1621 - « Après Noël, joyeux Noël ! » (4)
Journal extime
(Paris, 25 décembre - 30 décembre 2023)
4
28 décembre [2023]
Après-midi
A la pharmacie, c’est dans le désordre que les mots me viennent (allium/ composé/ cepa, débité-je, ceux-ci comme tronçonnés à la hache) quand je demande le remède homéopathique dont j’entends qu’il mette fin aux écoulements de mon nez.
* * *
Je suis une dizaine de minutes en avance quand j’arrive devant le Petit Palais : je ne croyais pas si rapide le trajet depuis Montparnasse. Je me glisse dans la file, en attendant la venue d’Aymeric, qui ne tarde pas à m’en avertir par un SMS. Du geste, je l’invite à me rejoindre.
On refuse de prendre mon vêtement au vestiaire, dont je resterai encombré durant toute la visite. De fait, une forte affluence est visible dès les couloirs, et nous vérifierons bientôt la presse à l’intérieur.
Impossible, dans un premier temps, de télécharger mon billet pour l’exposition. Aymeric m’enjoint de redémarrer le téléphone, et j’y parviens alors.
L’exposition « Le Paris de la modernité » suit la chronologie et emprunte essentiellement la voie des événements historiques ; partant, ses entours s’avèrent attendus, assez peu instructifs, sans être décevants pour autant. D’être en territoire connu rassure aussi et permet d’effectuer des coupes claires dans la lecture des cartels et des informations murales.
Cette rétrospective des années 1905 à 1925 fait la part belle aux femmes, plus particulièrement aux « amies »,
Marie Laurencin, La Songeuse, 1910-1911, Huile sur toile, Paris, Musée national Picasso-Paris, Collection personnelle Pablo Picasso
Marie Vassilieff (1884-1957), Scipion l'Africain, 1916, Huile sur toile, Paris, Collection particulière
Tamara de Lempicka (1898-1980), Perspective ou Les Deux Amies, 1923, Huile sur toile, Genève, Musée du Petit Palais
Tamara de Lempicka, Saint-Moritz, 1929, Huile sur bois, Orléans, Musée des Beaux-Arts Orléans Métropole
Jean Cocteau (1889-1963), Joséphine Baker, Vers 1925, Encre de Chine sur papier, Paris, Collection particulière
rend assez bien compte des avant-gardes artistiques du temps,
Georges Braque (1882-1963), Tête de femme, 1909, Huile sur toile, Paris, Musée d'Art moderne de Paris
Piet Mondrian (1872-1944), Paysages avec arbres, 1912, Huile sur toile, La Haye, Kunstmuseum Den Haag
Kees Van Dongen (1877-1968), La Vasque fleurie, 1917, Huile sur toile, Paris, Musée d'Art moderne de Paris
Léonard Foujita, Nu, 1925, Huile sur toile, Paris MNAM/ CLL Centre Pompidou, en dépôt au Musée des Beaux-Arts de Reims
canulars et scandales qui secouent la poussière institutionnelle et bousculent les académies (avant que s’installe définitivement un marché de l’art des plus lucratifs),
Joachim-Raphaël Boronali (L'Âne Lolo1, dit), Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique, 1910, Huile sur toile, 54 × 81 cm, Espace culturel Paul-Bédu - Milly-la-Forêt
Jacques-Emile Blanche (1861-1942), Igor Stravinsky, 1915, Huile sur toile, Paris, Musée d'Orsay, En dépôt au Musée de la musique-Philharmonie de Paris
Jacques-Emile Blanche, Tamara Karsavina dansant L'Oiseau de feu, 1910, Huile sur toile, Paris, BnF, bibliothèque-musée de l'Opéra
Sem (Georges Goursat, dit) (1863-1934), Le Massacre du printemps [Gabriel Astruc, Vaslav Nijinski, Frédéric Madrazzo], planche XXXVI, extraite du portfolio 19, Tangoville-sur-Mer, 1913, Lithographie en couleurs, Paris, Association Sem
Pablo Picasso (1881-1973), Ateliers de l'Opéra national de Paris, Costume du ballet Parade : le Manager new-yorkais, 1979, Refait d'après l'original de 1917, Structure : bois, toile de coton peinte ; porte-voix : bois, papier mâché ; panneau « Parade » : contreplaqué peint, <IMG_8966.jpeg>Paris, Opéra national de Paris
Pablo Picasso (1881-1973), Ateliers de l'Opéra national de Paris, Costume du ballet Parade : le Cheval, 1979, Refait d'après l'original de 1917, Bois, toile de coton et corde peints Paris, Opéra national de Paris
mais aussi des évolutions techniques et technologiques.
Ainsi dans une salle qui fait honneur aux moyens de transport les plus innovants (avant la salle consacrée au futurisme), on a disposé une bicyclette pliante, une automobile baptisée Bébé Peugeot, un biplan.
Des vers de “Zone” me reviennent, à la gloire, non seulement de la Tour Eiffel (par quoi s’ouvre le poème liminaire d’Alcools), mais encore de l’aviation…
Ce sont souvent des œuvres vues et revues, telle cette toile, que j’avise pour la troisième fois en moins de trois ans. Je la désigne à Aymeric, à qui la mémoire ne revient pas immédiatement.
Marevna [Maria Vorobiev] (1892-1984), La Mort et la Femme, 1917, Huile sur bois, Genève, Association des Amis du Petit Palais (photographie du 16 mars 2022)
En revanche, lui, reconnaît un tableau de Modigliani vu à la même occasion au Musée d’art et d’histoire du judaïsme que, de fait, après vérification, j’avais photographié : comme je m’étonne un peu de son souvenir — après tout, les portraits de Modigliani partagent nécessairement des traits de ressemblance, Aymeric répond qu’il se rappelait la robe noire de la femme.
Amedeo Modigliani (1884-1920), la Chevelure noire ou Jeune fille brune assise, 1918, Huile sur toile, Musée national Picasso-Paris
Si l’exposition ne nous transporte pas toujours, nous arpentons les lieux durant presque deux heures — ralentis, il est vrai, par les nombreux autres regardeurs que nous.
L’avant-dernière salle est consacrée aux apports de la révolution industrielle à l’art.
René Lalique (1860-1945), Fragment de la porte d'Honneur réalisée pour l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes 1925, Verre, Paris, Musée du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Robert Delaunay (1885-1941), Ville de Paris - La Femme et la Tour, 1925, Huile sur toile, Stuttgart, Staatsgalerie Stuttgart Acquisition avec Lotto-Mitteln, 1967
Avant de quitter la dernière salle, nous plaisantons sur le sourire de l’ours blanc de François Pompon, que nous prétendons aussi énigmatique que celui de la Joconde…
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1Voici le cartel qui accompagne la toile :
Exposé au Salon des indépendants de 1910, ce coucher de soleil est peint par Joachim-Raphaël Boronali, un artiste italien se réclamant de l'« excessivisme». Les réactions de la critique sont plutôt positives, mais la supercherie est révélée : un pinceau trempé de peinture avait été attaché à la queue d'un âne, qui a barbouillé une toile présentée par des plaisantins. Orchestré par l'écrivain Roland Dorgelès, ce canular s'inscrit dans l'esprit frondeur et humoristique de la butte Montmartre.
(Je me souviens que ma mère évoquait assez souvent ce canular.)