1586 - Voyage à l'Est (5), 15 octobre [suite], Budapest (Buda)
[récidive]
Journal extime
(Mitteleuropa, 12 octobre - 25 octobre 2023)
5
J’avais visité une première fois déjà la Galerie nationale hongroise perchée sur la colline de Buda quelque vingt ans auparavant, visité aussi depuis l’exposition “Chefs d’œuvre de Budapest” au Musée du Luxembourg durant la fermeture pour rénovation de la Galerie. Je (re)découvre les lieux, en ayant presque tout oublié du fonds permanent du musée, hormis quelques-unes des œuvres vues à Paris.
Je regarde une vidéo relative au tableau de Pál Szinyei Merse, Pique-nique en mai, jadis décrié comme « épouvantablement prosaïque » ("dreadfully prosaic"), tandis que le peintre était devenu à la fin du siècle chef de file de la nouvelle peinture hongroise.
Szinyei Merse (Pál) (Szinyeújfalu | Chminianska Nová Ves, 1845 - Jernye | Jarovnice, 1920), Picnic in May, 1873, Budapest, Galerie nationale hongroise
Précisément, je trouve du plaisir à ce dépaysement artistique qui secoue mes habitudes, même si je me demande, comme souvent, si je ne cours malgré tout un peu trop devant moi à ce qui m’est connu, de telle ou telle façon : ainsi des trois premières toiles photographiées, en lesquelles je reconnais sans peine successivement les représentations d’une peinture sous influence romantique, naturaliste, impressionniste…
Ailleurs, ce sont bien des peintres ou sculpteurs qui me sont familiers dont je contemple les œuvres et qui déclenchent le geste photographique…
Camille Pissaro (Charlotte Amalie, Saint Thomas, 1830- Paris, 1903), The Pont-Neuf, 1902, Oil on canvas
George Minne (Ghent, 1866- Laethem-Saint-Martin, 1941), Fiú kagylóval (L'Adolescent à la coquille)/ Boy with a Shell, model : 1923 ; cast : ca. 1927, Bronze
Francisco de Goya y Lucientes (Fuendetodos, 1746 - Bordeaux, 1828), The Agility and Audacity of Juanito Apiñani in [the Ring] at Madrid (La tauromaquia, n° 20) ; El Cid Campeador Spearing Another Bull (La tauromaquia, n° 11), 1814-1816, Etching on paper
A côté de la toile de Botero, un cartel informe du décès récent du peintre :
Fernando Botero passed away on 15 September 2023. We will always cherish his memory.
Je reprends ensuite, pour mon plus vif plaisir, mon exploration des artistes hongrois inconnus (hormis Simon Hantai).
Je m’amuse de cette version guerrière (et pompière) du Persée d’Alajos Strobl — qui apparaît telle une réécriture pré-fasciste, dans une période qui est bien celle de la montée de tous les nationalismes, de la statue de Benvenuto Cellini, joyau de la Loggia des Lanzi sur la Piazza della Signoria à Florence.
Je m’abîme dans l’œuvre d’un peintre aussi excellent portraitiste que paysagiste.
Je m’étonne guère de lire à son propos : Male portraits are important parts of László Mednyánszky's remarkably diverse œuvre. Except for the final decade of his life, he made such works throughout his career. From the identifiable portraits of peasant lads in his native region to the pictures of anonymous urban tramps and beggars, which show their loneliness, hopelessness, and vulnerability, the artist successfully combined centuries-old iconographic traditions with his own experiences and encounters. In all this, his attraction towards men played a large role. [Les portraits masculins sont des éléments importants de l’œuvre remarquablement diversifiée de László Mednyánszky. Sauf pour la dernière décennie de sa vie, il a fait de telles œuvres tout au long de sa carrière. Des portraits identifiables de paysans de sa région natale aux photos de clochards et de mendiants urbains anonymes, qui montrent leur solitude, leur désespoir et leur vulnérabilité, l’artiste a combiné avec succès des siècles de vieilles traditions iconographiques avec ses propres expériences et rencontres. Dans tout cela, son attrait pour les hommes a joué un grand rôle.]
Je presse le pas dans les dernières salles, l’heure de la fermeture approchant, en regrettant de n’avoir pas investi l’endroit un peu plus tôt dans l’après-midi.
En sortant des lieux, je regarde le crépuscule se faire sur Budapest…
Soir
On m’évacue de manière très rogue avec force injections (auxquelles je n’entends naturellement rien) et en s’avançant de façon menaçante du supermarché où j’effectue quelques courses. Cette absence totale de ménagements me fait répliquer tout aussi rudement. Agressivité contre agressivité. Je prends conscience après coup que l’heure de la fermeture est dépassée déjà de presque un quart d’heure — et que les horaires du magasin dépassent de loin ceux qui sont autorisés en France : de 6 heures 30 à 21 heures tous les jours et, le dimanche, de 7 h à 19 heures. Aussi ai-je le regret cuisant de cette altercation avec mon interlocutrice que pouvait bien exaspérer ce client attardé dans les rayons et qui semblait vouloir s’attarder encore davantage.
* * *
Ayant appris par raccroc l’assassinat de ce professeur de Lettres à Arras l’avant-veille, Dominique Bernard, je m’informe de ce nouvel attentat perpétré par un imbécile fanatisé presque trois ans jour pour jour après celui de Samuel Paty.
J’enchaîne avec une émission en forme de débat au sujet des événement israélo-palestiniens qui nous ont scié bras, jambes et conscience en plusieurs morceaux, pour tenter d’y voir plus clair, ou plus avisé.
Las, les discussions tournent à l’affrontement. Chacun y va de sa propre raideur et réagit selon son pli. Je m’interroge alors : n’ai-je pas le mien ? ma grille d’analyse ne vaut-elle pas leur vision obtuse ? Tout de même : pourquoi cette jeune femme qui appartient au parti socialiste se ferme-t-elle si visiblement aux éclaircissements de P. E. concernant l’histoire du terrorisme, puis celle de la formation d’Israël, manifestant une évidente surdité ?
Tout cela désarçonne — et décourage.