confie mon incrédulité. Je ne crois pas, en effet, que le restaurant pût être plein, en arguant que le garçon, ne sachant pas s’il avait ou non affaire à un interlocuteur stupide, sinon un plaisantin, s’était prémuni en préférant dire l’endroit complet. Si ç’avait été le patron qui avait pris la réservation, expliqué-je, il aurait reconnu mes accents traînants, mes hésitations et autres trébuchements langagiers, et aurait clos notre conversation par quelque formule attestant que rendez-vous était pris — et qu’il nous réservait l’une des deux tables auxquelles nous sommes accoutumés, T. et moi. (Je ne peux m’empêcher de songer à part moi que, si époustouflant que puisse paraître le garçon à mes yeux — et plus encore à ceux de T. — en charge de prendre les réservations des clients [j’ai déjà rapporté cela ¡], il doit être tout de même assez sot, d’une stupidité d’une eau différente de celle de la maladie (si tant est, j’en conviens, que ce soit vraiment une maladie, selon la formule désormais consacrée…) dont je suis affecté.
C’est pourquoi, le soir même, je propose à T. de me mettre à l’épreuve de ce que je crois avoir compris de la situation que j’ai créée bien malgré moi. J’ai réservé entre-temps dans un autre endroit, mais nous convenons que si, de fait, nous trouvions de la place nous mangerions plutôt où nous avions convenu primitivement d’aller et que je décommanderais le second restaurant.
Il n’y a qu’un couple sur la terrasse du restaurant. On nous désigne deux tables possibles où nous asseoir. Une musique plutôt forte provient de l’établissement situé presque en face, et T., à peine installé, que ce flot de musique sud-américaine indispose, suggère de migrer à l’intérieur. Là, derechef, nous nous voyons proposer deux autres tables...
Bientôt, le garçon auprès de qui j’avais voulu réserver vient nous demander si nous voulons boire un verre de vin en apéritif — et s’empresse de nous l’apporter, l’air de rien, parce que, très vraisemblablement, il n’a pas compris qu’il avait eu affaire à moi quelques heures auparavant… Et nous devrons bien constater au cours de la soirée que, si l’établissement se remplit à mesure, il n’est jamais tout à fait plein pour autant.
Le plus piquant de l’histoire, c’est que nous voyons bientôt s’installer, de l’autre côté de la fenêtre où nous siégeons, directement en vis-à-vis pour ce qui me concerne, le serveur de l’autre restaurant où je me viens de me décommander (serveur dont j’avais reconnu la voix au moment où j’avais réservé). Et l’ironie serait totale si lui-même avait identifié son interlocuteur quand j'avais téléphoné — et s’était demandé ce que nous faisons là, alors que nous étions censés dîner à l’endroit où il travaille habituellement !
Nous nous en amusons donc. Il n’en demeure pas moins que pareil incident, dû à mon handicap actuel, ne laisse pas de me contrarier. Et je me demande ce que serait mon lot dans le cas où les séquelles de ma maladie — si tant est que, etc., etc. — seraient autrement plus visibles, ou plus graves…