1441 - Si bien que… ? (42)

Si bien que… ?

(Journal extime)

Work in progress

42

10 juin 2022

L’appartement d’Esteban m’apparaît étrangement décoré. A main droite, une assez grande cuisine américaine aux meubles noirs. Des moulures et des baguettes ont été ajoutées sur des volumes qui constituent des parallélépipèdes aux arêtes vives. Des verts qui voisinent avec des bruns. Des appareils de musculation. Seul élément qui pourrait me ravir, la vue est impressionnante à cet avant-dernier étage qui donne sur tout l’est de la ville à partir de grandes baies vitrées qui courent sur toute la façade.

L’ami d’Esteban, Jérémie, est installé sur un grand canapé. Il m’est présenté comme le bricoleur qui a œuvré dans l’appartement. Esteban explique lui avoir demandé, en effet, ces moulures et baguettes au prétexte de rompre les angles des lieux, parce qu'il avait toujours auparavant habité dans des appartements anciens et aimait les moulures aux plafonds.

A nouveau, après des considérations anodines, Esteban se lance dans des confidences Il me fait part de l’hépatite B de son fils, transmise par la mère, qui avait contracté le Sida à la suite d'une transfusion sanguine. Sa petite famille était devenue une « annexe de l’hôpital ». Son épouse supportait, en outre, très mal les effets de la trithérapie. Elle mourra finalement d’un cancer de l’estomac. Après que les médecins ont pronostiqué trois mois de sursis, elle décédera après deux années durant lesquelles elle s'est battue contre la maladie.

Je rencontre le fils d’Esteban, allongé sur son lit, à côté d’une batterie. J’aurais corrigé sa copie lors d’un examen blanc, me dit le père. Je plaisante : j’espère que cela n’aura pas été trop douloureux. Le 14 obtenu ravit encore le père — surtout, dit-il, corrigé par moi. (Je ne commente pas pareille incidente.)

Il me dresse aussi le portrait de l’ancienne compagne de Jérémie, dépressive et bipolaire. Après la séparation de celui-ci et de celle-là, les deux fils, habitant sur le toit de leur famille homoparentale et recomposée, se seraient immédiatement bien entendus. Esteban retrace le parcours scolaire de l’un et de l’autre — j’ai oublié par quelles grandes écoles l'un et l'autre sont passés —, chacun renonçant à une carrière toute tracée pour devenir associés et se lancer dans la fabrication de meubles design.

Il me montre sur son portable des photographies du nouveau bien que son compagnon et lui ont acheté : une ancienne ferme, une grange, des écuries. La maison qu'ils ont acquise n’a pas toujours été rénovée avec goût.

Dans le coming out qu’il fait auprès de moi selon des pointillés dont le halo disparaît à mesure — je me garde de tout commentaire ou de question —, j’apprends que son ancienne épouse est « la seule femme qu’il ait connue ».

Il me confie également avoir partiellement perdu le goût d’enseigner durant ces deux dernières années scolaires.

Il a souffert de l’affaire de mœurs déclenchée par JM. Il aurait été interrogé pendant quatre heures par la police — de même que JF, l’un et l’autre ayant organisé des voyages scolaires dont JM était l’accompagnant.

Face à tant de prolixité, je me contente de donner la réplique uniquement quand nécessaire.

Nous nous quittons sur la promesse de nous revoir bientôt.

Soir

JP m’a invité à déjeuner. Nous conversons par SMS.

Il m’invite à prendre le frais dans le jacuzzi qu'il a installé sur sa terrasse.

Je décline sa proposition en recourant à une pirouette.

11 juin 2022

Comme je vais prendre livraison des lunettes arrivées la veille, “mon” opticien est absent de la boutique. Je m’en désole un instant. J’espère pour lui que n’a cessé un contrat à durée déterminée…

Il commence à faire chaud. Nous abandonnons la terrasse, Paul, T. et moi, afin de ne pas cuire au soleil, les grands parasols nous protégeant insuffisamment. A l’intérieur, du fait de l’air conditionné, il fait un peu trop frais…

Paul a revu le neurologue. En fait, contrairement à ce que celui-ci avait d’abord cru, la maladie est bien installée (lui, parle de « stade ultime », ce qui paraît exagéré). Certains symptômes ne tromperaient néanmoins pas : le bras qui manque d’allant pendant la marche, la marche elle-même qui s’alentit, l’impossibilité de répéter sans fatigue le geste de frapper le sol avec la plante du pied, le dos qui se voûte. Nous essayons autant que faire se peut de le rassurer sur un état tel que celui-ci que nous pouvons constater : il ne marche pas si lentement que ça, et la laisse sur laquelle le chien tire empêche, en fait, le mouvement de balancier du seul bras qui reste à Paul…

12 juin

Matin

Premier tour des élections législatives. Superstitieux, appelant à la rescousse quelque pensée magique, j’examine une dernière fois le bulletin que j’ai préparé des jours auparavant et que je glisse dans l’enveloppe qu’elle-même je vais glisser dans l’urne : non, je me suis pas trompé de candidat…

Soir

Résultats décevants des élections. J’augure mal de la suite.