1748 - Par, Paris, par ici ! (2)
Journal extime
(Paris, 26 novembre - 2 décembre 2024)
2
Il court, il court, le furet
Le furet du bois, mesdames,
Il court, il court, le furet,
Le furet du bois joli.
Il est passé par ici
Le furet du bois, mesdames…
(chanson enfantine)
27 novembre 2024
Matin
Je rends une visite de voisinage — de fait, je vais à pied jusque là — à l'Hôtel Salé
Pablo Picasso (1881-1973), Femme à la bougie, combat entre le taureau et le cheval, Boisgeloup, 24 juillet 1934, Crayon et encre de Chine sur toile contrecollée sur contreplaqué, Musée national Picasso-Paris
en vue de parcourir l'exposition consacrée à Jackson Pollock.
Jackson Pollock (1912-1956), Composition with Oval Forms [Composition avec formes ovales], Vers 1934-1938, Huile sur Isorel, Collection particulière
Jackson Pollock, Reclining Woman [Femme allongée], Vers 1938-1941 Huile sur toile, Courtesy Crystal Bridges Museum of American Art, Bentonville, Arkansas
Jackson Pollock, Composition with Varied Forms [Composition avec formes variées], Vers 1938-1941, Huile sur isorel, Collection particulière
Jackson Pollock, Composition with Pouring II, [Composition avec pouring II], 1943, Huile sur toile, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Washington D. C.
L'exposition, pour ne pas être captivante, retient néanmoins mon attention. J'apprends que Pollock a séjourné parmi les muralistes.
Et je retrouve, préludant à mon après-midi, André Masson.
André Masson(1896-1987), La Terre, 1939, Sable et huile sur contreplaqué, Centre Pompidou, Paris, Musée national d'art moderne/ Centre de création industrielle
Je fais ensuite un tour dans les étages pour revoir la collection permanente.
Beaucoup de scolaires des écoles primaires font cercle autour des jeunes filles, qui, procédant par questionnements bêtifiants, leur exposent ensuite des fadaises censées intéresser leur jeune âge. (Pour ma part, sûr que je n'aurai pas eu besoin de commentaires enfant, je m'enchante de ces deux musiciens, dont la figure debout mesure près ou plus de deux mètres…)
Pablo Picasso, Joueur de flûte debout, Cannes-Vallauris, [1956], Quinze plaques assemblées en terre chamottée rose avec décor aux engobes ; Joueur de diaule assis, Cannes-Vallauris, [1956], Douze plaques assemblées en terre chamottée rose avec décor aux engobes, surfaces grattées et incisions, Musée national Picasso-Paris
Pablo Picasso (1881-1973), Violon, Paris, fin décembre 1913 - début 1914, Boîte en carton, papiers collés, gouache, fusain, craie sur carton, Musée national Picasso-Paris
Pablo Picasso, Faune dévoilant une dormeuse (Jupiter et Antiope, d'après Rembrandt), Paris, 12 juin 1936, Aquatinte au sucre et au vernis, grattoir et burin sur cuivre, VIème état, Musée national Picasso-Paris
Après-midi
Rien, au fond, que je n'aie déjà su. Je fais face à des toiles de Magritte, que je ne suis pas toujours certain de vraiment aimer. Le côté facile et systématique des associations, à rebours, leur incongruité, ont quelquefois de quoi rebuter, tandis que cette peinture très léchée, trop huilée, décourage le rêve, ici ripoliné.
Les commentaires des cartels sont également plutôt attendus, par ailleurs. Et l’exposition se montre copieuse — trop certainement, dans ce qu'elle vise d’une exhaustivité consacrant un centenaire anniversaire peut-être évent(r)é, qui se donne à boire comme un champagne aux bulles émoussées… « Surréalisme » se serait-il mué en une étiquette attrape-tout, en un catalogue de procédés visant à la surprise à tout prix (depuis le mot d’Apollinaire) jusqu’au blasement, à l’instar de son dérivé adjectif, passé dans la langue courante, lequel a fini par ne rien qualifier de précis ?
Je ne veux pas le croire. Mais je photographie assez peu, comme par réaction à trop de déjà-vu, autant que pour ne pas produire de doublons dans l’album déjà fort encombré — hormis les œuvres de Redon, Giacometti, Ernst, Miró, dont je m’améliore pas toujours d'ailleurs la qualité de prise pour autant…
Odilon Redon (1840, Bordeaux-1916, Paris), Les Yeux clos, 1890, Huile sur toile marouflée sur carton, Musée d'Orsay, Paris
Man Ray (1890, Philadelphie - 1976, Paris), Beau comme la rencontre fortuite d'une machine à coudre et d'un parapluie sur une table de dissection, 1932-1933, Collage, dessin et épreuve gélatino-argentique, Birger Raben-Skov, Copenhague
Marcel Jean (1900, La Charité-sur-Loire - 1993, Louveciennes), Armoire surréaliste, 1941, Bois verni, quatre portes ornées d'une peinture surréaliste, Musée des Arts décoratifs, Paris
Alberto Giacometti (1901, Borgonovo - 1966, Coire), Table, 1933, Plâtre, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Au chapitre des œuvres qui me déconcertent dans leur mariage avec le grotesque, je reste un instant devant une toile assez surprenante (donc) de Simon Hantai, dont je ne sais à nouveau que penser, même si le résultat impressionne — et si la laideur opposée au sacro-saint beau empoigne et secoue nos habitudes…
Simon Hantaï (1922, Bia - 2008, Paris), Femelle-Miroir II, 1953, Huile sur toile, miroir, ossements, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
N'est-il pas en l’occurrence aussi dans la peinture à effets de Salvador Dalí ? — et je songe préférer ses autres toiles abstraites, remuantes et colorées, croisées au hasard d’autres expositions.
Salvador Dalí (1904, Figueras-1989, Figueras), Construction molle avec haricots bouillis (prémonition de la guerre civile), 1936, Huile sur toile, Philadelphia Museum of Art
André Masson (1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris), Le Labyrinthe, 1938, Huile sur toile, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
André Masson, Paysage de forêt sablonneux, 1924, Huile sur toile, Kunsthalle Bremen - Der Kunstverein in Bremen
Je pense à Khadija devant cette gouache de Baya, artiste qui avait séduire André Breton par la « fraîcheur » de sa production, et dont je prends un cliché dans l'idée de le lui adresser plus tard.
Baya (1931, Bordj El Kiffan - 1998, Blida), Sans titre, vers 1947, Gouache sur papier Collection particulière
Au chapitre de la nuit, je revois des œuvres montrées à Metz au Centre Pompidou. Et de me demander si cela ne crée pas une vulgate pour le regardeur — à force de répétition…
Max Ernst (1891, Brühl - 1976, Paris), Vision provoquée par l'aspect nocturne de la porte Saint-Denis, 1927, Huile sur toile, Collection particulière
Bref, je reste partagé dans ma réception, que brouille — il est vrai — ma contrariété, vive, de ne pas avoir retrouvé la carte “duo” de F. dès la grande salle où est exposé le manuscrit du Manifeste du surréalisme, cerné d’images et vidéos en arc-de-ciel où j’ai plaisir pourtant à voir le visage familier des artistes qui m’importent le plus, autant qu'à me rappeler leurs œuvres.
Michel Leiris (1901, Paris 1990, Saint-Hilaire), Miroir de la Tauromachie, illustré par André Masson, GLM, 1938, Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Brauner
Jacqueline Lamba (1910, Saint-Mandé - 1993, Rochecorbon), Derrière le soleil, 1943, Huile sur toile, Rowland Weinstein, courtesy Weinstein Gallery, San Francisco
Figure Iniet, Tolaï, Nouvelle-Bretagne, XIXe siècle, Bois léger polychrome, fibres naturelle, Collection particulière, Paris
Jean Degottex (1918, Sathonay-Camp - 1988, Paris), 10 juillet 1956, 1956, Huile sur toile, Collection particulière, Paris
Et, quoi qu’il en soit, préoccupé par cette perte intempestive, en parcourant l’exposition du Centre Pompidou, je n’ai pas de coup du cœur à l’affaire et pas de vraie dilection face à telle ou telle peinture, photographie ou sculpture, emmené parmi la presse (laquelle contribue à écorner aussi le plaisir), et ce, selon des parcours thématisés si balisés que j’ai l’impression de conduire des élèves à travers les salles et de réciter auprès d’eux une leçon bien apprise…
Après m’être adressé à l’une des jeunes femmes de l’entrée de l’exposition, qui note mes nom, prénom et numéro de téléphone, et m’assure très gentiment que je pourrai sans doute me faire refaire la carte égarée en m’adressant à tel guichet qu’elle m’indique au rez-de-chaussée près des caisses, je retrouve tout soudainement le précieux sésame jeté sans façon au fond de ma gibecière, et je songe, quoi qu’il en soit, que j’ai quelque peu gâché ma visite, abrégée assez stupidement en outre, et me suis montré sans doute injuste dans mon arpentage des lieux…
* * *
Tótem que je vais voir ensuite dans un cinéma pas très éloigné de Beaubourg s'avère un film sensible, qui procède par touches délicates, dans un regard le plus souvent à hauteur d'enfant.
Je m’amuse que cette séance d’après-midi accueille essentiellement des femmes âgées, dont la plupart toussen à qui mieux mieux, certaines Sibeth Ndiaye n’ayant pas songé dans leur incurie à se pourvoir d’un masque… Je dénombre en tout dix personnes — et constate que parmi l’assistance je suis le seul individu de sexe masculin, faux coq de cette basse-cour enrhumée et pétaradante.