1415 - La Toscane et la Ligurie… aux rixes de Michelangelo Merisi
La Toscane et la Ligurie…
aux rixes de
Michelangelo Merisi
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(reportage photographique : 11-21 octobre 2022)
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12 octobre, matin, Florence, Galleria degli Uffizi (Musée des Offices)
Michelangelo Merisi, detto il Caravaggio (Milano 1571-Porto Ercole 1610), Sacrificio di Isacco/ Sacrifice of Isaac, 1603-1604 circa, olio su tela/ oil on canvas
12 octobre, après-midi, Florence, Palazzo Pitti, Galleria Palatina
18 octobre, après-midi, Gênes, Palazzo Bianco (ou Palazzo Brignole, ou Palazzo Luca Grimaldi)
Le contentement est immense de revoir les cinq Caravage attendus, tous en place dans les trois musées.
Mon souvenir, cependant, n’en était pas toujours exact.
De la voir tous les jours — sans doute — sous forme de carte postale (que m’avaient adressée lors d’un voyage à Florence F. et Pascal) tout à fait plane (et d’ailleurs pas vraiment entière), j’avais oublié que la victime de Persée par le Caravage avait été peinte sur la surface convexe d’un bouclier de bois, comme si dans cette rondache en cuivre polie de sorte d'agir tel un miroir, la Gorgone mourait de se voir décapitée par le héros ou le peintre au moment même de son exécution. Effet de vertige, assurément, lequel s’augmente du fait que Michelangelo Merisi se serait représenté sous les traits de la Méduse, en un jeu d’exorcisme et de meurtre proprement (pour ne pas dire : doublement) sidérant, alors qu’il s’agissait censément d’échapper au regard pétrifiant du monstre et de n'y jamais plonger les yeux — tandis que le spectateur jouit, lui, en toute impunité, de pareille vision horrifique.
J’avais oublié tout autant qu’il existe deux versions de l’œuvre, l’une antérieure et plus petite, appartenant à une collection privée.
Testa di Medusa, 1597 circa, Huile sur toile de lin, montée sur bouclier en peuplier, 48 x 48 cm © Internet
Ailleurs, je danse autour d’Eros endormi, ainsi que de ce Christ exhibé à tous les regards, désigné à une vindicte toujours prompte, ronde destinée, en fait, à échapper aux reflets ravageurs d’un éclairage pour le moins mal conçu : ma parade d’amour ne vise qu’à cela ¡
Je reste longtemps. Je suis seul dans la salle.
La petite histoire dit aussi ou imagine que le Caravage se serait — à nouveau — peint, vieilli, sous les traits de l’homme à droite, désignant à la foule hors-champ l’homme-dieu.
Je retrouverai bientôt, puisque je l’avais vu en compagnie d’Aymeric au musée Jacquemart-André, ce cliché du tableau, qui évite, dans sa prise pourtant frontale, tout reflet indiscret.
Si la photographie s’avère d’une qualité de définition moindre, les couleurs me paraissent plus proches de celles de l’original que lors des captures génoises, les carnations des corps y apparaissant bien trop jaunes, rendant mal compte de la chair émouvante de l’hostie vers laquelle les regards convergent — pour ne rien dire de l’expression ininterprétable du protagoniste, les yeux baissés, ligoté et livré à la toute merci de ses bourreaux.
Au Palais Pitti, dans mes circonvolutions, dans mes regards circulaires, de gauche à droite, de haut en bas, de bas en haut, pour ne rien rater des tableaux entassés en couches successives sur les murs, un portrait avait attiré mon attention, se donnant d’emblée comme familier.
Si j’ai paru y reconnaître Alof de Wignacourt, le protecteur de Michelangelo Merisi à Malte mainte fois contemplé au Louvre,
Caravage, Portrait d'Alof de Wignacourt (1547-1622), grand maître de l'ordre de Malte de 1601 à 1622, Huile sur toile, vers 1608, Paris, Musée du Louvre (cliché du 26 juin 2021)
ce portrait, pour bien exécuté qu’il soit, m’a paru trop bien cadré
(à moins que la toile ait été découpée ou redimensionnée autrement ?), trop peu original pour être de la main du Caravage — le modèle, s'il gagne en bonhommie, le nez rougi et comme aviné, y ayant par ailleurs perdu tout ou partie de sa superbe (malgré la croix de Malte qui le plastronne !).
Et cet autre tableau au même endroit m’a paru d’une imitation brouillonne du style caravagesque (à moins qu’il ne s’agît de la copie d’un tableau perdu ?), plutôt qu’une transposition dans un domaine tout profane du Souper à Emaüs conservé à la Pinacothèque de Brera à Milan, même si le personnel peint est réputé le même d'un sujet l'autre — tel est le sel (le scandale, diraient certains), en effet, de certaines transpositions malgré le changement d’univers, comme si les unes équivalaient aux autres, qu’il s’agît des compagnons de Jésus ou de simples coquins de tavernes, tous groupés et cadrés de façon similaire autour d’une table, le peintre recourant à une même palette de tons sombres et terreux.
— Si la Gorgone des Offices de Florence peut paraître un tableau fascinant à tous points de vue, je me demande si je ne lui préfère pas la scène désarmante du fils de Dieu promis à son sacrifice suprême…