1679 - Voyage dans les Ardennes (5)
Voyage dans les Ardennes
— work in progress —
(24-29 juillet 2024)
5
28 juillet
Matin
Nous décidons, le guide acheté la veille au Musée du feutre embarqué dans la voiture, de faire du tourisme dans le nord-ouest du département, partie que l’on nomme « Ardenne française [au singulier] », non loin de Reims (un temps envisagé comme destination de la journée), et qui jouxte la Champagne. Khadija commente d’ailleurs le changement de paysage, les champs remplaçant les prés et la forêt. Devant un champ de tournesols, elle s’émerveille de les voir fleuris, me faisant songer à J.-M. qui partageait sa dilection et en maraudait des bouquets dont il emplissait son appartement.
Notre destination la plus méridionale s’appelle Asfeld, « paisible bourgade » qui « peut s'enorgueillir d'avoir conservé son église baroque, sans conteste la plus étrange de France, l’Église Saint-Didier. Edifiée en 1683, donc contemporaine de la construction de Versailles, en remplacement d'une église ruinée par les guerres de la Fronde, et consacrée en 1685, au moment de la révocation de l'édit de Nantes. Un symbole évident de la Contre-Réforme, donc ! Elle aurait la forme d'une viole de gambe, une configuration destinée à favoriser la montée des chants et des prières vers le ciel ».
« […] On ne connaît pas de réalisation équivalente en France et dans le monde. La profusion de dômes, le péristyle chargé d'une abondance de piliers et colonnes tout en briques, la rotonde à la romaine destinée au culte et l'absence de lignes droites... quelle incongruité réjouissante en pleine campagne ! Même festival curviligne à l'intérieur, et des coloris très bonbonnière : du rose poudré, de l'or, du [bleu turquoise]. »
Après-midi
A Château-Porcien, nous découvrirons que « [l’]Eglise Saint-Thibault du XVe s[iècle] et sa jolie rosace de tour-porche » est inaccessible, puisque fermée. L’on se console donc en ayant vu malgré tout la « maison de Wignacourt en briques (ne se visite pas), de 1479, avec grosse tour et la porte charretière », celle-ci étant toute proche du café où nous faisons préalablement une halte, le temps de boire une bière. Sur les traces de “l’homme aux semelles de vent” à nouveau, je découvre alors la Cuvée d’Arthur.
On se fait indiquer une boulangerie, dans laquelle j’achète un pan-bagnat. Khadija s’abstient, jugeant peu appétissant cette momie de viennoiserie emmaillotée dans un film-plastique qui en aplatit l’aspect. Quand je la mangerai sur une marche de pierre près de l’église (close, décidément !), je la jugerai néanmoins tout à fait convenable, équilibrée dans ses ingrédients.
Et puis. A Rethel, alors que nous visitons l’Église Saint-Nicolas, je veux prendre une photographie d’une Pietà du XIVe siècle injuriée par le temps, rendue émouvante en raison de cette griffure. Pour m’apercevoir que mon téléphone a disparu de ma gibecière. Or, j’y ai recouru durant le trajet, ayant mis en service le GPS à des fins de guidage.
J’avertis Khadija que je vais jusque la voiture pour vérifier qu’il ne s’y trouve pas. J’inspecte l’habitacle avec minutie, sans résultat. L’idée me vient de me servir de la montre connectée dont j’ai fait l’achat le jour de mon départ et d’utiliser la “fonction recherche”. C'est une opération inédite pour moi, mais il me semble qu’une sorte d’icône animée figurant une onde sonore qui va s’agrandissant vers la droite et du rouge au vert indique la présence de l’appareil à proximité — sans que je parvienne à mettre la main dessus.
Comme très probablement l’objet dû glisser de son sac après que nous sommes sortis de la voiture, je retourne à l’église en promenant de longs regards coulissants d’un trottoir à l’autre sur toute la portion de rue qui m’en sépare. Nous furetons ensuite à travers l’édifice, sans plus de résultats.
J'émets alors l’idée de faire appel à quelque site susceptible de localiser le téléphone égaré. Khadija lance une recherche sur Internet. Une site propose ce service moyennant cinquante centimes d’euro. La somme nous semble modique et nous nous y essayons. Khadija entre les références de sa carte bancaire ; mais, lorsqu’il lui est demandé de se connecter à sa banque pour accepter le paiement, elle ne sait comment naviguer d’une fenêtre à l’autre. C'est pourquoi elle propose de renouveler l’opération avec ma propre carte. Dans l’énervement que nous partageons l’un et l’autre, sans plus réfléchir que nous aurions besoin de mon propre téléphone pour ce faire, elle entre donc les chiffres que je lui dicte et, par erreur, coche l’onglet « se souvenir de cette carte » — tandis que, naturellement, est exigée une même confirmation pour payer.
Près d'abandonner nos recherches, nous nous disons toutefois que ces dernières seraient facilitées si nous disposions d’un ordinateur. Entre-temps, du fond de l’édifice, un organiste est survenu, à qui nous posons la question. L’Église est pauvre sans doute et le Seigneur exige d’autres voies puisqu’il répond ne pas disposer de pareil ressource…
Après une dernière déambulation à travers les bancs d’église le regard au sol, nous nous résignons à reprendre la voiture, que nous inspectons à nouveau — tout aussi vainement que précédemment. M’intrigue décidément que, plus nous approchons du véhicule, plus le signal en forme d’ondes sonores gagne en intensité, comme pour souffler aux deux enfants égarés, fiévreux et obstinés que dans l’épreuve nous sommes devenus : « tu chauffes ! tu brûles !, et non… tu refroidis ! » — m'évoquant les jeux où nous devions jadis rechercher un objet qu’on avait dissimulé pour nous…
Nous embarquons avec dans l’idée un ultime recours : trouver un endroit où nous pourrions consulter un site qui localiserait le téléphone perdu, voire permettrait de le bloquer. Evidemment, comme nous sommes dimanche, nous avons peu d’espoir de trouver un cyber-café ouvert… Cependant, nous nous garons au centre ville, entrons dans un café où nous enquérons d’une connexion Internet. Enhardie par l’apparence de sollicitude du serveur auquel elle a exposé notre situation, Khadija lui demande s’il pourrait, à défaut d’un ordinateur que l’établissement ne possède pas, lui prêter son téléphone afin qu’elle puisse entrer ses coordonnées bancaires, et il est sur le point d’accepter, avant de se rétracter finalement — en arguant qu’il s’agit d’un objet personnel, contenant toutes sortes d’informations le concernant, argument que nous admettons sans difficulté. Il nous indique néanmoins un café-tabac où il nous serait peut-être loisible de trouver les moyens informatiques que nous cherchons.
Et puis. Alors que, très machinalement, j'appuie, comme sur un fétiche, sur la cadran de ma montre, je vois, en le consultant pour une énième fois, ce signal, mutique la minute auparavant, gagner en volume et couleur verte tandis que nous regagnons la voiture. Je viens à peine de commenter le fait que Khadija pousse un cri triomphal et pointe un doigt vers un objet fiché à côté du rétroviseur passager : le téléphone s’y trouve, qui nous nargue de l’heure et demie que nous avons passée à le chercher si désespérément…
Comment a-t-il pu ne pas tomber ? Nous avons viré dans la ville, franchi des dos d’âne, viré encore, et il nous paraît miraculeux qu’il ait tenu en place. Autre interrogation, tout aussi vive : que faisait-il là ? A coup ce n’était pas moi qui l’y avait posé. Et comment se fait-il que Khadija ne l’ait pas avisé, objet incongru dans son champ de vision lors de regards dans le rétroviseur, tout en conduisant ?
La seule explication que nous trouverons à cette réapparition mystérieuse est l’hypothèse d’un badaud qui aurait trouvé à terre, ramassé et déposé le téléphone à cet endroit plutôt que sur le toit ou le capot de la voiture de crainte qu’on s’empare indûment — passant trop pressé pour s’attarder, et sans doute démuni de papier ou de stylo pour laisser un mot…
Nous retournons à l’Église Saint-Nicolas, pour faire les photos que je n'ai pas prises.
L’organiste, à qui nous racontons l’incroyable retrouvaille, dit qu’il nous faut brûler un cierge. Trop incrédules, nous bouderons néanmoins saint Antoine, emportant, simonie mineure, un cliché de la Pietà (que je débarrasse momentanément d'un chapelet en plastique qui l'encombrait)
— et, à sa demande, d’un vitrail qui a beaucoup plu à Khadija pendant son tour de l’édifice.
Et puis. Khadija m’enjoint de fuir aussitôt que possible la ville, refusant de prendre un verre à Rethel, même pour remercier de son aménité le serveur qui nous avait renseignés. D’ailleurs, une foule sage s’amasse sur les trottoirs, attendant nous ignorons quelle manifestation1 qui nous aurait empêché de circuler en attendant qu’elle s’achève…
Nous reprenons donc notre route et trouvons l'église Saint-Pierre à Novy-Chevrières à nouveau fermée. Ce n’est qu’une demi-déception tant nous ne sommes pas certains que nous aurions pleinement goûté cette énième visite d’église au cours de notre journée… Et, plus préoccupés de boire un godet que d’être baignés de fraîcheur et de spiritualité sous des voûtes, nous nous rendons au Domaine de Vendresse, un parc de loisir de 4 hectares qui accueille les familles ardennais avec ses aires de jeux et trois étangs et — surtout — pourvu d’une buvette.
Il est trop tard sans doute pour devoir s’acquitter d’un tarif d’entrée — personne en tout cas ne nous demande rien — et nous commandons au bar une bière, que nous buvons à l’extérieur sur un banc près d’une table destinée aux piques-niques.
Je me livre alors à une expérience qui nous laisse le regret cuisant de ce que notre téléphone portable soit demeuré sur silencieux auparavant : appuyant sur l’icône orangée de la montre représentant un combiné assorti d’un point d’interrogation, se déclenche aussitôt une sonnerie puissante audible à quelque dix ou vingt mètres !
Il est également trop tard pour un son et lumière accompagnant notre visite rapide du haut-fourneau de Vendresse, dont nous nous étonnons de le trouver dans un bâtiment qui a tout d’une grosse maison d’apparence bourgeoise.
De fait, ce haut-fourneau a peu de rapports avec les usines sidérurgiques que nous connaissons, tels ceux de la Vallée de la Fensch (« La Vallée de la Fensch ma chérie/ C’est le Colorado en petit » chantait Bernard Lavilliers) ou ceux de Longwy, Saulnes ou d’Uckange.
Mon grand-père paternel, qui travaillait dans l’une de ces usines, n’aurait pu croire à pareille activité sidérurgique en pareil lieu !
La journée s’est avérée longue et, surtout, riche en émotions. D’ailleurs, Khadija n’a plus désormais qu’une hâte, retrouver son chat, culpabilisant — semble-t-il — de l’avoir laissé si longtemps seul et m’exhorte, dans mon guidage, à faire en sorte de quitter les petites routes départementales de l’Ardenne et retrouver l’axe qu’elle connaît, qui nous ramènera chez elle.
* * *
Alors que, rentrés, nous buvons l’apéritif dans le jardin avant de dîner, Khadija expose les craintes qu’elle nourrit du fait que nous avons rentré les coordonnées de ma carte bancaire, et que celles-ci soient désormais conservées sur son téléphone : peut-être avons-nous fait appel à un site frauduleux, qui pourrait se servir des informations que nous avons si benoîtement communiquées.
Nous appelons donc un numéro dédié en vue de faire opposition sur ma carte. On met longtemps à nous répondre. La jeune femme qui finit par décrocher se montre empressée de nous accompagner dans nos démarches et fournit toutes les informations nécessaires. Nous pouvons faire une opposition temporaire, en particulier, que nous confirmerons après que nous aurons prélevé sur mon compte une somme en liquide suffisante pour couvrir mes dépenses dans un délai d’une dizaine de jours, avant que je reçoive une nouvelle carte.
Nous reprenons donc la voiture pour nous rendre à Carignan. Pour mieux narguer, les deux premiers guichets automatiques sont en dérangement, mais le troisième accepte de me délivrer les deux cent soixante-dix euros que j’ai calculés comme amplement suffisants pour subvenir à mes besoins dans les jours à venir.
Nous dînons enfin, fort tard, avant de nous coucher enfin, encore rincés par la mésaventure de la journée.
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1Mes recherches depuis m’ont appris qu’il s’agissait des « fêtes de Sainte-Anne de Rethel ».