1645 - Etablissement (6)
24 mars 2024
Mon père s’est pris d’un vif intérêt (un peu contre ma propre attente !) pour le volume d’Annie Ernaux, Ecrire la vie, qu’à sa demande je lui ai prêté. Je lui avais recommandé les Années, récit d’une autobiographie collective de la génération à laquelle lui-même appartient (Ernaux et lui sont nés en 1940 tous deux), mais il n’a pas voulu sauter ainsi tout de go au tout dernier récit que contient le volume. Il précise, cependant : s’il aborde l’un après l’autre tel ou tel titre, il a laissé de côté les ouvrages où « Annie » raconte « ses galipettes », non, précise-t-il, qu’elles l’offusquent, mais parce qu’elles appartiennent en propre au vécu de leur auteure. Nonobstant cette réserve (et ce trait d’humour dans lequel je reconnais bien mon père), que cette lecture lui plaise, comme lui avait plu Nos Vies de Marie-Hélène Lafon qu’il avait emprunté à ma sœur, contente en moi ce besoin de « chaînes » que je me plais, pour peu qu'elles se produisent, à relever…
Je songe à ce propos aux interrogations de Dominique Fernandez face à Arthur Dreyfus dans leur Correspondance indiscrète : faut-il tout raconter de sa vie sexuelle, ou doit-on jeter quelque voile pudique sur ses expériences afin de préserver leur part d'érotisme (je retranscris à ma façon, en n’étant pas certain de comprendre le sens de ce questionnement) ou part d’imagination, ainsi que l’avance le premier des deux écrivains ?
Julien Green, cependant, dans son Journal n’avait guère ces pudeurs de gazelle — non que je le suive toujours dans ses façons de prendre et laisser sans considération ni scrupule aucun ses partenaires d’occasion, usant d’eux comme de simples objets de plaisir, voire brossant parfois d’eux des portraits cruels, ainsi que déjà évoqué…