1539 - Juin parisien [Récidive], 7

Publié le par 1rΩm1

Juin parisien

 

[Récidive]

Journal extime

(19 juin26 juin 2023)

 

7

 

 

24 juin

Matin

Dans une solderie que m’avait recommandée Khadija, j’achète un euro le dernier roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam, la treizième Heure. L’exemplaire est en bon état, mais je ne peux décemment l’offrir à F. et Pascal.

(J’en achèterai un exemple neuf — puisque l’exemplaire des “Mots à la bouche”, où je me rends ensuite, est marqué à deux endroits — dans l’après-midi, à la FNAC., mécontent de constater ensuite qu’il n’y ait pas moyen d’y mettre une gommette ni de se faire faire un paquet cadeau par des mains mieux entraînées que les miennes.)

 

Début d’après-midi

Judith ayant déclaré forfait dans la matinée, je visite seul le Musée Nissim de Camondo dont l’exposition Doucet & Camondo, une passion pour le XVIIIe siècle me déçoit un peu. Le faste de l’hôtel particulier de Moïse de Camondo (dont la biographie est retracée au travers d’une vidéo que je m’emploierai à visionner dans son intégralité) me paraît, en vérité, quelque peu assommant — puisque si tapageur. Je vérifie que j’aime assez peu, précisément, les peinture, ameublement et bibelotterie de ces années prérévolutionnaires où l’aristocratie et la bourgeoisie aimaient à s’ébattre. Trouvent grâce néanmoins à mes yeux les salles de bain, ainsi que la cuisine et ses annexes — peut-être parce qu’elles datent de la construction de la demeure, en l’espèce de la Belle-Epoque, et non du siècle de Voltaire et Diderot !

Je m’attendais, il est vrai, à une collection d’art moderne, d’achats d’œuvres par Jacques Doucet au cours des années surréalistes, non pas exclusivement d’acquisitions du XVIIIe siècle.

Je fais pourtant quelques clichés d’éléments de décoration et de meubles qui m’attirent l’œil.

Parecloses peintes et dorées provenant du décor du Petit boudoir [attribué à Jean-Honoré Fragonard] rue Spontini, 1770-1775, Bois sculpté, peint et doré [Sculpteur, peintre et doreur non identifiés (France)]

Parecloses peintes et dorées provenant du décor du Petit boudoir [attribué à Jean-Honoré Fragonard] rue Spontini, 1770-1775, Bois sculpté, peint et doré [Sculpteur, peintre et doreur non identifiés (France)]

[La bibiothèque]

[La bibiothèque]

 Table « à la Tronchin », Chêne plaqué d'acajou, bronze ciselé et doré. Vers 1790-1800 [Attribuée à David Roentgen (maître en 1780)]

Table « à la Tronchin », Chêne plaqué d'acajou, bronze ciselé et doré. Vers 1790-1800 [Attribuée à David Roentgen (maître en 1780)]

Table « à la Tronchin », Chêne plaqué d'acajou, bronze ciselé et doré. Vers 1790-1800 [Attribuée à David Roentgen (maître en 1780) qui produisit dans son atelier de Neuwied-sur-le-Rhin plusieurs tables de ce modèle.]

Table « à la Tronchin », Chêne plaqué d'acajou, bronze ciselé et doré. Vers 1790-1800 [Attribuée à David Roentgen (maître en 1780) qui produisit dans son atelier de Neuwied-sur-le-Rhin plusieurs tables de ce modèle.]

 

Milieu et fin d’après-midi

Je passe deux heures et demie densément peuplées de la faconde et des approximations langagières de Duncan, apparemment content de me voir. C’est moi qui déclinerai la proposition de lui tenir compagnie dans un autre endroit jusque vingt heures : nous avons déjà trop bu et le verre suivant serait, pour moi, le coup de l’étrier.

 

Je l’attends devant la station Saint-Georges à 16 heures.

1539 - Juin parisien [Récidive], 7

J’avais dix minutes d’avance ; il n’aura pas tout à fait dix minutes de retard : tout cela tient dans le « quart heure de courtoisie » — dira-t-il afin de s’excuser — auquel il m’a, quoi qu’il en soit, habitué.

Comme j’évoque une rencontre précédente où nous avons migré dans le même quartier, il dit spirituellement que jamais il n’aurait marché si loin depuis la gare Saint-Lazare jusqu’à l’endroit où il me mène, une petite place assez proche, que bordent des terrasses de café, ombragées. Je me garde de le contredire, cela n’ayant d’importance que mémorielle.

Installé à l’ombre sur la terrasse, il commande un grand verre de rosé, dans lequel il déverse tout un verre de glaçons. Il se plaint de trouver âpre le vin que, par la suite, pour ma part, après avoir bu une bière, je trouverai plutôt bon.

Il s’est fait opérer de la mâchoire quelques jours après son anniversaire — il me remercie de mon message alors et s’excuse de ne pas y avoir répondu — et me montre une photographie, censée attester le changement, sans que je trouve patente la métamorphose.

L’opération s’est avérée très douloureuse. Nourri de liquides à la seringue d’abord, absorbant des purées ensuite, il ne peut mâcher que depuis quelques jours. Encore devra-t-il porter un appareil encore quelques mois.

Son zézaiement, charmant, n’en est plus que prononcé. Ma propre parole tantôt fluide, tantôt empêchée par d’imprononçables consonnes, n’est pas en reste. Il semble pourtant suivre et accompagner mon propos, plus rare certes que sa propre parole. Je me dis alors qu’avec François il n’y avait aucune raison pour que je sois difficilement compréhensible. Le contraste entre le déplaisir de notre rencontre la veille et l’ardeur à mener cet échange aujourd’hui entre Duncan et moi n’en est que plus évident. Son débit précipité confine, quelquefois, au cafouillage de mots, tandis que, bien au fait de mon handicap, je ralentis sur les mots les plus volumineux, ceci compensant cela…

Il était en arrêt de travail, du fait de l’opération, durant tout un mois. Il a repris son activité début juin, multipliant les déplacements entre Lyon, Toulouse, Brest, Nantes, et bientôt Rabat… Il me fait part de perspectives professionnelles intéressantes. Ainsi, il devra « manager » une équipe de trois cents personnes, ce qui lui vaudra une évolution du salaire conséquente (il mentionne des émoluments de 9000 à 10000 euros, ce qui me paraît une somme considérable).

Je note, moins critique qu’amusé, qu’il émaille régulièrement ses phrases d’américanismes dans l’air du temps — de ceux qui substituent matcher à marcher par exemple et d’un lexique familier, ainsi quand il explique qu’il devrait pouvoir néanmoins à équilibrer « vie pro » et « vie perso »…

Sur mes instances, il me parle d’Antoine (que je nomme par erreur Antolin, le prénom, en fait, du précédent amant jaloux et si mauvais coucheur) : celui-ci partage son temps entre Grenoble — où il réside et télétravaille — et Paris.

Pareil mi-temps conjugal paraît idéal à Duncan, ce en quoi je le suis parfaitement, le fléau de la balance à nouveau se trouvant à l’équilibre…

Lui, est originaire de la région grenobloise, farouchement attaché à ses racines, pratiquant volontiers ski et randonnée (même si ce n’est pas trop mon kiff, précise Duncan, en ajoutant accepter cependant de le suivre dans de telles activités).

Il fait part de projets de vacances dans le sud de la Turquie. J’expose les miens, cette randonnée sur le Danube qui me pend insolemment au nez avec mes père et sœur dans moins de quinze jours.

Comme il me demande si je suis à la retraite et que je lui explique ma situation administrative actuelle, Duncan aborde la question politique, sujet qu’il affectionne d’ailleurs tout particulièrement. Je m’amuse qu’il se dise « de droite » naguère, gagné pourtant par son compagnon par des idées de gauche — ce qu’il avait d’ailleurs assez longuement développé quand je l’avais vu la fois précédente. Il est allé à quatre reprises manifester, chaque fois que possible, le week-end. Car impossible de faire une grève au sein de son entreprise. Comme Antoine est “fonctionnarisé”, lui, a fait grève, Duncan et lui supportant à deux ces retenues sur salaire.

Il me parle des jeunes recrutés au sein de son entreprise, lesquels supportent peu ou mal des conditions de travail pourtant normalement afférentes à leur charge, traînant des pieds et se disant accablés de chaleur malgré l’air conditionné dans les bureaux.

Il fait aussi tout un développement, le plus long peut-être, sur les revendications non binaires de jeunes gens, qui veulent qu’on les appelle par un prénom tantôt masculin, tantôt féminin. Il y met toute sa verve — non sans prendre un contrepied parfois grossier et caricatural à cette « mode LGBTQI venue des Etats-Unis » dont mon petit Américain raille les excès, tel collaborateur se réclamant d’une identité plurielle et changeante selon les jours de la semaine : « ils n’ont qu’à se faire couper la teub », conclut-il. Je m’amuse beaucoup de cette incompréhension mutuelle, alors qu’une dizaine d’années tout au plus séparent Duncan, pourtant gay déclaré auprès de ses collaborateurs, de ces jeunes gens, tout songeant à PG, lequel a certes plus de vingt-cinq ans que lui, qui m’avait expliqué ne pas toujours comprendre ses interlocuteurs rencontrés au sein de l’association dans laquelle il intervient, ceux-ci ne se reconnaissant pas dans les catégories « bi— » ou « homosexuel », tout en paraissant ignorer les combats menés par les générations de gays qui les ont précédés…

Pour clore le chapitre — même si je sais qu’il entre une part de plaisanterie qui m’est destinée dans les propos de Duncan et pour poursuivre sur cette lancée —, je lui demande où se trouvent les toilettes du café et ajoute : sont-elles « intersexe » ? — « Tu verras ! », me dit-il, toujours sur la même tonalité. De fait, je m’amuse : il ne s’y trouve qu’un seul WCde toute façon.

*  *  *

Il m’accompagne jusqu’à la station de métro, nos itinéraires divergeant là, entre la ligne 2 et la 12. Alors que je rentre, je croise des jeunes gens — filles, pour la plupart — grimés aux couleurs de l’arc-en-ciel, hasard objectif qui  semble prolonger notre conversation.

J'envoie alors sur-le-champ — en m'inspirant d'une inscription lue sur un teeshirt d'i(c).i.elles — un message à Duncan (« dis-moi , il y a)  plein de séropot-e-s dans les rues ») pour dire combien j’ai pris de plaisir et d'amusement à notre rencontre.

 

 

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