1752 - Par, Paris, par ici ! (4)
Journal extime
(Paris, 26 novembre - 2 décembre 2024)
4
Il court, il court, le furet
Le furet du bois, mesdames,
Il court, il court, le furet,
Le furet du bois joli
(chanson enfantine)
Jeudi 28 novembre 2024 [suite]
Après-midi
Après avoir déjeuné au Stube où nous avons dorénavant nos habitudes en sortant du Louvre puis nous être transportés dans le XVe arrondissement, nous prenons un verre en attendant l’heure où Judith a réservé nos entrées à La Fondation Cartier.
Comme je l’interroge — non sans avoir différé durant le repas — au sujet des deux mâles pour le moins enquiquinants (à mon sens) de la famille, elle me fait part d’une intention qu’elle avait eue (et que j’avais pour ainsi dire subodorée) de quitter pour un temps le domicile conjugal, de venir à ****, ce qui aurait équivalu à se rapprocher de Lucien à propos duquel elle se montre très inquiète, et je m’efforce de la persuader que ce n’aurait pas, en fait, été rendre service à ce dernier.
Nous visitons l’exposition consacrée à Olga de Omaral, artiste textile qui m’évoque le souvenir enthousiaste des tissages d’Anni Albers que nous avions vus ensemble au Musée d’art moderne trois ans auparavant.
D’abord réticent, surtout devant les grandes tapisseries de la salle à gauche de l’entrée, j’abandonne ensuite mes premières résistances dans l’autre salle du rez-de-chaussée, en faisant front (il faut, pour cela, hausser le cou) aux réalisations lumineuses, chatoyantes, graciles et arachnéides des Brumas, ainsi que devant les « explorations artistiques » du sous-sol.
Olga de Amaral (née en 1932), Bruma J [?], 2014, Lin, gesso, acrylique, papier japonais et bois, 190 x 90 x 190 cm, Casa Amaral, Bogota
Bruma H [?], 2017, Lin, gesso, acrylique, papier japonais et bois, 190 x 90 x 190 cm, Casa Amaral, Bogota
Olga de Amaral, Lienzo ceremonial III [?], 1985, lin, gesso et acrylique, 160 x 185 cm, Casa Amaral courtesy Lisson Gallery
Nous faisons le tour du jardin. Je désigne à Judith des cyclamens sauvages comme ceux que ma mère avait transportés depuis les Carpates jusqu’à ma terrasse, où ils poussent désormais chaque année plus nombreux, petits et frêles et roses sur leur tige haute.
Je quitte Judith devant la station de métro la plus proche.
Fin d’après-midi et soirée
J’écris à Anne et Patrice, que j’ai résolu de voir après m’être précédemment abstenu par deux fois.
Une réponse de Patrice me parvient alors que je gagne la Place Verlaine. Entre-temps, Aymeric et moi arrivons de conserve. Je le vois en train d’attacher son vélo avec toutes les précautions d’usage. (Je prendrai connaissance du message de Patrice bien après, qui me propose de déjeuner avec eux le dimanche.)
Comme le bar accoutumé est fermé, nous changeons d’endroit.
Les cadences à son travail se sont un peu calmées. Aymeric expose malgré tout son sentiment d’être épuisé. Il dort trop peu. Il attribue à l’âge — à l’andropause, dit-il plaisamment — son incapacité à récupérer toutes ces nuits en retard de sommeil.
Il raconte son endormissement au volant durant son trajet entre Paris et la Bretagne. L’ordinateur a sonné l’alarme du fait d’un dépassement des lignes blanches (j’ignorais pareille sophistication des ordinateurs des voitures). J’évoque la circonstance où Marthe s’était endormie quelques instants en allant chercher sa sœur à Paris, fauchant alors quelques barrières de chantier installées au milieu de la chaussée de l’ennuyeuse Nationale 4.
Aymeric verra bientôt son médecin en décembre, lors d’un rendez-vous annuel, occasion d’évoquer cet état de fatigue permanent.
Il le confirme : il prendra sa retraite au 1er novembre 2025.
Il commande (autre chose sortant de la routine) un whisky. [En fin de soirée, il boira un irish coffee, histoire de rester en quelque sorte ton sur ton.]
Je lui raconte comment Judith paraît devoir être, quoi qu’elle en ait, le souffre-donc-ma-douleur de Norbert, comment elle tâche d’assumer aussi Lucien, comment elle voudrait se substituer à lui. Je rapporte notre conversation de l’après-midi durant laquelle je l’ai dissuadée de passer quelques temps chez moi à ***, pour s’éloigner de Norbert et se rapprocher de lui.
Il se dit désormais plus libre que jamais de toute attache, sentiment qui n’est pas étranger au fait — ce qui est triste à dire, explicite-t-il — que sa mère est décédée. Et il se dit heureux de n’avoir jamais fait d’enfant. J’entends bien cette indépendance qui tient grandement à l’absence de comptes à rendre à personne.
Aymeric a vu l’exposition consacrée à Ribera. Il ne m’en dit rien, volontairement, arguant ne pas vouloir influer sur mon jugement. Il déplore — à mon unisson — l’invasion continue dans les musées.
L’assistance dans ce bar se montre de plus en plus bruyante, du fait d’une retransmission de match. Nous disons notre détestation du football.
Heureusement, l’heure est presque venue de nous rendre au restaurant, et nous nous y acheminons : en ce début de soirée nous serons reçus sans difficultés, même avec quelque avance.
Le serveur mirifique n’est pas là. Nous plaisantons à ce sujet.
Je raconte comment j’ai fait l’achat d’une nouvelle tablette. Lui, puisque sans solution, autre qu’un débours excessif, pour remplacer la batterie de la sienne, a « choisi d’utiliser l’actuelle jusqu’à épuisement »…
Il me donne la référence d’un film dont je n’ai jamais entendu parler, Seule le terre [film britannique réalisé par Francis Lee, que j’emprunterai quelques temps après, et qui, de fait, me plaira bien, ainsi qu’à T., qui le regardera à son tour.]
Nous poursuivons notre soirée dans un bar rue de la Butte-aux-cailles. J’évoque les Madeleines, le documentaire d’Arthur Dreyfus que je viens voir deux jours auparavant. Et je lui parle du dernier roman de Karim Kattan, l’Eden à l’aube ; lui, de Georges Perros.
(Quand je le quitte Place Verlaine une heure plus tard, je m’aperçois que j’ai oublié de lui dire qu’Aurélien avait quitté Paris pour Marseille…)