1574 - Paris, début d'automne (3)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Paris, début d’automne 

[récidive] 

Journal extime 

(27 septembre – 4 octobre 2023) 

3

 

28 septembre 2023 [suite]

Soirée

© Internet

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Quand je parviens Place Paul Verlaine, je me rassérène pourtant : il n’est pas tout à fait 17 heures 30 ; d’ailleurs, Aymeric, que j’aperçois occupé à amarrer son vélo, vient tout juste d’arriver.

Nous nous installons bientôt sur la terrasse du bar accoutumé. Nous commandons une pinte de bière — une bière abbaye belge pour moi, pour lui, une bière légère allemande, que je lui conseille plutôt que la mienne, et pour laquelle il dira ne pas de toute façon faire la différence, n’étant pas assez habitué, qu’il ne boit qu’avec moi, pour m’accompagner…

Après avoir évoqué l’exposition que nous venons, Judith et moi, de parcourir (dont, sur le moment, le nom ne me revient pas mais que je retrouve grâce au dépliant glané à l’entrée), je raconte les circonstances de ma venue tardive à la Cartoucherie de Vincennes la veille, tout en évoquant le spectacle. Je lui demande si P., son compagnon, a apprécié la Treizième heure — ce qu’il dit ignorer puisque, sauf par exception, P. ne lui parle pas vraiment des livres qu’Aymeric a pu acheter pour lui.

Aymeric déclare illisibles les pièces de théâtre, même classiques, toutes réclamant d’être vues et ne prenant leur véritable dimension que représentées. Puis j’évoque le roman, volumineux, de Philip Roth, acheté je ne sais pourquoi sinon pour son ampleur même, la veille ; lui, a lu Pastorale américaine, sans déplaisir, mais sans non plus en avoir conservé de souvenir suffisamment précis pour déclarer marquante sa lecture.

Depuis la rentrée universitaire, les rythmes de travail auxquels Aymeric s’est vu confronter ont été très soutenus. Il vient d’apprendre — par le biais de ses collègues qui ont consulté avant lui les résultats du concours qu’il avait passé mi-septembre — sa promotion au grade (si tel est le terme propre) de « technicien supérieur », laquelle, ironise-t-il, lui vaudra une augmentation mensuelle de 15 euros. Il n’y croyait qu’à demi ; or, il a même été plutôt bien reçu à ce concours, puisque 27ème sur 543 candidats. Cependant, les vingt-cinq minutes d’entretien oral qu’on lui a fait passer n’ont guère porté sur le poste qu’il occupe : peu au fait de ses attributions professionnelles, le jury s’est contenté de l’interroger sur des questions générales ayant trait au fonctionnement de l’université. L’un des membres du jury l’a mis en difficulté en lui demandant qui était le Chancelier des Universités de Paris, tandis qu’une autre membre s’était spontanément étonnée de l’existence de pareil titre ; Aymeric, qui connaissait la réponse mais était incapable pour lors de la retrouver (comme moi d’ailleurs, avant qu’il me la fournisse), a opportunément profité de cette intervention, s’en tirant par une pirouette. D’ailleurs, que le Recteur soit aussi, titre honorifique, Chancelier des Universités, n’était guère qu’une façon de mettre dans l’embarras le candidat, ce qui, en l’occurrence, n’a pas été le cas…

Du fait de la quantité du travail à laquelle il a dû faire face, Aymeric n’a pas pu prendre la totalité de ses congés annuels ; ceux-ci pourront néanmoins être reportés, voire pris au moment de la retraite sur le temps restant à accomplir. Ses collègues recourent toujours beaucoup à des congés maladie, accroissant d’autant la charge de travail… Il se réjouit, à ce sujet, de la possibilité offerte par la réforme de la retraite qui vient d’entrer en application d’une diminution du temps de travail au-delà de l’âge de soixante ans. De fait, c’est là l’unique disposition positive — commentons-nous — offerte par la nouvelle loi sur les retraites, si âprement combattue par la rue et par l’opposition parlementaire de gauche rentrée en lice dans l’hémicycle…

Deuxième bonne nouvelle : un collègue considéré comme viscéralement casse-pied au sein de son équipe vient de changer de service, libérant les uns et les autres de cet indésirable.

 

Nous sommes les premiers lorsque nous arrivons dans le restaurant indien habituel et nous hésitons un instant entre l’intérieur et la terrasse, optant finalement pour l’intérieur.

Nous avons la bonne surprise de nous faire servir par le serveur éblouissant que nous avions cru disparu puisque jamais nous ne l’avions revu entre-temps. Aymeric plaisante à son sujet : lui qui avait précédemment dit ne plus faire de cauchemars depuis quelques années, ne guère se souvenir de ses rêves de toute façon, s’il voyait ce garçon mirifique avant de s’endormir en concevrait certainement de puissants rêves érotiques !

Nous commandons nos plats sur la tablette accoutumée, non sans étrenner de nouveaux plats. J’évoque le nouveau restaurant indien de **** où nous allons désormais, T et moi : celui-ci n’est pas aussi bon, mais les plats et les vins surtout (leur marge bénéficiaire n’étant que quelques euros) s’avèrent d’un très bon rapport qualité-prix.

Aymeric me recommande la lecture d’une auteure, Marie-Hélène Lafon, qui m’est inconnue et dont je note le nom. Lui n’est plus allé au cinéma, se contentant — assez rarement — de films vus à la télévision. J’y suis moi-même assez peu allé — l’Île rouge, Anatomie d’une chute exceptés —, tandis que deux autres films, pour lesquels j’ai bénéficié d’une invitation, m’ont laissé indifférent, au point que j’ai oublié le titre de l’un des deux. Comme je précise que l’héroïne présentait la particularité d’être sourde en même temps que boxeuse, nous évoquons le film de Clint Eastwood, Million Dollar Baby, (que, pour ma part, je n’ai pas vu) et Aymeric s’irrite de ne pas retrouver le nom de l’actrice. Je lui suggère de faire appel à la mémoire supplétive qu’est son téléphone pour pallier cet oubli.

Il me rapporte une troisième bonne nouvelle : ses voisins, une mère et son adolescent de fils, ont déménagé. L’appartement est vide, et, partant, son soulagement est immense. Je parle assez longuement — et j’y reviendrai en fin de soirée — d’Angelo et de son voisin de palier, Ennio. Aymeric commente plaisamment cette épidémie de prénoms italiens.

 

Il n’est pas tard (nous avons dîné une demi-heure plus tôt que d’habitude, il est vrai), et nous optons pour un dernier verre.

Les terrasses de la Butte sont toutes peuplées et bruyantes. Après avoir balancé un instant, nous installons en terrasse d’un bar puisque, à l’intérieur, un écran retransmet matches (de football, puis de rugby), vomissant ses décibels importuns. Je commande un verre de vin blanc, Aymeric, un Irish coffee (Aymeric s’amuse de ce choix qu’il opère alternativement avec un cappuccino). Afin d’avaler une gélule qui me prémunira d’éventuels désordres intestinaux, je demande un verre d’eau à la serveuse, laquelle dit qu’elle m’apportera cela. Je relève sa réponse polie en faisant remarquer que l’univers langagier des serveurs se partage en deux parties inégales : la plupart d’entre eux « amènent » les boissons, tandis que un autre groupe, minoritaire et rare, ont appris, peut-être comme moi de leur mère, qu’on devrait plutôt « apporter » les consommations des clients. Cette serveuse doit être étudiante en Lettres, plaisante Aymeric à son tour. Il me parle de collègues femmes universitaires, linguistes atterrées, en guerre contre l’hypercorrection et prônant tout à rebours l’oralité comme faiseuse reine de la langue, en militant contre tout purisme. D’un l’excès ou de l’autre, je ne sais lequel, en fait, je préfère, même si je m’accorde avec ces croisées sur le primat de l’oral pour faire exister les mots de la tribu…

 

Tout en devisant ainsi de choses ou d’autres, je garde une sorte d’œil de guet au cas, quoique assez improbable, où Adrien croiserait dans les parages.

Et je parle plus en plus mal au cours de la soirée, seule ombre au tableau de nos propos impromptus.

*  *  *

Nous nous quittons Place Verlaine devant la bicyclette d’Aymeric, en remettant au printemps l’occasion de nous revoir…

 

 

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