1619 - « Après Noël, joyeux Noël ! » (2)
Journal extime
(Paris, 25 décembre - 30 décembre 2023)
2
26 décembre
Des ouvriers travaillent sur les échafaudages du pavillon, quelquefois devant mes fenêtres, indifférents néanmoins à ma présence. Je croyais le chantier à l’arrêt durant les fêtes. Cela me rassure puisque je pourrai vaquer l’esprit tranquille en journée (les craintes conçues par Judith ont fini par m’atteindre, en effet).
Je me livre à des enregistrements prélevés sur la discothèque surabondante (en musique classique et jazz) de N.
J’effectue quelques courses sommaires.
Je me procure ensuite des chaussons (puisque j’ai constaté avoir oublié de prendre les miens chez moi) ainsi que deux supports en plexiglas transparents en forme de livre ouvert destinés à des cartes postales au format “portrait”.
Puis j’achète deux livres d’occasion (Marie-Hélène Lafon, Emmanuelle Bayamack-Tam) dans une librairie dont c’est l’une des vocations.
La matinée s’avère bien remplie.
* * *
Patrice et Anne tardent à répondre à mes messages.
Après-midi
D’abord réticent, je finis par ne pas bouder mon plaisir et même alentir le pas en parcourant la rétrospective de la Fondation Louis Vuitton consacrée à Mark Rothko.
Je connaissais mal l’artiste, dont la dernière exposition à Paris remontait à 1999 (ce que m’avait déjà appris Judith au cours d’une conversation récente). Le documentaire que j’avais vu quelques semaines auparavant (tout au plus) à la télévision ne m’avait pas convaincu de mon envie de m’y rendre, même si je m’étais dit alors que regarder l’œuvre à travers le prisme de la petite lucarne écrasait nécessairement les grands formats (puisque c’est une évidence qui confine au truisme que le peintre à mesure n’a pas cessé d’agrandir la taille de ses tableaux).
Après une période figurative à demi convaincante,
un passage par le surréalisme qui me plaît autrement plus,
Mark Rothko, Gethsemane, 1944, Huile et fusain sur toile, Collection Kate Rothko Prizel & Ilya Prizel
Mark Rothko, Slow Swirl at the Edge of the Sea, 1944, Huile sur toile, Museum of Modern Art, New York
le tournant définitif se fait vers l’abstraction
et je découvre une peinture vibratile, parcourue d’irisations, de chatoiements, d’estompages, d’effrangements, de superpositions de couleurs, d’énergies, qui sollicite la rétine tant pour ses effets de sfumato que la recherche de variations dans les débordements de ses masses, de ses empâtements, de ses volumes — ainsi que de tailles et de couleurs.
Cela devient vite une gageure — sinon une inanité —, par conséquent, de s’essayer à la capture photographique de ces formats remuants mais déclinés ostinato (il faudrait tous les mettre dans l’appareil), alors que leur saisie cinématographique, bénéficiant d’autres moyens que les miens, avait échoué primitivement à me convaincre ; y renoncer pourtant annulerait par trop mon arpentage (et mon fantasme de possession). Tant pis.
Je m’y livre donc impunément, laissant à Giacometti le soin d’offrir un contrepoint, d’ailleurs gracieusement proposé par la fondation à notre rencontre.
Mark Rothko, Light Cloud, Dark Cloud, 1957, Hule sur toile, 169,6 x 158,8 cm, Modern Art Museum of Fort Worth
Mark Rothko, Green on Blue (Earth-Green and White), 1956, Huile sur toile, University of Arizona Museum of Art, Tucson
Mark Rothko, The Black and the White, 1956, Huile sur toile, Harvard Art Museums/Fogg Museum, Cambridge
Mark Rothko, Pink and White over Red, 1957, Huile sur toile, Anderson Collection at Stanford University
Mark Rothko, Untitled (Black, Red over Untitled (Black, Red over Black on Red), 1964, Huile sur toile, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne, Paris
Mark Rothko,Mark Rothko, Orange and Red on Red, 1957, Huile sur toile, The Phillips Collection, Washington, DC, Ht 1,75, L 1,68 m
Mark Rothko, Blue and Gray, 1962, Huile sur toile, Fondation Beyeler, Riehen/ Basel, Beyeler Collection [?]
Mark Rothko, Untitled, 1962, Huile sur toile, Staatsgalerie Stuttgart Erworben mit Lotto-Mitteln 1969
Alberto Giacometti, Grande Femme II, 1960, Ht : 2,77 m, Bronze à patine brune, Fondation Louis Vuitton, Paris
Mark Rothko, N°3 (Untitled/ Orange), 1967, Katharine Ordway Collection, Yale University Art Gallery, New Haven
Alberto Giacometti, l'Homme qui marche I, 1960, Bronze, rehauts à l'huile, Fondation Marguerite et Aimé Maeght, Saint-Paul-de-Vence
Alberto Giacometti, Grande Femme III, 1960, Bronze 6/6, Fondeur Paris, Fondation Beyeler, Riehen/ Basel, Beyeler Collection
* * *
Anne et Patrice ont répondu à mon message — sous la dictée (apparente) d’Anne :
Salut Romain,
J'espère que tout va bien du côté de Montparnasse.
Nous sommes bien revenus sur Paris dimanche soir et avons passé un Noël très tranquille car nos enfants étaient un peu dispersés !
De notre côté les choses évoluent rapidement également et, du coup, la semaine va surtout être consacrée à aller voir nos enfants et petits-enfants pour faire un Noël décalé.
Nous partons chez Emma demain et ne reviendrons que jeudi soir, voire vendredi. Nous allons rester disponibles le restant de la semaine pour voir la belle-famille de Lucie qui est sur Paris jusqu'à nouvel an.
Il est donc un peu compliqué pour que nous essayons de faire concorder nos agendas. Dommage !
En attendant nous te souhaitons un bon séjour à Paname et on te dit à bientôt quand même sur Paris ou ****.
Bises,
Patrice et Anne
J’en viens à regretter (égoïstement !) que Patrice ne soit plus célibataire — lui qui se montrait toujours très disponible naguère…