1454 - Monnaies, toiles, robes et merveilles : Septembre à Paris (8)
Septembre à Paris
(Journal extime, 24 septembre - 30 septembre 2022)
8
30 septembre [suite]
Après-midi
Comme d’ordinaire, Judith est retard. Je la guide jusqu’au guichet à l’extérieur, au pied de la pyramide du Louvre, réservé aux visiteurs munis d’un billet d’entrée.
Comme elle n’a pas eu le temps de manger, elle déjeune d’une quiche dans le hall principal du musée.
Nous avons beaucoup de mal, ensuite, à trouver l’exposition sur le baroque portugais, reléguée au bout d’une aile, qui n’occupe qu’une unique salle.
J’en suis désolé pour Judith, qui a payé dix-sept euros pour voir une douzaine d’œuvres seulement.
Cristóvão de Figueiredo (Actif de 1515 à 1555), le Mariage de sainte Ursule avec le prince Conan, Huile sur panneau de chêne, 1522-1525, Lisbonne, Museu Nacional de Arte Antiga
Nous vaguons dans quelques salles : la peinture française — je lui montre les toiles de Valentin de Boulogne (peintre qu’elle ne connaissait pas) —, la peinture flamande, de l’Europe du Nord.
Henri Bellechose (Originaire de Breda, connu à Dijon en 1415 - Dijon, entre 1440 et 1444), le Retable de saint Denis, Bois transposé sur toile en 1852, fond d'or, achevé en 1416, Retable (tableau d'autel) destiné à l'église de la chartreuse de Champmol, près de Dijon.
Valentin de Boulogne, dit Le Valentin (Coulommiers, 1591 - Rome, 1632), L'Innocence de Suzanne reconnue, Huile sur toile, vers 1627-1629
Jérôme van Aken, dit Bosch (Bois-le-Duc [Pays-Bas actuels], vers 1450 - Bois-le-Duc, 1516), la Nef des fous, Huile sur bois, vers 1505-1510
Jan Cornelisz Vermeyen (Beverwijk [Pays-Bas actuels], 1500 Bruxelles [Belgique actuelle]), 1559, Saint Jérôme en méditation, Huile sur bois, vers 1525-1530, D'après La Légende dorée de Jacques de Voragine (13° siècle).
Pieter Bruegel, dit le Vieux (Breugel [?], [Pays-Bas actuels], vers 1525 Bruxelles), 1569, les Mendiants, Huile sur bois, 1568 [Au revers est inscrit en néerlandais : Estropiés, que vos affaires soient prospères.]
Albrecht Dürer (Nuremberg, 1471-1528), Autoportrait de l'artiste tenant un chardon, Huile sur parchemin marouflé sur toile (?), 1493
Elle, m’entraîne dans la salle des peintures de Rubens consacrées au Cycle Catherine de Médicis, vingt-quatre tableaux commandés par la veuve de Henri IV, que je ne me souvenais pas avoir jamais vus. Je ne suis pas certain de pleinement goûter cette peinture d’histoire chargée d’allégories pesantes, ni d’en apprécier le format.
Pierre Paul Rubens, la Parfaite Réconciliation de la reine et de son fils, après la mort du connétable de Luynes, le 15 décembre 1621, dit autrefois L'Entrevue de Marie de Médicis et de son fils, à Coussières, près de Tours, le 5 septembre 1619, ou encore La Paix confirmée dans le Ciel
A diverses reprises, notre avancée est interrompue par des sollicitations téléphoniques concernant je ne sais quels chantiers dont doit s’occuper Judith. Je trouve pénibles ces stases imposées, dont l’une dure près d’une quart d’heure, m’abîmer la contemplation des œuvres dans les salles alentour ne m’en consolant pas tout à fait.
Peintre Anonyme, Portrait des peintres Antoon Van Dyck (1599-1641) et Pierre Paul Rubens (1577-1640), Huile sur toile, 17e siècle (?)
Sortis des lieux — comme d’habitude, Judith n’entend pas que nous nous attardions —, nous retournons dans ce café-brasserie d’inspiration allemande sous les espèces d’une Stube (y aurais-je pensé, j’y aurais emmené Khadija, si nous en avions du moins eu le loisir) où nous avions déjeuné déjà en sortant du musée. Un client monopolise de sa voix stentor l’attention, parasitant les conversations des uns et des autres.
Judith m’interroge. J’expose ce qu’il en est de la terrasse, de la découverte pourrissement du bois une fois découverts les bacs à fleurs imaginés par ma mère, du remplacement de la baie vitrée, des travaux reportés à la fin de l’hiver prochain, des coûts supplémentaires engendrés, surtout s’il fallait en dernier ressort démonter entièrement la terrasse…
Un certain apaisement s’est installé au sein de la famille de Judith — dans le couple surtout, précise-t-elle. N. a, semble-t-il, a pris peur de son escapade d’une semaine en août. Lucien et Laure ont repris le cours de leurs études.
Ce sont des moments courts que ceux que nous avons passés ensemble : nous ne nous serons vus que peu cette fois, Judith et moi.
Nous nous quittons Place Colette.
Fin d’après-midi
Je tâche d’éclaircir un mystère : que peuvent bien signifier des “biscottes sans céréales” réclamées par le “régime sans résidus” que je dois suivre avant la coloscopie de mardi prochain ? Ni le magasin bio ni la pharmacie du quartier ne sont en mesure d’élucider pareille énigme.
Je reçois un message du site sur lequel j’ai réservé pour notre dîner du soir, qui me demande de confirmer ma réservation. C’est la première fois que je reçois pareille admonestation.
Soir
François est en retard. C’est exceptionnel, à vrai dire.
Installé en terrasse, il commence tout de même à faire un peu frais. Les garçons que je vois (je me console ainsi de ces menues contrariétés ¡) sous ces arceaux d’arbres — les garçons sont jolis.
Enfin François arrive. Il commande une bière. Il a donc contrevenu au sevrage auquel il s’était plié durant au moins trois ans, si ce n’est davantage. A l'évidence (celle du premier coup d'œil), il s’est encore massifié.
Il n’avait pas bien lu mon message, m’explique-t-il, il était encore au travail il y a peu (je ne peux m’empêcher d’interpréter son acte manqué), d’où son retard ; il me demande si je ne suis jamais dans le quartier où il travaille (alors que nous y avons déjeuné au moins trois fois !), ce qui confirme obliquement son peu d’envie d’aller du XVIIe à Bastille…
Nous sommes bientôt attablés dans le restaurant italien où j’ai réservé. Je me fais clarifier la situation auprès du serveur. En fait, la demande de confirmation de notre venue émanait du restaurant même, non du site. Il me rassure néanmoins : les 25 euros d’escompte sur l’addition seront bien pris en compte. (François tire toujours le diable par la queue, et c'est pourquoi j'avais choisi l’endroit, qui proposait cette remise.)
François commande un plat unique — et du vin. Par ma part, j’ai tout de même envie d’une entrée. J'explique devoir dès le lendemain entamer un “régime sans résidus”, et j'entends bien profiter du dîner pour cette raison.
Comme Anne et Patrice la veille, il me demande des nouvelles de ma situation.
Il me dit qu’il ne sait pas s’il reviendra à **** quand il sera à la retraite — moment qu’il appréhende. En vérité, il m’expose cela chaque fois que nous nous voyons.
Il a rencontré Didier ainsi que sa femme, sur la demande de ce dernier, chez Danièle. Je raconte ma rencontre inopinée quelques mois auparavant avec elle non loin de la gare de **** sur une terrasse, alors qu'elle attendait son train. J'expose le désir qu'aurait, selon Danièle, son fils de me rencontrer pour qu'il me parle de J.-P., qu’il n'a pas connu. François me dit que peut-être le souhait d'une entrevue avec moi pourrait tout de même émaner du fils de Danièle, et non pas de Danièle elle-même. Il fait de la mise en scène, est acteur, comme son oncle (et son père pour le dernier emploi). Il s’appelle Jacob. Il me brosse de lui en quelques phrases un portrait plutôt sympathique.
François se plaint : il voit toujours aussi peu ses deux filles. L’aînée (?) vit désormais au Bangladesh. La cadette achève ses études de médecine.
Il sert le vin pendant nous mangeons — en remplissant son verre avant que j’aie fini le mien. Les plats sont très bons.
Il me dit qu’il viendra à **** pour un festival de musique. Je rétorque que, les fois où il passe à ****, il ne me téléphone jamais, tant et si bien que ce n’est pas très avisé peut-être de m’annoncer sa venue pour ainsi m'en frustrer. Il rit — tout en ne disconvenant pas du fait : si nous nous sommes jamais rencontrés à **** ces dernières années, c'était du fait du seul hasard.
Il m’informe du décès de Paul Veyne, survenu la veille. Nous évoquons aussi Pierre Hadot.
Il est à peine vingt-et-une heures lorsque nous finissons notre repas. Je propose de prendre un verre. François accepte tout en ajoutant qu’il ne s’attardera pas, qu’il a trois quarts d’heure du trajet pour rentrer — toutes choses qui me sont désormais connues.
Nous nous mettons en route en direction de Bastille. Alors même que la conversation ne s'y prête guère, il me dit en vouloir toujours à C. de leur séparation. Cette fois, je rétorque que c’est dorénavant de l’histoire ancienne.
Nous nous échouons dans le bar où son frère est accoutumé d'aller. C'est un bistrot de quartier dont la décoration date d’un demi-siècle au moins. Les murs en sont patinés, et une odeur de cuisine et de tabac exsudent de l’endroit.
François commande un café, qu’il boit presque aussitôt. Vingt minutes à peine se sont écoulées qu’il donne d'ailleurs des signes d’impatience. Puis il annonce qu’il va rentrer, qu’il se fait tard (!). Je n’ai pas fini ma bière et n’ai pas envie de précipiter le moment de mon retour. Je lui dis alors d’y aller.
En vérité : je suis légèrement agacé par cette soirée écourtée par ses deux bouts — tout en songeant que c’est pourtant François qui m’avait demandé quand je comptais revenir à Paris et de lui faire signe lorsque j'y serais.
Cette fin de séjour en queue de poisson, grevée déjà par une après-midi raccourcie par les obligations de Judith, me pousse en rentrant à ralentir le pas jusque Bastille, à profiter le spectacle du boulevard Richard-Lenoir, à jouir encore quelques instants d’un temps clément — en attendant l’automne italienne dans une dizaine de jours seulement.