1483 - De l'âge (obliquement) — autre postscript

Publié le par 1rΩm1

 

in  memoriam  J.-M.

 

5 et 6 mai 2023

J’ai désormais dépassé l’âge que n’avait pas encore atteint au moment de sa mort J.-M., puisqu’il était de presque dix années mon aîné.

C’est peut-être pourquoi il se montrait si naturellement protecteur — et bienveillant —, sans jamais être condescendant (ce qui reviendrait d’ailleurs, en raison d’un mot-valise sous-jacent, à vouloir a contrario briller par l’âge, tout en manifestant une stupidité sans fond !), ni non plus se vouloir supérieur ou imposer son point de vue. J’avais vingt ans quand je l’ai connu. Et il prenait tout à fait au sérieux le jeune garçon (je ne me serais jamais reconnu comme tel ¡) que j’étais alors. Je ne crois pas avoir en quelque occasion subi de sa part la moindre raillerie, si sceptique qu’il fût, parfois, quant à mes raisons ou raisonnements ; pourtant, railleurs, il l’était — et quelquefois râleur, jouant les mal embouchés, ayant l’emportement facile et spectaculaire, ferraillant volontiers contre quiconque avait des avis contraires, mais m’épargnant toute polémique, son indulgence envers moi rayonnant toujours, lui qui, à rebours de ses agacements dantesques, savait être si protecteur.

1483 - De l'âge (obliquement) — autre postscript

J’ajoute ce trait : cet intarissable bavard savait mieux que personne écouter.

 

C’est bien pourquoi je ne saurais m’empêcher de penser — même si pareille songerie sonne creux et ne répare rien — qu’il paraît injuste que se soit rompue son existence avant la mienne. Que paraît injuste et cruel de devoir poursuivre le cours de la mienne sans lui.

 

Si bien que… ? Si j’étais conséquent — comme l’on devait l’être toujours — j’irais au bout des larmes que j’avais ravalées au moment de sa disparition, au bout de celles qui cherchent à me venir encore à présent. Ou pas. — Je ne suis pas sûr qu’il aurait apprécié un mouvement de pathos trop mouillé…

*  *  *

Je regarde Sacha tandis que j’écris. Un instant désœuvré, il en a profité pour s’asseoir et refaire ses lacets, et, tout à cela, il ne se douterait en aucune façon que je le regarde intensément lacer ses lacets, observant tout son corps en action, ce jeune corps ployé, plutôt frêle (plutôt beau), si appliqué, s’attachant à un laçage parfait — comme si je voulais imprimer à jamais son image à ma mémoire.

Je le regarde : que des cheveux sur sa tête ! (J.-M. se vantait de sa crinière, qu’il a conservée jusqu’après la chimiothérapie, indéfectible cheveu qui lui est resté jusqu’au bout.)

Je regarde Sacha. J’observe aussi les muscles du bras tirant sur les cordons à serrer, des muscles peu musculeux, mais, en action, saillants, délicats, et j’aime qu’ils soient à peine bombés sous la peau pâle. J’observe encore les cheveux châtains, la barbe roussissant et la pilosité des bras tirant sur la blondeur…)

*  *  *

Il aurait aimé Sacha. Je me demande s’il ne m’a pas laissé en héritage cet amour des jeunes gens, que je n’avais pas avant de prendre l’âge après lequel je courais malgré moi peu avant qu’il me quitte — si irrémédiablement.

Cette pensée tout à coup m’offre une consolation inattendue. Même si c’est bien peu dire qu’il me manque aujourd’hui, seul capitaine désormais d'un deuil au trop long cours.

 

 

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