1677 - Voyage dans les Ardennes (3)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Voyage dans les Ardennes

 

work in progress

 

(24-29 juillet 2024)

 

3

 

26 juillet

Matinée

Début de matinée bordée de longues pluies continues. Le paysage s’en trouve invisible, noyé.

Le chat a retrouvé son entrain.


L’heure est déjà bien avancée lorsque nous mettons en route.
Khadija au volant me parle longuement de la détestation qu’elle a de sa belle-sœur. Son frère s’est marié — sans l’avoir dit au reste de la famille … il a dû en fai
re l’aveu alors que Khadija s’occupait de réunir tous les papiers nécessaires pour la succession après le décès de leur mère ; sa femme n’a pas tout à fait l’âge de ses propres enfants. Exigeante, coquette, elle en use avec son époux, Larbi, en ajoutant en quelque sorte un —n à son prénom…

Nous nous arrêtons quelques instants devant le château de Montvillers, puis gagnons le château de Bazeilles, largement à l’abandon, dont nous visitons les extérieurs et foulons le parc à la française. L’orangerie, de forme ovale, nous plaît beaucoup.

1677 - Voyage dans les Ardennes (3)

A Sedan, puisque nous en avons le temps avant déjeuner, nous faisons une halte afin de voir la maison du Petit-chien, puis, en face, la maison du Gros-Chien et sa Cour des Têtes, dont je photographie sous la pluie le détail d’un mascaron.

Maison du Gros-Chien, Cour des Têtes, fin du XVIIe siècle, Sedan
Maison du Gros-Chien, Cour des Têtes, fin du XVIIe siècle, Sedan
Maison du Gros-Chien, Cour des Têtes, fin du XVIIe siècle, Sedan

Maison du Gros-Chien, Cour des Têtes, fin du XVIIe siècle, Sedan

Puis nous prenons un verre de vin blanc en guise d’apéritif sur la Place de la Halle, avant de nous rendre, à l’extérieur de la ville, jusqu’au restaurant où j’ai réservé.

 

Après-midi

Durant le repas, Khadija m’interroge sur mes rapports avec l’enseignement. Je m’efforce de répondre [je ne sais plus ce que j'ai développé] le plus sincèrement, le plus honnêtement possible. Mes expériences ont été diverses, au vrai, mais j’ai quelquefois connu quelques vrais bonheurs d’enseigner, sur le tard, après avoir été titularisé — ce qui a pris seize années. Quoi qu'il en soit, je ne veux guère l’encourager à poursuivre dans l’auxiliariat, sa situation des plus précaires étant, en outre, très mal rémunérée.

Les plats, à prix doux, sont copieux et bons. Khadija, qui aime beaucoup manger de la truite, apprécie particulièrement notre déjeuner.

Nous quittons Illy pour Charleville-Mézières.

Nous nous garons près de la Place Ducale, où nous visitons le Musée de l’Ardenne. La salle consacrée à la marionnette est celle qui nous intéresse le plus.

Pierrot, la reine de la lune et l'Ambassadeur martien, marionnettes à fils, Voyage dans la lune, Jacques Chenais, 1956

Pierrot, la reine de la lune et l'Ambassadeur martien, marionnettes à fils, Voyage dans la lune, Jacques Chenais, 1956

Devant la vitrine où sont exposées les figurines du wayang golek, je songe à J.-M., qui possédait un assez bel Arjuna — dont j’apprends qu’il était le fils du Dieu Pandu, archer hors pair et l’un des cinq héros Pandawa — qu’il avait rapporté de son premier voyage en Indonésie.

1677 - Voyage dans les Ardennes (3)

Après quoi nous prenons un café en terrasse sur la Place Ducale.

Khadija, les pieds enflés et douloureux, s’engouffre ensuite dans une pharmacie, demandant un verre d’eau afin de prendre sur-le-champ le comprimé anti-inflammatoire qui la soulagera.

Je me dis à part moi que Khadija est décidément en mauvaise santé…

Celui sur la Place Ducale étant indisponible, nous partons — il nous faut encore marcher ! — à la recherche d’un distributeur de billets et devons enfiler la principale artère piétonne avant de trouver un guichet de banque, heureusement proche de l’endroit où nous sommes garés.

L’heure et demie de stationnement étant passée, nous déplaçons la voiture de quelque cinq mètres à peine pour nous garer non loin du Musée Rimbaud que nous nous sommes déterminés à visiter.

Sur place, mon braconnage photographique se montre circonspect. J’avais dû visiter le musée quelque quarante ans auparavant, quand j’avais été invité par Philippe à passer à Charleville un week-end ; je n’avais gardé de l’endroit qu’un souvenir imprécis — était-il installé dans ce moulin ? je ne le jurerais pas…

Mes pas sont rythmés par des éléments d’une culture scolaire bien connue pour qui s’est penché un tant soit peu sur l’œuvre ou la vie de l’homme aux semelles de vent, dont les plus intéressants restent des documents de sa main ou le concernant, ainsi que les œuvres qu’il a inspirées à d’autres artistes.

Alberto Giacometti (1875-1963), Rimbaud, Eau-forte parue dans Rimbaud vu par les peintres contemporains, Henri Matarasso, Nice, 1962

Alberto Giacometti (1875-1963), Rimbaud, Eau-forte parue dans Rimbaud vu par les peintres contemporains, Henri Matarasso, Nice, 1962

Le portrait de Germain Nouveau me retient un instant, autant que la notice biographique qui l’accompagne1 (dont les détails, empreints d’une religiosité excessive, m’étonnent autant qu’ils m’indisposent) ;

Germain Nouveau (1851-1920)

Germain Nouveau (1851-1920)

je m’attarde aussi devant le tableautin de Jef Rosman (dont on ne sait s’il a été réalisé après que Verlaine a blessé au poignet son amant ou exécuté ultérieurement),

 Jef Rosman, Rimbaud blessé, Huile sur panneau de bois, 1873, Musée Rimbaud, Charleville-Mézières

Jef Rosman, Rimbaud blessé, Huile sur panneau de bois, 1873, Musée Rimbaud, Charleville-Mézières

puis devant ce croquis de la sœur du poète (réalisé, lui, tant d’après une photographie de son frère qu’à partir d’une gravure représentant un joueur de bagana, une sorte de lyre éthiopienne), vus dans maint manuel, mais jamais regardés, me semble-t-il, en tant qu’originaux.

Arthur Rimbaud en abyssin jouant de la harpe, dessin d'Isabelle Rimbaud, 1893

Arthur Rimbaud en abyssin jouant de la harpe, dessin d'Isabelle Rimbaud, 1893

Khadija procède plus lentement que moi, lisant notamment un certain nombre de cartels dont je me suis dispensé…

*  *  *

Nous prenons à nouveau un verre sur la route, à Francheville, dans un endroit où Khadija était déjà allée. Je commande une Paix Dieu, dont j’apprends ensuite qu’elle titre 10°.

Dans la voiture, nous avons une discussion politique assez âpre à propos du moment de la soirée électorale lors du second tour des Elections législatives où Marine Tondelier s’en était prise à un député RN (dont le nom nous échappe sur le moment), Khadija ayant jugé déplacé de savourer et clamer sa victoire contre un adversaire prétendument à terre. Je comprends, tout à rebours, quelle jouissance il y avait à apostropher ainsi un tel personnage, davantage ennemi politique qu’adversaire, dans un combat à mener de toutes les façons sans jamais qu’il faille songer à l’épargner, tant, selon la devise de Voltaire, il convient d’écraser l’infâme

Nous retrouvons bientôt la maison. Et le chat, de nouveau gaillard et suivant sa maîtresse tel un petit chien.

Khadija est contente de l’enceinte que je mets en service en rentrant. Et se dit contente aussi de notre journée.

Tout en dînant, nous regardons quelques images de l’intervention de Marine Tondelier, et, sans tout à fait comprendre ce qui heurte Khadija, je maintiens mon point de vue (Écr.l'inf. !).

*  *  *

Nous nous couchons assez tard.

(à suivre)

-=-=-=-=-=-=-=-

1Germain Nouveau naît à Pourrières (Var) en 1851. Il perd très jeune ses deux parents et sa sœur, et est alors élevé par son grand-père. Après des études dans le sud, il rejoint la capitale en 1872 et côtoie les poètes du cercle zutique juste après la fuite de Rimbaud et Verlaine en Angleterre. Émile Blémont publie son « Sonnet d'été » dans La Renaissance littéraire et artistique. Il fait ensuite connaissance de Mallarmé, Jean Richepin et Raoul Ponchon, puis de Rimbaud au café Tabourey. Les deux hommes, sans doute amants, partent ensemble à Londres. Arthur œuvre à la mise au propre des Illuminations et Germain contribue au fastidieux recopiage. En 1875, à Bruxelles, il reçoit le manuscrit des Illuminations puis il retourne à Londres où il fait plus ample connaissance avec Paul Verlaine. En 1878, il entre au ministère de l'Instruction publique, collabore au Gaulois et au Figaro puis reprend en 1883 ses voyages qui le mèneront à Beyrouth. Il enseigne le Français et le dessin au Liban et publie à son retour ses « Sonnets du Liban  » dans le Chat noir et le Monde moderne. En 1891, devenu professeur de dessin dans l'Isère, il est frappé, en plein cours, d'une crise de folie mystique. Il doit être interné à l'hôpital Bicêtre pendant quelque mois. Il mène ensuite une vie de mendiant et de pèlerin et s'oppose à la publication de ses poèmes. Après des années d'errance, dont deux pèlerinages à Rome et un à Saint-Jacques de Compostelle, il revient dans son village natal en 1911 et y meurt d'un jeûne trop prolongé entre le Vendredi saint et Pâques 1920. Le recueil le plus important de Nouveau est sans nul doute sa « Doctrine de l'Amour », livre mystique qu'il termine vers 1885, l'un des plus beaux ouvrages de poésie religieuse de toute la poésie française. Au milieu du XXe siècle, les surréalistes sortent de l'oubli ce poète trop méconnu.

 

 

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