1569 - Paris, début d'automne (1)
Paris, début d’automne
[récidive]
Journal extime
(27 septembre – 4 octobre 2023)
1
Les feuilles
Qu’on foule
Un train
Qui roule
La vie
S’écoule
Guillaume Apollinaire,
“Automne malade”, Alcools, 1913.
27 septembre
Matin
Comme pour mieux amorcer mon séjour à Paris, j’ai demandé son imprimatur à Aymeric hier, puisque j’avais terminé de retranscrire et développer notre dernière rencontre, le 25 juin, avant que je rentre à **** le lendemain.
J’ai bouclé ma valise après ma séance chez l’orthophoniste, cependant que j’avais auparavant disposé les bacs à fleurs de la terrasse de façon à ce que le système d’arrosage automatique fasse son office. Il m’a semblé, au vu d’exercices de prononciation déjà expérimentés, que j’avais entre-temps accompli de réels progrès…
J’ai quitté mon domicile avec quelque satisfaction. Je compte, en effet, me reposer des mœurs nocturnes d’Angelo mais aussi d’Ennio (l’autre voisin, tout aussi noctambule, plus bruyant encore), lesquels m’obligent soit à changer nuitamment de lit, soit à recourir à des bouchons d’oreille, soit, quelquefois, les deux.
Depuis août (il devait prétendument s’en occuper dès le 7), FG n’est pas venu, laissant à l’abandon la terrasse alors qu’il reste à régler la hauteur des plots, ménager des plinthes en céramique, installer un garde-fou pour combler le vide dû à la disparition des anciens bacs en bordure, sans compter une somme de petits travaux et d’à-côté pour lesquels je comptais l’employer. Je désespère qu’il intervienne avant que l’automne ne se soit tout à fait installé…
Les relations avec M.-C. se sont aplanies, après qu’elle s’en est assez violemment prise à T. sur une question politique qu’elle s’était plu à agiter. De là à songer que M.-C. ne s’épanouit que dans le conflit… le pas s’impose peut-être ! A la suite de de ce différend plutôt théâtral — puisque M.-C. avait tourné les talons en signifiant que, toute discussion étant impossible, mieux valait ne plus se voir, T. et elle ! —, je m’étais tenu sur une lisière prudente, attendant de toute façon qu’elle me téléphone, ce qui a pris trois semaines…
Ce séjour parisien se trouve pour une large part balisé, préparé en amont par de nombreux échanges avec Aymeric, Judith et Khadija — puisque, ce dont je réjouis tout particulièrement, Khadija sera là vendredi après-midi jusqu’au surlendemain. Quelques inconnues restent néanmoins ménagées (avec Adrien, Patrice, Duncan), parenthèses encore battantes que les circonstances se chargeront d’agiter, de refermer ou de balayer, selon un emploi de mon temps de toute façon plutôt serré.
Après-midi
J’investis l’appartement avant de faire quelques courses sommaires. Comme j’ai achevé la lecture de la vieille Fille sur tablette dans le train et n’ai rien emporté dans la valise, j’achète un livre d’occasion rue Richard-Lenoir.
Soir
Je n’aurais pas été en retard si le site de la RATP ne m’avait pas envoyé sur une fausse adresse, sans doute celle du siège administratif du Théâtre de la Tempête. Ne trouvant aucune salle à proximité, je téléphone à la billetterie et me fais indiquer les coordonnées du théâtre, sis en fait à la Cartoucherie de Vincennes.
Y aller me prend alors trois quarts d’heure et, quand j’y parviens en bus après avoir pris le métro, le spectacle a déjà débuté depuis une vingtaine de minutes.
Je ne crois pas que d’avoir pris la pièce en cours ait pu jouer en sa défaveur — d’autant que j’en avais lu les premières pages comme « bonnes feuilles » mises par l’éditeur sur Internet — ; quoi qu’il en soit je suis déçu par Autopsie mondiale, écrit par Emmanuelle Bayamack-Tam. Les comédiens, lesquels font preuve d’une belle énergie, non plus que la mise en scène ne sont pourtant à incriminer.
Pierre Lefebvre-Adrien et Mathilde Auneveux dans Autopsie mondiale d'Emmanuelle Bayamack-Tam, mise en scène de Clément Poirée © Internet
Cependant, je trouve embourbé dans un dialogisme théâtral parfois redondant le propos, dont je ne perçois pas toujours la cohésion, en dépit d’une cocasserie parfois efficace, jugeant le texte loin des audaces narratives auxquelles la romancière m’a accoutumé : peut-être le genre théâtral en tant quel entre-t-il dans ma réception mitigée de spectateur du moment. Sans doute aussi le prétexte (« Le 10 septembre 2001, pour ses trente ans de carrière, Michael Jackson chante The Way You Make Me Feel avec Britney Spears – émouvante de jeunesse dans sa petite robe verte, et perchée sur des talons vertigineux ») ne m’intéresse-t-il qu’assez tièdement — je sais à peine qui est Britney Spears et je ne me suis que peu senti concerné par Michael Jackson de son vivant, lui préférant Prince, s’il fallait d’ailleurs opposer tel nom à tel autre, tel type de musique à un autre… Les problématiques mises en avant — la « cancel culture », l’écart entre la vedette et l’œuvre, la légitimé du talent (celui de Britney Spears paraît usurpé dans d’excessives largeurs) tant autant celle de la légitimité du “fan”, les rapports biaisés entre les célébrités et le public, l’exploitation des enfants-stars, la pédocriminalité de Michael Jackson… — ne sollicitent que très médiocrement, en outre. Les échanges entre la scène et la salle dès l’entrée derrière les spectateurs du personnage incarnant le “fan ”de Michael Jackson, ces derniers interpellés au cours de la pièce comme à la toute-fin, me paraissent, enfin, non seulement relever d’une facilité, d’un artifice théâtral daté, sinon éculé, mais aussi tomber à plat, la salle me semblant assez rétive ce soir-là…
Je me fie à ma mémoire pour retrouver ensuite comment rejoindre la route de laquelle le bus m’a débarqué à l’aller. Je suis suivi de près par deux transsexuels qui tentent de faire de l’auto-stop auprès des quelques voitures qui empruntent les allées ; nous sommes rejoints bientôt par deux jeunes femmes, tout ce petit monde paraissant hésiter autant que moi dans le noir aggravé par le bois ; l’une des jeunes femmes aperçoit soudain l’arrêt de bus — lequel ne se trouve naturellement pas en face de celui où je suis descendu —, nous le désignant ; elle tapote ensuite sur son portable pour nous apprendre qu’un bus doit passer dix minutes plus tard.
Dans l’intervalle, une conservation s’engage à propos du spectacle, échange dont je me trouve assez étrangement le tiers exclu, ce que j’attribue à l’âge et au fait peut-être que je me tiens en retrait du groupe, singleton en partie mangé par la nuit — et discret de toute façon. Le quatuor a lu Arcadie d’Emmanuelle Bayamack-Tam et chacun se dit désarçonné par la forme et le propos de la pièce. Les deux garçons-filles n’ont pas vraiment apprécié la pièce et clament de façon tranchée leur rejet, sur des accents par instants courroucés.
[ajout du 23 décembre :] Je lirai peu de temps plus tard la pièce d’Emmanuelle Bayamack-Tam, celle-ci figurant comme « nouveauté » dans le présentoir d’une des médiathèques où j’emprunte régulièrement des livres.
L’impression que j’avais eue d’un texte manquant de cohérence, à la lecture, s’estompe, tandis que la drôlerie du propos, elle, s’impose davantage que lors de la représentation.
Sans doute faut-il en revenir à ma prémisse : le fait d’avoir pris en cours de route la pièce, la crainte subséquente de passer tout ou partie à côté de sa signification, la frustration de n’être pas arrivé à temps ont dû intervenir dans mon jugement initial, plutôt sévère, quand bien même les récits déjà lus de l’auteure me semblent autrement aboutis que ce texte théâtral…
Fin de soirée
Parvenu, de bus en métro, Place de la Bastille, je décide de prendre un verre dans un café où je suis déjà allé (notamment avec B. et Claude, mais aussi N***, ce qui, pour ce dernier, me renvoie dans une époque qui tient davantage du jadis que du naguère), avant de rentrer rue P****.