1647 - April in Paris (again), 2
April in Paris (again)
(31 mars - 8 avril 2024)
2
— Work in progress, journal extime —
1er avril 2024
Après avoir recouru aux bouchons d’oreille que je me suis fait faire sur mesure puisque j’entendais les conversations des voisins, je m'assoupis rapidement et dors sans interruption durant presque sept heures.
Après-midi
Aymeric est déjà là, qui m’attend devant le cinéma. Pour ma part, j’ai dix minutes d’avance.
Nous cherchons un café en attendant l’heure du film, une heure plus tard. Comme celui-ci dure deux heures quarante, nous avions opté pour ce cinéma et cet horaire afin de nous donner du champ avant de nous engouffrer dans une salle obscure qui tairait de toute façon nos échanges.
Marcher dans des rues encombrées n’est guère propice à converser librement, et nos phrases louvoient à l’instar de nos écarts pour éviter les passants. Cela m’agace d’autant plus que cette partie de la rue Rambuteau est avare de cafés, contrairement à son autre portion en direction des Halles, et que je devrais savoir cela, pour l’avoir arpentée en un sens et l’autre avec Duncan.
Nous nous trouvons néanmoins enfin un bar rue du Temple où nous poser.
Il nous faut d’abord relier les traits évidés dans les pointillés de nos existences, même si un téléphonage depuis décembre, un échange de courriels entre-temps ont permis de combler déjà quelques vides. Au vrai, gardant quelques sujets en réserve, nous nous contentons d’aborder ce que nous avons fait le plus récemment, ou ce qui se présente à nous au cours de la semaine qui vient.
Aymeric devra, en particulier, s’occuper de visiter, avec quelques membres de son équipe de travail, des entreprises qui ont fait parvenir leur réponse à des appels d’offres afin que soient remplacées les matériels d'impression de l'atelier où il travaille. Ces entreprises sont toutes situées dans la banlieue de Paris : Villepinte, Rungis… Aussi devra-t-il se déplacer et, partant, se lever encore plus tôt que d’ordinaire pour retrouver ses collègues.
En vérité, précise-t-il, l’intérêt de ces visites reste limité, puisque seuls quelques matériels répondent véritablement au cahier des charges. Son propre accompagnement restera en quelque sorte poli, d'autant que, par ailleurs, à deux ans de demi de la retraite, Aymeric ne pourra se présenter à quelque nouveau concours interne et gagner du galon, ce pour quoi il n’a guère d’ambition de toute façon.
Depuis quelques temps, Aymeric se plaint d’avoir les yeux secs, au point de ressentir une sensation de brûlure douloureuse. Après un passage dans une pharmacie et une remédiation peu efficiente, il dit vouloir prendre rendez-vous chez son ophtalmologiste.
Sur le parvis de Beaubourg, la file pour accéder à l'Exposition Brancusi qui commence à peine est impressionnante. Aymeric me confie son peu de goût pour les œuvres du sculpteur, tout en arrondis et courbes féminines. Je croyais le Centre Pompidou fermé et pense que je pourrais donc bénéficier de la carte de F. pour m’y rendre à un moment plus opportun.
Une déconvenue nous attend lorsque nous nous présentons devant les caisses du cinéma : il ne reste qu’une place et nous décidons donc de nous rendre dans une autre salle, près d’Odéon, où le film est projeté une heure plus tard.
Nous nous mettons en chemin. J’entraîne d’abord Aymeric dans la direction opposée à la ligne 4, avant que la géographie parisienne me fasse prendre subitement conscience de cette erreur de cap.
Il se met à pleuvoir dru à peine avons-nous dépassé la Fontaine Stravinsky, l’ironie n’ayant pas assez de pleurs, semble-t-il, pour ce second désagrément. Nous nous réfugions sous un auvent. Une accalmie survient. Nous parvenons sans plus d'encombre Place Sainte-Opportune, plus opportune que la Place de l'Hôtel de Ville ou celle du Châtelet pour accéder à la 4 et filer en direction de la statue de Danton. — Et toujours Charles à ma mémoire.
Sur place, nous réservons nos sièges avec des places attribuées plus d’une demi-heure avant le début du film. J’ignorais que ce fût possible de choisir ainsi comme au théâtre son fauteuil…
Nous attablons dans un deuxième café.
Et nous parlons de cinéma. Aymeric n’y est pas allé depuis bien longtemps. Cela remonte — s'il consulte sa mémoire — au jour où nous avions visité le Mémorial de la Shoah. Nous cherchons, en vain, où, dans quel quartier, nous avions pu voir l’impossible Monsieur Bébé de Howard Hawks. Il me semblait que c’était près du Musée Rodin, mais ça nous semble tout à fait incertain*.
Je commente le prix des places singulièrement élevé des cinémas parisiens, que nous comparons aux tarifs pratiqués dans nos villes respectives.
Aymeric évoque une autre douleur dont il souffre, due au nerf qui part du bras et atteint le cou (j’ai oublié le nom, depuis, du nerf fautif [bracchio-cérébral** ?] ; aussi redoute-t-il de devoir rester si longtemps devant un écran tête levée, d’autant que la séance durera presque trois heures.
De mon côté, je parle de l’arthrose qui, depuis quelque temps, s’en est prise à mes pouce et index de la main droite.
Par association d’idées à partir de ces maux liés aux atteintes de l'âge, j'évoque les séances d’après-midi toutes pleines de vieux (de mon âge et plus ¡)
Aymeric brocarde les films dont le scénario intègre le recours aux téléphones portables prétexte à des scènes bavardes au contenu général insipide, si ce n’est inutile. Il a vu (à la télévision) Mademoiselle de Joncquières, en se réjouissant d'échapper à pareils échanges. Je m’amuse, en disant désormais Aymeric condamné aux “films d’époque”.
Installés bientôt dans nos fauteuils de cinéma, l’ironie voudra qu’il ne parvienne pas à éteindre le sien. Et, autre incident comique, c’est le mien qui vibrera durant la séance. Aymeric, ensuite, m’assurera toutefois n’en avoir rien perçu.
Ainsi que redouté, la salle s'avère très petite, pleine, incurvée (« un timbre-poste » selon le verdict d'un spectateur — âgé, comme de juste [¡] — à la sortie) et nous sommes, de ce fait, très en contrebas de l’écran, ce qui préjuge assez mal pour Aymeric de la position dont devra plier le cou pour recevoir les images.
Je me montre inquiet de la réception de sa réception du film pour ses retrouvailles avec le cinéma. Et, comme je l’entends respirer à côté de moi, je me demande s’il ne m’est pas assoupi, à l'instar de Claude lors de séances mémorables.
-=-=-=-=-=-=-
* « C’était le 21 octobre 2016 au cinéma Archipel Boulevard de Strasbourg », me précisera Aymeric, après qu’il a reçu mon imprimatur.
** Autre précision due à Aymeric : le nerf cervico brachial, en fait.
(à suivre)