1633 - Si bien que… ? (89)
Si bien que… ?
(Journal extime)
Work in progress
89
Jeudi 1er février 2024
Le cortège, quand je l’aborde, a des apparences assez peu fournies, ce dont je m’afflige étant donné la personnalité (et la personne) politique dont le Ministère de l’Education nationale s’est vu dernièrement doter : il aurait pourtant bien des motifs pour débarquer cette ministre et bien d’autres raisons accumulées — depuis Claude Allègre au moins — de colères, lesquelles ne concernent pas seulement, loin s’en faut, « les [sempiternels] moyens et les salaires » des professeurs…
Heureusement, pour me consoler de ce peu d’affluence, je croise — et converse avec — une dizaine de personnes, dont la plupart me sont sympathiques, voire certaines que j’aime bien.
Une seule est véritablement une amie, qui n’a jamais été ma collègue, Sylvie, avec laquelle je n’échange que très peu sur le moment, occupée qu’elle est à deviser avec des militants qu’elle connaît. De toute façon, Jacques et elle m’avaient invités le samedi précédent et nous n’étions pas en manque de nos nouvelles, la soirée ayant été l’occasion d’un moment si agréable que je ne les avais quittés que fort tard — encore n’avais-je pris congé que parce qu’il était fort tard, en effet, et en tenant compte que Jacques et Sylvie sont des forçats de travail que leur profession double d’heures jamais comptées pour leurs activités politiques, ce pour quoi je leur rends grâces, moi que l’incurie atteint trop souvent, à ma grand-honte, même si je ne crois pas tout à fait possible qu’il soit possible de transformer le monde.
La première personne que je croise est K., qui appartient au comité médical ayant statué (elle, était absente lors des deux réunions qui avaient eu lieu, dont celle qui a emporté la décision) sur la retraite pour invalidité qui m’a finalement été accordée — ainsi que déjà raconté — et dont le père avait été victime d’un accident cérébral, lequel avait laissé des séquelles importantes au niveau de l’exercice de la parole. Je m’enquiers donc de sa santé, sachant qu’il se sentait diminué par la maladie (si tant est que ce soit une maladie) et réticent, surtout, aux secours de l’orthophonie. Il se montre plus docile dorénavant — et a recouvré quelques moyens.
Puis je converse avec Hélène que j’avais vue en juin peut-être, elle, collègue du lycée, qui m’informe de mouvements de protestation ayant lieu à propos des classes préparatoires pour d’obscurs motifs dont la validité m’échappe quelque peu. Elle me présente sa sœur, apparemment beaucoup plus jeune qu’elle, enseignante dans un lycée des Vosges. J’explique à celle-ci que nous avions passé l’agrégation ensemble, Hélène et moi, quelque trente ans auparavant, elle, toute fraîche émoulue de l’université ayant emprunté la ligne toute droite des études (je ne précise pas tous ces détails), quand j’avais, moi, suivi des circuits et détours de droite et de gauche, incertain que j’étais jusqu’alors de devoir embrasser la carrière d’enseignant. Je lui demande si la conférence d’Aurélien a été reprogrammée — ce qui n’est toujours pas le cas.
Je défile ensuite aux cotés de Laurent, que je suis également content de voir, qui m’informe d’une équivoque dans les disponibilités que j’ai indiquées pour une rencontre avec Amélie, Benoîte, Neil, T. et lui, tant et si bien que je me promets d’envoyer un message à tous pour rectifier qu’au contraire je les verrais bien volontiers aux moments que je repréciserai.
Je revois Martine, autre sédiment de ma carrière professionnelle, rencontrée à P***, avec laquelle j’ai toujours plaisir à bavarder, même succinctement, à la retraite depuis quelques années déjà (elle travaillait aux impôts et a passé sur le tard le concours d’enseignant qui lui a permis de devenir professeur d’anglais, obéissant ainsi à ce pourrait passer pour une vocation, ce pour quoi je m’étonnais parce que j’aurais pu parfois désirer l’inverse pour moi…).
Lucie m’entreprend bientôt, qui m’apprend le décès de Mourad, son compagnon, plus âgé qu’elle, me précise-t-elle, mort assez brusquement d’épuisement, lors d’une insuffisance pulmonaire (je songe à Marthe, disparue mêmement, le souffle lui défaillant sans crier gare).
Selon elle, Sothy, que j’avais vu aux obsèques de J.-M., souhaiterait vivement me revoir, ce qui me surprend beaucoup, nos échanges sur le moment, selon mon souvenir, étant demeurés limités.
J’ai perdu Laurent de vue, mais je hèle Joe, toujours sémillant (c’est l’objet de plaisanteries entre T. et moi lorsque nous l’évoquons, Joe étant très soucieux de sa personne, en particulier de sa « taille de guêpe », que nous lui reconnaissons volontiers T. et moi, non sans brocarder sa coquetterie et son autosatisfaction coutumière). Comme je viens de lui désigner Sylvie, Joe remarque alors d’un ton critique : « Elle a grossi ». Nous la rejoignons, le temps qu’elle et lui échangent quelques phrases.
Il me parle ensuite d’alertes de santé qui ont entamé son inoxydable santé : des problèmes cardiaques lui ont valu la pose de stents. Il a entrepris un régime alimentaire qui a fait chuter miraculeusement son taux de cholestérol à 0,38. Il me vante alors son régime alimentaire mirifique, s’accordant ainsi son propre satisfecit : ni fromage ni charcuterie, expose-t-il.
Nous sommes arrivés Place S***, où s’achève la manifestation et commence à s’égailler la plupart des participants.
Joe décide alors de me quitter pour voir s’il peut retrouver d’autres connaissances.
Sylvie, elle, est interpellée au mégaphone par un adolescent, aussi frêle qu’il est petit, un petit bout de sauvageon ayant poussé librement à qui je donne seize ans tout au plus, dont les plaisanteries et le bagout, la fraîcheur (sinon la naïveté) et l’enthousiasme me réjouissent, autant que Sylvie, elle, paraît par instants agacée. Je crois reconnaître alors le lycéen pleinement investi dans la politique qu’elle m’avait décrit le samedi précédent, et j’admire cette petite pile pleine d’énergie : j’ai cru comprendre, en outre, qu’il est gay dans ce qu’elle m’en avait rapporté, ce qui, naturellement, ne gâche rien au “portrait express” que je livre de lui, les très jeunes gens dotés d’une conscience politique peuplant de moins en moins les cortèges de manifestants, alors que, très précisément, il me semble rencontrer en pareilles circonstances des participants de plus en plus vieux et abîmés — participants que, bon éclusier, je vois vieillir ainsi que dans la chanson…
F. C., qui m’a aperçu, ensuite m’accapare : elle se tient désormais auprès de son ex-mari, qu’un cancer du colon empêche de sortir trop longtemps. Naturellement, les problèmes évoqués par Joe auparavant, les miens aussi, paraissent, par comparaison, assez insignifiants ; je ne parviens pas me compassionner pour autant, tant il me paraît surtout l’entendre se complaindre, se glorifier de la situation, non sans (demi) bonne raison, il est vrai. Elle me dit être grand-mère de deux petits-enfants, Simon (que j’ai eu comme élève presque un quart de siècle auparavant) ayant désormais quarante ans.
Elle avise soudainement Hélène et sa sœur, qu’elle paraît connaître plutôt bien. Elle interrompt sur-le-champ ses litanies pour s’adjoindre à elles pour manger des pâtisseries italiennes dans un salon thé voisin, sans proposer — noté-je comme malgré moi — que je les accompagne, le thé étant peut-être une boisson réservée au sexe féminin dans son esprit.
* * *
Dans l’après-coup, je me dirai que l’interlocuteur auprès de qui Sothy s’était tant ému et qu’il voudrait revoir ne devait pas être moi, mais bien plus vraisemblablement Pascal, avec qui il avait conversé, dans un échange à fleurets mouchetés d’ailleurs, de la part de Pascal surtout — car, si Sothy avait été avant lui l’amant de J.-M., Pascal l’avait été autrement plus longtemps, ce que Pascal avait paru revendiquer : ce duel d’égos et d’ergots m’avait fort réjoui, même si, après tout, s’approprier de préséances auprès des disparus console, quoique si pauvrement, de la perte des êtres chers qui nous ont quittés ; moi-même, Patrice, ne pensions-nous pas bénéficier de privilèges semblables auprès du défunt ?
— Tout ceci à verser au chapitre des équivoques présidant aux relations humaines !
Je rumine donc, assez joyeusement pourtant, les événements de l’après-midi tout en buvant un verre de bière dans mon propre salon de thé accoutumé…
Et de m’inventer — dans le même après-coup —, moitié par consolation, moitié par autodérision que j’ai trois amants virtuels potentiels, Neil, PG et Sothy ¡