1117 - Carnets d'un confiné (40)

Publié le par 1rΩm1

 

 

CARNETS d’un CONFINÉ

 

40

 

[Journal pas toujours extime]

 

(14 mars, […] 1er MAI 2020 … …)

 

22 avril

Matin
 

Nuit de sommeil à peu près normale, en dépit d'un mauvais rêve : je devais inviter Valérie et Denis et étais empêché de faire des approvisionnements nécessaires. L’idée de dette à leur égard est évidente, et je ne sais par quelle attention je vais pouvoir monnayer le gâteau au chocolat de la veille.

Levé pour 7 heures comme tous les jours ou presque.

Mon index breton et la mise à jour de mes articles (je commence le journal d’octobre en Italie) me prend un temps infini.



 

Correspondance avec Benoît

LUI - 14/02 [2010] ; 22 :43

Cher Romain,

Une brève réponse. Ignare complet quant au « langage des fleurs » et même aux espèces florales : réduit aux recherches d’image Google pour savoir à quoi ressemble une campanule. Seule évocation : ce poème d’Aragon chanté par Ferré : « et je prenais des campanules pour les fleurs de la passion » (Jolie incitation à n’être pas trop « fleur bleue », si ce n’est « cœur d’artichaut » – autre genre de végétal.)

Je tâcherai de t’écrire avant Alep (peut-être difficile de se connecter de là-bas), même si ce n’est pas encore la longue réponse tant attendue). Aussi de t’envoyer ces photos à ton adresse mail.

(As-tu écrit quelque chose sur cette onomastique intime, de Cédric en Romain, et de P*** en F*** qui n’ont pas forcément pour initiale P ou F ? Sentiment de m’y perdre un peu et questions sur ce rapport aux prénoms.)

Amicalement,

B.

 

15/02 ; 10 :35

Benoît,

Merci de ton message, pour court qu’il soit ! Moi non plus je n’entends rien au langage des fleurs, et j’ai appris ce que signifiait avoir « un cœur d’artichaut » (une de ces « expressions familières » dont le sens pourtant nous est étranger !) grâce à toi — en consultant mon “Petit Robert” !

S’il y a bien eu et eu bien des rêveries onomastiques autour de Romain, Cédric et autres de mes avatars, il n’y a rien de particulier attaché aux noms de mes interlocuteurs du “blog”. Si je réduis leurs prénoms à leurs initiales, ça n’est jamais que par discrétion. (Mais [P…] (“François”) n’est pas P***, au fait.) En cas de confusion possible du fait d’une initiale commune, je tâche aussi de différencier les personnes : A*** n’est pas A***** (nécessairement !), ni non plus Al** (que de prénoms ou pseudos en “A” !). Je ne fais donc que composer avec le réel — mais, cela va sans dire, sans vouloir tricher avec lui. Mes interlocuteurs rencontrés à Paris, en outre, portent des prénoms rares, si bien qu’ils auraient pu être reconnus… Et impossible, en l’occurrence, m’aurait été de ne pas prénommer en entier [P…], d’une façon ou d’une autre — j’ai donc transposé son prénom (mais en en avertissant le lecteur dans la dédicace, “François” étant entre guillemets).

Comme tu l’as pressenti, il y a eu, cependant, des rêveries onomastiques sur “N***”, dont les prénom et patronyme sont proprement magnifiques (et j’ai pu là composer avec mon imaginaire, l’un et l’autre étant de puissants sésames !) ; mais ces rêveries — quoique confiées à mon interlocuteur — ont été reléguées dans les marges intimes de mon journal parisien…

Pour ce qui est de Romain, mon “pseudo” même, je suppose que tu t’es inscrit après que j’ai décroché de mon “blog” les fragments du “Roman de Romain”, et ce serait un peu long à expliquer. Romain est un hommage — et n’a d’autre clé qu’un exercice d’admiration sans doute largement imaginaire (en un autre sens du mot) à propos d’un très jeune homme […] dont je suis irrésistiblement et platoniquement tombé « amoureux » (comme on dit, mais c’est un sentiment dont je n’ai jamais réussi, le concernant, à démêler toutes les implications…).

En revanche, la question m’ayant déjà été posée par P*** sur l’origine de Cédric, je copie-colle (puisque rien n’y est indiscret et que j’en supprime les éléments de dialogue intime) ce que je lui avais alors écrit :

[…] je ne m’appelle pas Cédric, prénom qui m'est parfaitement étranger (je ne connais personne qui le porte), je m’appelle bien [M.]. Cédric Rohm n’a d’ailleurs aucun sens particulier, que des associations approximatives de lettres ou de sons à partir du pseudonyme et [d’une première] adresse électronique que j’avais choisis (cd.rom1@) pour m’inscrire sur le site [de gayattitude]. Tout s’est fait (cristallisé ?) autour de Romain/ Rom1.

Je tenais déjà le nom de famille, mais « Rom » était peu crédible en tant que tel : il aurait pu commencer une série de mots, dont certains franchement déplaisants comme avatars patronymiques (“roman”, passe encore, puisque c’est un autre prénom ; — et que j’en joue depuis d’ailleurs en ayant titré mes fragments “le Roman de Roma(i)n” ; mais cela aurait pu s’affilier à une série de termes pour adolescentes aux journaux calamiteux : “romance, romantique”… — adolescentes auxquelles je ne suis pas certain, hélas !, de ne pas toujours ressembler !).

Le “i”, par ailleurs, se rapprochait sans doute assez du 1 (« Rome » et le I, chiffre ou lettre, justifieraient bien cela !) ; mais cela aurait donné « Romi » ou « Romy » aux consonances un peu mièvres elles aussi ;  aussi ai-je préféré ajouter “h”, une lettre à la hampe proche du chiffre 1, avec un pont ou un tunnel en plus — « Rohm » pouvant alors passer pour un véritable nom de famille, au contraire des précédents… Bien sûr, j’ai bien pensé à une analogie possible avec Röhm, mais songé aussi — et plutôt ! — que c’était le début de Rohmer, nom qui convenait à ce début de marivaudage électronique que propose le site… et dans lequel j’essaie — encore et toujours — de ne pas m’enferrer.

Quant à Cédric, c’est venu tout seul — ou presque : « rom » ayant déjà appelé « cd » (« cdrom »). Comme après avoir proposé « cdrom 1 » pour l’inscription sur la messagerie, celle-ci m’a été refusée (pour homonymie) — […] je suivais donc une pente bien ordinaire !… —, j’ai alors ajouté un point : « cd.rom1 ». Cela a pu se lire alors comme deux mots : « cédez, Romain », ce qui m’a amusé. Et belle expression d’un impossible (plutôt que d’une invitation), en l’occurrence — ce que raconte jusqu’au ressassement, jusqu’à la satiété, un certain “Roman…” !

Mais, surtout, ce « cd » peut se lire aussi « C-D », ce qui a, avec la consonne R qui suit, a donné les piliers du prénom choisi, « CéDRic », le seul qui m’est venu sur le moment… [Je songe, aujourd’hui, que ce squelette consonantique est celui des transcriptions hébraïques, ce qui ravirait N*** — N*** dont le nom appelle le « ravissement »…]

Evidemment, les choses ne se sont pas passées dans cet ordre : j’ai forgé d’abord l’adresse électronique, puis, pour créer ma boîte aux lettres électronique, il a fallu inventer nom et prénom — et j’ai préféré dans ces jeux de mots, plutôt que de reprendre une nouvelle fois “Roma(i)n”, insérer un autre prénom, dans un jeu de poupées russes desquelles apparaîtrait [R.] en tout dernier lieu… prénom ultime et premier !

— Voilà, Benoît, pour répondre à tes interrogations sur tous ces noms…

Tout ça — évidemment… — est une sorte de jeu autour de rêveries littérales bien leirisiennes ! Et je copie-colle aussi ce à partir quoi l’exercice de style a pu être produit (j’ai dû malheureusement remplacer les italiques par des guillemets et je doute que la mise en page en soit conservée…), voire ce qui a pu lui donner à mes yeux sa raison d’être :

1117 - Carnets d'un confiné (40)

MICHEL […]

il y avait un temps où je dormais à l'ombre de ces caractères. Le vent les faisait se balancer gravement et je les croyais très hauts :

M,  comme  la  mer  qui  s'étend  jusqu'aux  montagnes  marmoréennes  de  la  mort,  de  minuit à midi ;

I, comme les idées, itinéraire d'Icare, l'irréel qui s'imite ; I, comme les ides de Mars fatales à l'imperator ; I, I, I, I, I, comme un rire en forme de chiffre 1, figure primordiale tirée de l'abîme de M.

Quant à C, c'est le cadastre, le plan que fera respecter la douce hache qui précède l'aile, le CHEL qui sonne comme la période préhistorique chelléenne, le CHEL mou (contraction de “cheptel”), qui commence comme la chute — ou le chut qui impose silence — après la mie qui est le cœur du pain pour parachever le mot

MICHEL

qui, si je lui tranche l'L, devient le nom maintenant trivial de ces petits pains en forme de sexe féminin, qui figuraient autrefois dans les cérémonies de certains cultes érotiques.

Et je trouve ce premier mot grotesque.

MICHEL,

c'est un nom d'homme gras, aux joues lourdes. C'est le nom d'un buveur de bière qui tient sur ses genoux et tripote à pleines mains de grosses commères de kermesses flamandes. C'est un nom de capon, un nom mou, sans consonne dure, sans rien qui roule ou qui se déclenche comme une volée de pierres.

MICHEL

quel beau portrait de roi gâteux ou ladre ! Pour sceptre un légume à la main, ou bien un cierge obscène ! Mais chut ! voici qu'une dalle se lève, juste sous les pieds de notre roi. Le trône se fend comme une chaise percée, le roi tombe les quatre fers en l'air et pète comme le roi Dagobert, la dalle se soulève, elle monte... Puisse-t-elle à jamais écraser cet idiot à couronne ! Non, elle ne l'écrase pas, mais, un par un, six spectres sont sortis de la fosse, six spectres et je les vois se ranger devant moi.

Un L comme le mot “lourd” et comme le mot “léger“. Il y a “long“ et “large“. Il y a le mot “lueur“ aussi, et le mot “larme“. Lumière livide et légitime orgueil. Lame de l'épée des nues. Limite de ma langue. Luxe et l'âme de ma loi. Mais c'est un leurre liquide, une luxure encore, une lâcheté. Commence, lettre, le mot plus dur : LEIRIS, qui est la carapace dans laquelle j'enferme mon orgueil, le château-fort et l'armure étincelante derrière lesquelles je masque ma faiblesse ; éclate comme un cri de trompette, ô mon nom ! pour effondrer les murs méchants. À coups de pierres, à coups de pierre ! Je me défendrai à coups de pierre. Mes mots ce sont les pierres, triste balistique de ma voix !

Mais il y a un E aussi, 2 l, un S, un R...

Un E, c'est le seul œuf, le nœud qui me retient au monde, espoir de voir un jour un peu de neuf crever la coquille, la conque où je dépose ce que je sais, réceptacle ÉTERNEL, (ce mot contient trois E, mon nom n'en a que deux : où trouver le troisième ?), éternel comme épée.

Les I, ce sont deux fins piliers. En passant sur la langue, ils déposent une piste minérale. J'aime à goûter leur froidure. Ils forment comme un porche dans lequel s'engouffre l'R, et au pied du second d'entre eux dort le traître SERPENT, le reptile sournois et silencieux qui termine mon nom, celui qui chaque jour me damne.

Un beau nom, somme toute, LEIRIS, et qui contrebalance bien l'ordurier MICHEL. C'est un peu le pot de fer, tout près du pot de terre.

MICHEL, ce nom je voudrais le clouer au fronton d'un bordel. Ce nom courbe, ce nom veule ferait bien à la porte de l'antre des literies et des odeurs d'amour et de toilette. Mais l'autre nom, celui dans lequel je vois circuler les mineurs qui me déchirent, je voudrais en faire une fronde, une catapulte ou bien un édifice mort, mais vaste et rigide, un monument qui pourrait être l'aliment de ma fierté.

MICHEL LEIRIS.


(L’Evasion souterraine, “Le Forçat vertigineux”, Fata Morgana, 1992, pp. 43-45)

 

(Je reprendrai plus tard le cours de notre conversation, notamment sur les photographies et autres choses en suspens, car cela fait déjà un message bien long, qui, je l’espère, ne t’aura pas « débordé » !)

Bien à toi,

Romain

 

15/02 ; 20:59

Cher Romain,

Vraie forêt de signes où se perdre que ce dernier message… Oui, il faudra vraiment que je le lise à tête très reposée.

Juste ces deux remarques, au fil d’une lecture trop superficielle :

« ce squelette consonantique est celui des transcriptions hébraïques, ce qui ravirait N*** — N*** dont le nom appelle le “ravissement”… » : Stein, ou Steiner, j’imagine ?

« Bien sûr, j’ai bien pensé à une analogie possible avec Röhm, mais songé aussi — et plutôt ! — que c’était le début de Rohmer » : oui, lisant « Cédric Rohm », j’ai pensé (déformation d’historien) Röhm (après tout, pédé lui aussi) avant Rohmer ; mais pourquoi pas « Römer » ou « Roemer », soit « Romain » en allemand ?

Je ne fais que passer, il faut encore que je réessaie de t’envoyer ces deux photos (hier, « plantage » de l’internet).

A bientôt – et très amicalement,

B.


22 avril [2020, suite]

Après-midi

Téléphonage avec M.-C. La conversation se règle toujours autour de mêmes motifs. Je raconte les maigres événements survenus ces trois derniers jours.

J’effectue ma promenade quotient (au-delà sans doute d’un kilomètre).

Je réussis, après deux essais infructueux, à joindre S. Elle et P. ont failli être verbalisés pour s’être aventurés en voiture bien au-delà d’un périmètre assigné pour promener la chienne. Six policiers disposés de part et d’autre de la chaussée avaient installé un barrage filtrant sur une avenue. Heureusement pour eux, ils étaient habillés l’un et l’autre d’un blouson blanc, et le caducée apposé sur le pare-brise a produit une équivoque : on les a enjoints de passer, en croyant avoir affaire à des soignants !

S. abrège un peu la conversation : elle doit sortir et rencontrer « par hasard » une de ses élèves, dont c’est l’anniversaire demain — et ainsi fêter leur anniversaire commun.

J’appelle T., plus loquace que d’ordinaire et qui relance notre conversation de temps à autre.
 

Soir

Message de T. :

Dans les actualités de ma page d'accueil Qwant, ces deux titres :



* Coronavirus : la moitié des résidents meurent dans un ehpad



* Coronavirus : plus d'un footballeur sur dix se dit déprimé.



Tout ça mis sur le même plan, donc.

Il y a décidément bien du malheur dans le monde (du football).

 

Je regarde le film d’Olivier Assyas l’Heure d’été, dont je me rends rapidement compte que je l’ai déjà vu.

Je me sens la gorge prise. (Il n’est décidément pas bon de prêter trop l’oreille aux « informations » — car ce qu’on apprend paraît toujours sujet à caution : ainsi les annonces du ministre Blanquer auraient été faites sans concertation avec les deux têtes de l’exécutif, premier ministre ou président de la République — diverses et variées sur la maladie… J’imprègne deux gouttes d’huile essentielle d’eucalyptus sur un sucre que je fais longuement fondre sous la langue : les saveurs contrariées du doucereux et de l’amer, la senteur étonnante de la plante qui tapisse bientôt la gorge et le nez, tout cela procure un plaisir plein de mélanges…)


 

 

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