1268 - Carnets d'Indonésie, lettre à J.-M. (7)

Publié le par 1rΩm1

 

[in  memoriam  J.-M.]

 

27 juillet [1987] - 23 h 30

1268 - Carnets d'Indonésie, lettre à J.-M. (7)

Impossible de mener à bien mon projet de discussion avec Jacques. Le dialogue s’effrite — un espace monocorde où règnent les points de suspension. Suspendu, je le suis et le demeure, d’autant qu’ils m’ont appris[, lui et Myriam,] qu’ils n’iraient pas à Bali, resteraient à Jakarta, par manque d’argent.
Je dois dire qu’en fait je ne comprends pas tout à fait bien qu’on m’ait tant incité à faire des choix avant de partir, alors même que que je ne connaissais rien du pays, si c’était pour changer de plans en cours de route — nous irons à Singapour du 3 au 10 août, j’espère que ce long séjour là-bas ne sera trop ennuyeux — (trois fois ai-je noté) ou pour les abandonner tout à fait, finalement. Dans ma position, difficile m’était de protester, à vrai dire, sur la longueur, par exemple, de notre excursion à Singapour… Difficile aussi de m’insurger contre les soirées subies avec des VSN français plus ou moins supportables, à Jakarta, à Yogyakarta, à Surabaya… Mes réalités et mes désirs n’ayant, à ce propos, rien à voir avec leurs désirs et réalités, puisqu’ils subissent l’Indonésie et trouvent une bouffée d’oxygène à ces compagnies… Bref. J’ai lancé des petits ballons comme autant  de coups de sonde. Proposé, en particulier, de me balader un peu seul ici — puisque j’y suis acculé —, autant par goût de la parenthèse et de la solitude que celui de l’aventure, et semble ne pas avoir été bien compris… Bref, bref. Me voici désorienté d’avoir été tant pris en charge sans l’avoir demandé, puis abandonné sans que soit crié gare. Je me demande — vous me connaissez — s’il n’y aurait pas de ma faute dans tout cela ; cependant, je ne vois pas bien…

 

Je crois que j’irai seul à Bali. Pas question de rester à Jakarta au-delà du 10.
Ceci dit, la gentillesse de Jacques et Myriam n’est pas à mettre en doute. C’est juste un peu comme s’ils m'avaient annexé au regret de la France, et comme si je les ai finalement déçus… Cette interprétation grossière est seule qui me vienne à l’esprit. Je la donne pour ce qu’elle vaut.
Nous avons discuté de leurs difficultés à vivre ici, Myriam et moi.  Je les comprends fort bien, et ne les envie pas. Cependant, ce choc de deux cultures me semble inendiguable  (le mot n’existe pas sûrement pas, mais tant pis !), leur ressentiment à l’égard des Javanais me paraît également fort justifié, mais je n’y vois que des faits. Je veux dire que je ne comprends pas les instants de mépris qu’ils ont, qui s’échappent de temps à autre. Et je regrette que cela implique une mise à distance de leur part, alors que, pour regrettable qu’il soit, j’ai précisément envie d’aller plus avant dans la rencontre avec la réalité de ce pays…
Voilà, j’ai fait le tour de la question, et ne veux plus y revenir, au moins provisoirement. D’ailleurs, il est tard, et le sommeil me gagne progressivement. Salat Malam !

 

28 juillet
Que pensez-vous de tout ce qui précède ? — j’aimerais bien le savoir… Ce matin, émergeant frais reposé après une nuit de sommeil raisonnable (la chaleur fait parfois faire des nuits courtes), je me suis dit que j’avais sans doute exagéré la situation, et que j’étais peut-être injuste à l’égard de Jacques et Myriam…
Je partirai seul à Bali après le 10 août. Après discussion, ce matin, avec Patricia, il semble que Gilles et elle puissent m’aiguiller en dehors des chemins par trop fréquentés par les touristes et que la vie ne pose pas trop de problème pour un cow-boy solitaire. D’ailleurs, plus j’y songe, plus je crois que l’excursion en cavalier seul a de quoi révéler des aventures différentes de celles vécues jusqu’ici… En fait, ce sera une autre modalité de voyage qui ressemble à celle que j’avais souhaitée préalablement en écrivant à Jacques et Myriam : laissez un peu de flou pour les huit-dix derniers jours

Voilà. Je vais cesser mes écrits car cette lettre est déjà longue. Si je ne me trompe, c’est demain ton anniversaire, J.-M. Je penserai à toi.
Vous aurez encore au moins une carte postale ! — quoique celles-ci ne soient guère, en général, très attrayantes…
Je vous embrasse,

Romain

 

 

 

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