1540 - Juin parisien [Rédicive], 8
[Récidive]
Journal extime
(19 juin – 26 juin 2023)
8
Matin
La matinée se passe pour l’essentiel à retracer ma rencontre avec Duncan, que j’ai remise au lendemain, faisant confiance à ma mémoire heureuse du moment passé ensemble.
Puis je regarde la fin de Matador, dont je m’amuse qu’elle joue (elle aussi !) sur une fin différée.
Après-midi
Aymeric envoie un message : il nous attend à l’intérieur de la Galerie Richelieu du Louvre. Je crois d’abord à un message de retard de Judith et N. Il n’est que 14 heures. Je le retrouve dix minutes plus tard. Et cinq autres minutes ne se sont pas écoulées que Judith et N. sont là, exceptionnellement à l’heure qu’était celle de notre rendez-vous.
L’exposition Naples à Paris se dissémine sur trois endroits : dans la grande galerie parmi le fonds permanent de la peinture italienne, salle de l’Horloge et Salle de la Chapelle.
Comme à son ordinaire, N. fait cavalier seul, agit selon sa propre cavalcade — pendant que nous allons selon le même amble, Aymeric, Judith et moi. Je retrouve soit l’un, soit l’autre, soit les deux, au gré des stations que des cartels rouges signalent comme œuvres échappées du Musée Capodimonte de Naples, et nous échangeons impressions, commentaires et plaisanteries.
La foule est dense, et les galeries réverbèrent un vacarme assourdissant de toute leur hauteur. Une file d’attente impressionnante — je n’ai jamais vu là pareille presse, me semble-t-il — s’est massée afin de voir Mona Lisa. Impossible serait de courir à trois sur l’étendue de la galerie de la peinture italienne comme Anna Karina, Samy Frey et Claude Brasseur dans Bande à part, quoi qu’en ait Nestor de son côté !
Je prends beaucoup de photographies ; Aymeric, quelques-unes seulement. Peu de doublons au total. [Ce clichant, j’améliore quelques prises ¡]
[Ajout du 26 septembre 2023 : Je remets dans l’ordre chronologique (sauf les toiles du Gréco, dont l’une appartient en outre au fonds même du Louvre) les tableaux que j’ai photographiés, et ce, afin que l’on voie — à quelques rares exceptions près — la rupture épistémologique opérée par le surgissement de Michelangelo Merisi, autrement dit (en français) Le Caravage, et ce, d’autant plus que (peut-être) la seconde fois que j’avais arpenté le Capodimonte la Flagellation du Christ voyageait aux Etats-Unis, ce que j’avais marqué tout ironiquement d’un cliché.
Parce que, quoi l’on en pense, depuis le Quattrocento jusqu’à la « leçon de ténèbres » infligée par Michelangelo, l’œil se lave, quoi que l’on n’en ait, et se débarrasse d’un humanisme optimiste, pour lors définitivement quitté — pendant que l’Occident, livré au baroquisme inquiet, après les exterminations des guerres coloniales, puis civiles, n’a plus qu’à se le tenir pour dit, ce qui prendra quatre siècles et n’est peut-être pas fini…]
Tommaso di ser Giovanni di Mone Cassai, dit Masaccio (San Giovanni Valdarno, 1401-Rome, 1428), Crucifixion, Tempera et or sur panneau, 1426, Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte (Provenance : Pise, Eglise Santa Maria del Carmine)
Niccolo Antonio dit "Colantonio", Saint Jérôme dans son cabinet, 1444, Huile sur panneau de bois, 151 x 178 cm
Giovanni Bellini (Venise, vers 1430-1516), La Transfiguration, Huile sur panneau, vers 1478-1479, Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte
Attribué à Jacopo De' Barbari (Venise, 1475- ?, vers 1516), Portrait de Luca Pacioli avec un élève, Huile sur panneau, 1495
Giovanni Battista di Jacopo, dit Rosso Fiorentino (Florence, 1494 - Paris, 1540), Portrait de jeune homme (peut-être Giampaolo dell' Anguillara da Cerveteri), Huile sur panneau, 1524-1526
Francesco Mazzola, dit Parmesan (Parme, 1503-Casalmaggiore, 1540), Portrait de jeune femme, dite Antea, Huile sur toile, vers 1535
Tiziano Vecellio, dit Titien (Pieve di Cadore 1488/ 90-Venise 1576), Danaé, Huile sur toile, 1544-1545
Girolamo Mazzola Bedoli (Viadana, vers 1500-Parme, 1569), L'Annonciation, Huile sur toile, 1555-1560
Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Caravage ( Milan, 1571 - Porto Ercole, 1610), La Flagellation, Huile sur toile, 1607
Jusepe de Ribera (Játiva, 1591-Naples 1652), Saint Jérôme et l'ange du Jugement, Huile sur toile, 1626
Artemisia Gentileschi (Rome, 1593-Naples, 1652-1653), Judith décapitant Holopherne, Huile sur toile, vers 1653
Dominikos Theotokopoulos dit Greco (Candie, 1541 - Tolède, 1614), Giulio Clovio, Huile sur toile, 1571-1572
Dominikos Theotokopoulos dit Greco, Saint Louis, roi de France, et un page, Huile sur toile, vers 1585-1590, Musée du Louvre
La Salle de la Chapelle retrace une autre période, celle des dynasties des Farnèse, des Bourbons et des Bonaparte-Murat, moins intéressante au plan de la peinture du moins, malgré le Portrait du pape Paul III Farnèse avec ses neveux par Titien ou celui du Cardinal Alexandre de Farnèse.
Tizziano, Ritratto del cardinale Alessandro Farnese, 1515-1546, Olio su tela [cliché du 22 février 2020]
Nous achevons notre visite par le cabinet de dessins et d’estampes de la Salle de l’Horloge, où les œuvres de Michel-Ange et Raphaël seront entachées de reflets indiscrets, impropres à la capture photographique.
* * *
Nous prenons un verre ensuite non loin de la Place Colette.
Nous parlons — à l’instigation de Judith — des retraites des uns et des autres. J’arrache quelques mots à ce propos à N. : celui-ci prétend que la retraite ne lui inspire pas de crainte, et je ne suis pas certain de le croire à ce sujet, lui qui a voué à la recherche le plus clair de son temps en écumant les bibliothèques obscures, ou, ces dernières années, dans le studio sombre dont il a fait son bureau…
Nos verres bus, Judith et N. ne s’attardent pas, la loquacité de N. ayant de toute façon fait long feu.
Nous nous mettons en chemin, de notre côté, pour la Butte-aux-Cailles.
Dans le métro, Aymeric me l’ayant demandé, je raconte mes derniers jours à Paris, dressant l’agenda des expositions et, plus encore, des rencontres, heureuses ou malheureuses.
Nous installons sur notre terrasse accoutumée, à l’ombre, afin de nous prémunir de la chaleur de l’après-midi, le mercure s’étant envolé jusque 32°.
Comme j’ai reçu un message de l’Urssaf, Pierrick me dit que lui et sa fratrie paient une visiteuse qui, deux fois par semaine, vient tenir compagnie à sa mère, celle-ci n’ayant guère d’autre commerce que celui de personnes plus âgées, séniles et impotentes qui plus est.
Il évoque ses projets de vacances : il séjournera quelque temps Bordeaux (où il s’est proposé d’accompagner dans sa quête d’appartement Christian, son ancien compagnon, lequel quitte Toulouse), ira en Bretagne pour voir sa mère, se rendra en Autriche, notamment à Graz, ville qu’il ne connaît pas, avec P.
Je raconte assez longuement comment Angelo est devenu mon locataire.
Je parle de ma terrasse, des bacs de plantes que j’y ai installés, du lupin assoiffé selon ma sœur, qui, venue chez moi la veille, a constaté qu’il manquait cruellement d’eau. Aymeric me donne les références d’un système d’arrosage solaire, qui permettra lorsque nous serons partis, ma sœur, mon père et moi, début juillet, aux plantes de survivre.
Après que nous avons achevé notre bière, nous nous acheminons jusqu’au restaurant indien, lui aussi accoutumé.
Le choix nous étant offert, nous préférons nous mettre à l’intérieur, climatisé, plutôt que dehors, option que nous regretterons néanmoins bientôt puisqu’il nous faudra supporter les abois perçants d’une petite chienne réagissant aux allées et venues de la table d’à côté, neuf personnes survenues à mesure, composant elle-même une tablée qui n’est pas en reste de manifestations bruyantes…
Nous montrons gourmands dans nos commandes, tandis que les serveurs, empressés, nous reconnaissent et nous font bon accueil.
Entre autres sujets de conversation, alentis par nos coups de fourchette, Aymeric évoque la restructuration de l’Université du fait d’une nouvelle Présidence. Le service où il travaille est amené à “évoluer” — vocable à coup sûr redoutable et menaçant —, sans doute, peut-on craindre1, pour davantage de recours au privé.
Il me parle aussi d’un oral qu’il devra soutenir en septembre devant un jury pour une (ultime) promotion.
Aymeric, me dit-il, repartira fin septembre en Bretagne. Je note à part moi cette date pour m’en souvenir et dans la perspective de revenir un peu plus tard [date que je ne rappelais malheureusement pas alors que je reprends ces notes-ci et ai fixé au tournant du mois d’octobre un retour à Paris !].
Notre repas terminé, nous prenons un dernier verre, au cours duquel j’évoque les lectures et les films vus ces trois derniers mois.
* * *
Comme il faudra toute une heure pour rentrer à Aymeric, que la journée s’est avérée longue et dense, nous nous quittons à 22 heures 15 Place d’Italie.
Pendant le retour en métro, je sens les intestins se tordre. — La crainte est forte de se voir renouveler l’expérience de la Saint-Sylvestre…
-=-=-=-=-=-=-
1Lors d'un énième imprimatur soumis à Aymeric avant que cet article-ci soit publié, Aymeric me fait remarquer que : "dans le paragraphe sur « [s]on » université et ses réformes en cours, [j']utilise[e] le terme « protosniquer »".
Je trouve réjouissant ce mot-valise tout involontaire, qu'Aymeric lui-même glose ainsi : "Je crains que dans sa trivialité ainsi orthographié il ne soit finalement assez juste. On peut le remplacer par « craindre » moins neutre mais hélas bien dans le sens du vent".