1665 - A propos de Nice (3) • 26 avril 1987, Lettre à J.-M.

Publié le par 1rΩm1

 

 

in  memoriam  J.-M.

 1665 - A propos de Nice (3) • 26 avril 1987, Lettre à J.-M.


Dimanche 26 avril, 23 heures


    Il y aura beaucoup à raconter, ou peu peut-être. En tout cas, ce sont vraiment des vacances, je ne fais rien qui puisse justifier à mes yeux le nom d’« activité ». Je ne fais rien ou pas grand-chose, et je ne pense plus à l’Agrég… Vacances, avant tout, donc.
    Nous ne sommes pas allés en boîte, vendredi soir. Frédéric, Nathalie’s gay friend, habite un luxueux appartement en bordure de mer — ascenseur capitonné, plage et piscine privées, l’horreur grand luxe, meubles tapageurs  et de mauvais goût — qui appartient à ses parents, des Juifs polonais pour qui c’est, en fait, un résidence secondaire… Il est grand et gras, plus bavard que toi J.-M., a les mêmes intonations et les mêmes façons de regarder son interlocuteur que Grégory. En vérité, tout gentil qu’il soit, je le trouve très agaçant — et m’en trouve très agacé (il a passé l’essentiel de ce dimanche avec nous, et je suis plutôt soulagé qu’il soit enfin parti)…


    Je ne suis pas très à l’aise chez les parents de Nathalie. Sa mère, en effet, semble me réserver un accueil très mitigé. Elle est gentille, mais un peu crispante. Il semble surtout qu’elle m’en veuille beaucoup de n’être pas le petit ami de Nathalie… Or, Nathalie ne l’informe de rien de sa vie privée. Elle se livre donc à toutes les suppositions permises sur la vie affective et sexuelle de sa fille, et ne souhaiterait rien tant que la voir casée. On la sent prête à exploser à tout instant en reproches à propos de tout ce qui ne lui agrée pas chez Nathalie — bien des sujets s’y prêteraient ! —, et je suis loin, comme Frédéric, de la trouver « formidable ». Monsieur G., en revanche, est beaucoup plus sympathique, direct et spontané. Mais c’est le mari-fantôme, plus souvent à Paris qu’à Nice — où d’ailleurs, si j’ai bien compris, il vit avec une autre femme. Comme toute la famiglia débarque ici mercredi, je repartirai mardi matin vers ****, d’abord en stop, puis en train, comme à l’aller.
    Nice est une ville pleine de bruns méditerranéens (et déjà de touristes) exhibitionnistes, et la vie y semble facile mais sans attraits. Idéal pour des vacances, en somme, mais quelque peu agaçant. On drague sur les plages naturistes (!) de Coco Beach, et le soleil illumine la Méditerranée. Je regrette surtout de ne pas être dans l’atmosphère un peu folle et désorganisée qu’imprime Nathalie à sa vie, de manquer avec elle de tête-à-tête, et de me trouver, au contraire, dans une ambiance familiale contrainte et confinée. Certes, Nathalie reste fort elle-même, mais je me sens comme déplacé — elle aussi, tout aussi bien. C’est une atmosphère, également, que je n’avais goûtée depuis pas mal d’années…


    J’ai vu à la télévision, lors d’un court-métrage, Michel, un fantasme qui était avec moi en fac il y a six ou sept années — dont je vous ai déjà certainement parlé. J’avais failli le voir à Reims, il y a quelques mois, j’ai même dû vous l’écrire (ou était-ce à Lindsay ?). C’est étonnant de voir un visage connu à titre privé, surtout quand cette personne a le triste avantage de représenter un fantasme avorté (par ma faute d’ailleurs, semble-t-il, car j’avais été avec lui d’une épouvantable timidité). Bref, je ne saurais dire pourquoi, mais cela m’a beaucoup ému, beaucoup remué. Si nous avions été encore en contact, j’aurais souhaité immédiatement lui écrire, le voir ou lui téléphoner… Ce genre de désir au cœur qui rallume un désir oublié, cette étincelle de vie contient en elle des puissances de nostalgie aussi fortes qu’indicibles1.
    A propos de désir, hors cette étincelle-là, je n’éprouve rien. J’ai l’impression que cela dure depuis longtemps. Je ne sais s’il faut s’en satisfaire, ou s’en inquiéter. Il n’y a même rien que l’espace d’une seule phrase à consacrer à cela, que je ne saurais développer.

    Enfin, voici une lettre, qui donne tout de même le désir de vous voir ! Bientôt, sans doute, avant la fin de la semaine prochaine. En attendant, recevez d’affectueuses pensées.
            
    Romain

 

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1[Ajout du 5 août 2024 :] Je m'étonne de pareil lyrisme à propos de ce Michel revu depuis à deux reprises au moins dans des circonstances pour le moins déplaisantes.

La première fois, c'était dans un café de ****, avant une interview télévisée dont il était la vedette. Il ne m'a apparemment pas reconnu, ce qui m'avait tout de même paru singulier.

La dernière fois, Raphaël l'avait invité (sans me l'avoir dit préalablement) à nous rejoindre au restaurant où nous avions rendez-vous pour déjeuner. J'ai découvert un personnage infatué de lui-même, hâbleur et discoureur, qui a monopolisé toute la conversation dans un faire-valoir continuel vraiment insupportable.

Bref. Ce théâtreux (maintenant à la retraite) a désormais tout du coq de basse-cour sur le retour. Plus avisé quand j'avais vingt ans, probablement me serais-je prémuni de tout désir envers pareil individu, cisgenré (dirait-on aujourd'hui ¡), et ne me serais fabriqué de nostalgie à son propos !

 

 

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