1736 - Si au moins… ça pouvait ressembler… à l'Italie ! (26)
Si au moins…
ça pouvait ressembler…
à l’Italie !
(récidive)
26
9 octobre 2024 [suite]
Soir
Il est presque 19 heures lorsqu’ils arrivent enfin.
Pascal a l’air fatigué, et je remarque, dans un tee-shirt moulant, le ventre saillant de F.
Nous prenons l’apéritif dans l’appartement. La conversation va bon train. Je n’ai pas parlé de longtemps. La qualité et la fluidité de mon élocution varient d’une phrase l’autre.
Ils partent en Crète dix jours. Désireux de farniente, ils ont réservé un séjour dans un hôtel les pieds où ils auront dans la mer. Pascal, je le comprends, a besoin de détendre les ressorts de la machine après le deuil de son frère le mois précédent.
Nous nous lançons dans des considérations sur les voyages, de découverte et de détente. Ainsi ils souhaitaient partir aux Canaries. Je retrace les villes italiennes où je viens de séjourner, en en oubliant une, mais sans pouvoir sur le moment déterminer laquelle.
Pascal dit vouloir m’inviter au restaurant. Je proteste. Il argue alors de l’enveloppe que j’avais laissée pour les soixante ans de Frédéric. Malgré mon effort de stylisation calligraphique, F. dit que Pascal a reconnu mon écriture.
Ils servent un deuxième apéritif. Je demande à ce que ne soit qu’à demi rempli mon verre.
Rendez-vous est pris à 20 heures 30 dans un restaurant tout proche. Il pleut toujours à verse.
Nous nous installons. F. et Pascal sont, comme toujours — j’admire à part moi la facilité, l’aisance qu’ils ont généralement à entrer en contact avec autrui, à l’instar de Judith ou Khadija, quand je passerais pour un être rugueux au contact — en sympathie avec la serveuse, à qui ils me présentent.
Les prix à la carte sont assez élevés — et se tiennent d’un plat à l’autre. Je commande, comme Pascal et F, entrée et plat principal.
Une bouteille suivra l’autre. Je commence à être passablement ivre.
Au cours de la conversation, j’apprends que Pierre D. vit à **** la moitié du temps. Je dis que J.-P. l’a eu comme élève. Selon eux, il a tenu le bar gay dans lequel nous sommes allés une fois avec eux, lors de deux ou trois occasions, avec J.-M. Je me rappelle le très beau garçon au regard pénétrant, en bouton de bottines, curieusement noir malgré les yeux bleus, d’une opacité singulière, quoique incandescent. En vérité, le souvenir ne me vient que très progressivement, non que l’anamnèse résiste, mais je ne comprends d’abord pas de quel bar il s’agit, sa localisation et la description du lieu s’avérant très approximatives dans l’explicitation qu’ils en font, en partie erronée qui plus est…
Nous parlons un peu, surtout par allusions, de la période de deuil que vient de vivre Pascal. F. se montre plus chaleureux que d’ordinaire à mon égard. Je demande en aparté s’il lit aussi les livres que je laisse dans l’appartement à Pascal. Lui, m’assure que oui. Même s’il n’a pas encore lu Ce que je sais de toi, le roman d’Eric Chacour — que Pascal a beaucoup aimé, ainsi que je l’avais escompté en le lui achetant.
Alireza Shojaian, Mnemonic (Pierre), 2020, Crayon acrylique et couleur sur bois, 60 x 40 cm [dessin ayant servi à la couverture du roman, de plus en plus raccourcie, d'une édition l'autre !]
Au retour des toilettes, F. confirme. Il l’emportera en Crète.
Pascal se plaint de ce que la terrine que nous avons prise, lui et moi, est trop sèche. Il recommandera en fin de repas à la cuisinière de l’agrémenter d’une gelée obtenue avec le jus de cuisson de l’anguille.
Nous enchaînons avec le bar le plus proche. Je comprends alors que F. et Pascal ont l’intention de poursuivre la soirée autant que possible et ne dormir que très peu avant le taxi commandé pour 4 heures et demie…
F a déjà ce regard embrumé par l’alcool que je lui ai vu la dernière fois à T****…
Après qu'ils ont salué deux trois personnes, nous nous juchons au bar sur des tabourets, Pascal et moi.
F. papillonne ici ou là, de l’intérieur à la terrasse, pendant que Pascal se lance, interrompues seulement par les moments où il sort fumer une cigarette, retrouvant alors F. et d’autres clients, dans des confidences telles celles que je lui ai déjà entendues lorsqu’il se trouve pris de boisson…
Il dit qu’il ne saurait vivre seul. La seule occasion où il s’est séparé de F., explique-t-il, c’était lors d’une randonnée de trois jours dans le Morvan [?] effectuée en compagnie de W. Il se demande ce qu’il deviendrait si F. venait à disparaître avant lui. Seuls W., son amie X et moi (je m’étonne de cette énumération qui m’inclut, mais je le pense sincère dans ses propos) pourraient le distraire du chagrin et de la solitude qui en résulteraient…
Les embrassades qui se voulaient consolatrices le jour où son frère est décédé lui ont déplu. Il fait l’éloge de ma discrétion à ce moment-là. Je me rappelle une simple caresse de ma main sur la sienne, hésitante et embarrassée…
Il me parle alors de Shun, de fait très démonstratif — à l’américaine, dit-il — à l’instar et au contact de Cindy. Il me rapporte à son propos que Shun aurait fait des propositions à lui et F. pour une première expérience homosexuelle — propositions refusées, Shun étant « un ami ». Dépité, Shun aurait alors demandé s’ils ne le trouvaient « pas assez beau ».
J’apprends aussi qu’avant de connaître Shun, Cindy vivait avec une femme.
Pascal me parle aussi d’un amant, dénommé Hervé, qu’ils auraient eu, F. et lui. Mes yeux me dessillent. Et je comprends tout à coup le sens de leurs bordées parisiennes. De fait, F. s’est installé à une table et poursuit une conversation assez animée avec un type qui pourrait passer pour assez beau s’il était mon type, que je donnerais pour hétérosexuel et peu enclin à quelque triolisme.
Je paie une première tournée (ils ont déjà bu entre-temps un autre verre de vin), refuse un nouveau verre et amorce un mouvement de sortie — bien compris par Pascal, qui me connaît assez pour savoir que poursuivre de telles libations dépasse mes capacités…
Entre-temps, il a essayé de me sonder sur ma propre vie sexuelle. Il a parlé — à nouveau — de T., et je tente — à nouveau — de le détromper sur la nature, exclusivement amicale, de nos relations, tandis que je ses que mes paroles ne le convainquent pas.
* * *
Il est plus de minuit quand je les quitte, encore recru par la courte nuit de la veille.
Nuit du 9 au 10 octobre
Quoique endormi en m’étant pourvu de bouchons d’oreille, j’entends F. et Pascal rentrer. Je regarde l’heure. Il est deux heures quarante. Je songe qu’ils passeront décidément une très courte nuit avant de décoller vers la Crète…
Je me rendors.
En revanche, je ne les entendrai aucunement partir moins de deux heures plus tard…