731 - Passacaille estropiée (15)

Publié le par 1rΩm1

 

Passacaille estropiée

 

Paris, Berlin, Copenhague

 

(journal extime, 24 juillet -13 août 2016)

 

XV

 

 

Berlin, 6 août

Matin

Réveillé tôt, devant quitter les lieux, je m’emploie à un ménage d’autant plus minutieux que, sans avoir tiré comme une brute, la chaînette qui sert à dérouler le store occultant s’est cassée dans mes mains — et que je ne saurais la réparer.

731 - Passacaille estropiée (15)

Mon genou gauche me fait plus mal encore que les jours précédents.

Longues sont les queues à l’embarquement de l’aéroport. L’avion a vingt minutes de retard.

 

Copenhague

Après-midi

Je n’ai jamais vu pareille foule dans un aéroport. Il faut emprunter d’interminables couloirs avant de trouver les chaînes de bagages tout en fendant la presse. L’impression d’une indescriptible pagaille s’atténue pourtant à mesure que, sans jouer des coudes, on avance, des flux se formant d’eux-mêmes et s’écartant à mesure que les voyageurs s’égaillent vers la sortie.

L’automate auquel je recours pour acheter un ticket de transport n’accepte que des pièces de monnaie. Je n’ai que des billets de cent couronnes. Je n’ai pas songé que j’arriverais un samedi, et, me fiant aux conseils du guide dont j’ai fait rapidement la lecture dans l’avion, je change deux cents dollars au guichet d’une banque qui pratique un meilleur taux de change que ses concurrentes dans le hall d’arrivée. Entre-temps, j’ai fait l’achat d’une bouteille d’eau minérale pour l’automate… qui ne me rend pas la monnaie des quarante couronnes jetées dans ses entrailles !

Le métro, avec ses rames fréquentes, m’emmène jusqu’au centre ville, mais à Nørreport il me faut attendre dix-huit minutes le passage du bus 42. Une forte averse se met de la partie. Dans le bus, je dois me rendre à l’évidence : je n’ai aucun moyen de connaître par avance le nom des arrêts ; je me fais donc aider par une jeune femmes sympathique, tandis que le chauffeur m’indique ensuite où descendre.

Débarqué à l’arrêt voulu, je crois être dans un quartier de banlieue lointaine, une zone un peu perdue semée de petits immeubles en brique rouge serrés, de petits îlots dont les constellations se perdent dans les allées latérales. Et je ne comprends guère comment les numéros des maisons se distribuent. Je demande mon chemin à un couple de jeunes gens qui sortent d’un pavillon avec un landau. Aimablement, le jeune homme cherche le 15 sur le GPS de son téléphone portable et me montre où il se trouve : je suis parti dans la mauvaise direction et sur le mauvais trottoir.

Je pénètre bientôt dans un carré d’immeubles en briques rouges de quatre étages groupés autour d’arbres et d’une pelouse. Je demande où se trouve l’entrée 28 M. Les entrées d’immeubles sont, de fait, signalées par des lettres, mais aucune sonnette n’affiche un 28.

Je suis en retard déjà de presque une demi-heure et me demande comment je vais bien pouvoir contacter ma logeuse, puisque j’ai — stupidement — oublié de noter son numéro de téléphone.

Regardant autour de moi, je ne vois là — et m’en étonne — que des personnes âgées (j’apprendrai bientôt que, comme à Berlin d’ailleurs, ce que j’ai compris à l’usage, le lieu est une résidence de personnes âgées).

Je me fais confirmer à quoi correspond la lettre M — une entrée d’immeuble — et m’y dirige quand je suis soudainement apostrophé par une dame âgée qui paraît ne voir que d’un œil, me tend la main et dit s’appeler Else.

Je la suis jusque dans un appartement au premier étage, dont elle m’explique qu’il est le sien : elle ira loger chez sa fille lors de mon séjour.

Tout en me faisant visiter les lieux (une pièce double agréable et lumineuse qui fait office de chambre-salon-salle à manger, sobrement décorée mais non sans goût, une cuisine minuscule sans table ni chaise, un cabinet de toilette exigu avec un lavabo et un WC : on se douche porte fermée, le plus commode étant de s’asseoir sur le siège du WC me dit-elle !), elle m’annonce que le Wifi ne fonctionne pas, et je manifeste mon dépit. Pour mon dédommagement, Else a laissé de l’argent sur la table proche de la cuisine — une somme conséquente, en fait, puisque de cinq cents couronnes, soit presque soixante-dix euros : assez, dit-elle, pour couvrir mes frais de connexion dans des cybercafés.

Je me radoucis, d’autant que Else est une femme gentille et attentionnée : elle a dessiné des plans du quartier, indiquant commerces et arrêts de bus. Je prends conscience — ce que le trajet en bus m’avait déjà laissé pressentir — que l’appartement est tout de même très excentré.

Je constate aussi qu’il n’y a pas de rideaux pour occulter la lumière du jour…

Else me dit qu’aujourd’hui c’est la fête des voisins, et qu’il y aura sans doute un peu de bruit, mais que d’ordinaire la résidence est très calme.

 

Bientôt Else me quitte pour se rendre chez sa fille — à bicyclette, me dit-elle, en m’enjoignant d’en faire autant plutôt que de prendre les transports en commun. J’envie un instant ses soixante-et-onze ans ingambes, mais mon genou gauche et tout le bas de mon dos protestent à sa proposition.

Nous nous quittons bons amis.

 

Je fais des courses, dans les deux endroits qu’elle m’a indiqués, fort proches de l’appartement, ce qui est une bonne surprise, d’autant que le second, un supermarché assez grand, possède une zone Wifi près d’un rayon boulangerie où sont disposées tables et chaises de façon à pouvoir prendre un café. Je constate en tapotant sur mon portable — ce n’est pas la première fois quand je me trouve à l’étranger — que la connexion avec ma messagerie m’est refusée et que je devrai donc à nouveau montrer patte blanche, décliner identifiant et mot de passe pour être admis dans l'enceinte sacrée du Veau d'or.

En poussant mon caddie dans l'endroit, je vérifie une vérité lue ou déjà entendue à propos de Danemark, avec laquelle il faudra trouver des accommodements : tout est cher — fruits et légumes plus encore que d'autres marchandises conditionnées.

Dans la rue, le vent souffle en rafales froides. Je voulais éviter la canicule : mon souhait est exaucé… Le ciel est menaçant, et j’ai pris avec moi le parapluie qu’Else m’a aimablement laissé.

 

Soir

Les sexagénaires, septuagénaires, octogénaires du jardin pour enfants inversé se dandinent sur la pelouse plutôt qu’ils ne dansent — parodie comique et involontaires des “boums” d’antan. Du jazz sirupeux accompagne leurs gesticulations.

Le poulet au curry thaï dont je dîne est une interprétation très libre de ce standard culinaire international : le curry tient plus du ketchup que d’une sauce finement cuisinée, parfumée et relevée. C’est assez mauvais.

 

Après avoir dîné, je fais une courte promenade dans le “Quartier latin”, moins animé au dehors que je l’aurais imaginé de par son nom et les descriptions du guide. Je suis fatigué de mon voyage et de mes premières émotions.
Je m’enchante toutefois d’avoir dû m’adresser à des Danois qui, tous, se sont montrés empressés et aimables. Ainsi du géant à l’air bénin, plus avenant encore quand il me parle, auquel j’ai demandé des renseignements concernant le fonctionnement des tickets de transport vendus pour trois jours, qui m’a renvoyé vers une boutique à l’extérieur du métro puisque l’automate, comme à l’aéroport, ne pouvait recevoir que des pièces. Ayant trouvé l’endroit indiqué, un beau jeune Levantin (?) m’a fourni tout aussi aimablement toutes les explications que je souhaitais, et je l’ai laissé à regret servir un client qui s’approchait du comptoir. J’ai donc acheté un “pass” touristique pour la coquette somme de 200 DK, soit presque 30 euros.

L’appartement de Else me paraissant suffisamment excentré pour ne pas m’attarder, je suis bientôt dans le bus du retour.

Je me couche, lis un peu, et m'endors bientôt, la musique de la fête des seniors à l’extérieur ne dérangeant finalement qu’assez peu.

 

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